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prévisions répandues dans le monde entier, les menaces formulées par l'ennemi, les craintes révélées par le cri de douleur de M. Keller : l'Alsace, la Lorraine entière; Metz, Belfort, tout était menacé; vous avez, avec un intelligent patriotisme, refusé de sanctionner, pour ainsi dire, ces craintes dans toute leur étendue, en paraissant les partager; mais aujourd'hui vous vous les rappellerez pour reconnaître que, si elles se sont réalisées dans une trop large mesure, celles qui ont été conjurées ne sont pas une médiocre consolation.

Le danger tout entier était réel, imminent; la trace visible en est restée sur la carte annexée au Traité, où le tracé définitif vous montre que, grâce à d'énergiques efforts, les quatre cinquièmes de la Lorraine environ nous restent avec sa capitale, et si Metz nous est ravi, Belfort nous est rendu : c'est un point capital pour notre frontière de l'Est. Messieurs, à côté de cette limite imposée à nos pertes territoriales, placez par la pensée le retour de nos armées prisonnières dans le pays où seront rendus tant de cœurs et tant de bras pour le travail, pour l'ordre et pour la défense de la patrie, et vous vous souviendrez avec moins de tristesse qu'une nation qui s'est honorée en se défendant s'honore encore en reconnaissant qu'elle a été vaincue et en ne reculant pas devant les nécessités qu'impose la défaite.

Sans doute encore, Paris, pénétré par l'armée ennemie dans une partie de son enceinte qui n'avait pas été conquise, c'est là une de ces douleurs qu'il est difficile de supporter, et qu'il est à peine prudent d'imposer; sans doute, cette France, plus lentement évacuée qu'elle n'a été envahie, et par les mêmes chemins qui verront deux fois cette tristesse, tout cela vous désole et nous a désolés; mais cette occupation est restreinte et momentanée ; cette évacuation est largement échelonnée, elle le sera mieux encore par le Traité définitif, et d'ailleurs, ces calamités et ces résignations, outre qu'elles étaient inévitables, ne doivent nous apparaître qu'à travers le souvenir des causes qui nous les ont infligées. Ces causes, nous ne les redirons pas; nous aimons mieux relever et garder les consolations que nous ont laissées nos derniers efforts. Il suffira de savoir et d'affirmer virilement que l'honneur de la France est sauf dans ce cruel Traité, comme dans la lutte terrible à laquelle il met fin: le vainqueur, Messieurs, n'a jamais manqué l'occasion de rendre cet hommage à la France, et la France doit savoir se le rendre à elle-même.

Si maintenant vous examinez les clauses relatives à l'indemnité de guerre, vous reconnaîtrez avec nous que les menaces et les calculs dont on les entouraient allaient bien plus loin que celles qui se sont réalisées. Nous n'essayerons pas de contester, d'atténuer l'énormité de la somme exigée : l'Europe s'en étonne et s'en émeut déjà, mais nous

voulons vous dire qu'on n'atteindra pas le but qui l'a inspirée. On a voulu s'enrichir de nos dépouilles; on a cru surtout nous désarmer indirectement en nous vouant à l'impuissance. L'histoire donne quelque prix à l'abstention de toute tentative directe de ce genre sur la liberté, gardée par notre pays dans le gouvernement de ses forces et de ses

ressources.

Mais il ne fallait pas non plus oublier qu'il serait plus indigne encore que téméraire d'accepter le fardeau et l'engagement qui nous sont imposés par cette stipulation immodérée, si nous nous savions impuissants à les supporter.

Mais, Messieurs, nous pouvons espérer et promettre; car, pour le présent, nous arrêtons ces ravages et nous commençons cette liquidation, et, pour l'avenir, la France a des ressources à la hauteur de ses besoins et des résolutions à la hauteur de ses épreuves, si elle sait joindre à la sagesse de son administration, à l'abnégation de son patriotisme, ces deux grands secrets de l'avenir, qui ne sont que les deux grandes leçons du passé : ne plus se jeter dans les révolutions, ne plus se réfugier dans le césarisme, et assurer ainsi le travail, l'ordre et la liberté.

Le Gouvernement de la République française, en signant cette paix, aura le droit de s'honorer de tout ce que de pareilles résolutions, loyalement et fermement pratiquées, peuvent créer de stabilité.

Cette signature est douloureuse, Messieurs; l'âme se révolte avant de vous conseiller d'y souscrire, et ce n'est pas trop de toutes les forces de la conscience pour examiner librement s'il est possible de l'éloigner de vous. Cela n'était permis, Messieurs, qu'à la condition de vous engager à recommencer la lutte, ou à livrer la France entière à l'occupation indéfinie et illimitée du vainqueur, sans autre consolation que de n'avoir pas donné notre consentement à un sacrifice cruel, mais que ce consentement même peut du moins limiter dans son étendue et dans sa durée.

Faut-il recommencer la lutte, après les désastres de nos armées, après les insuffisances de la levée en masse, après l'appel des forces à peine organisées du pays? Ne serait-ce pas hasarder les dernières énergies de la France sans espoir de les voir triompher? Ne serait-ce pas pour couvrir, contre les conséquences fatales de leurs fautes, l'honneur de ceux qui nous ont perdus, où même pour sauver le faux honneur de ceux qui reculent devant les responsabilités? Ne serait-ce pas jouer l'honneur même de la France, compromis dans le trouble possible de ces suprêmes convulsions du désespoir?

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Pendant les négociations, Messieurs, votre Commission, après de cruelles angoisses, en face d'interrogations douloureuses, a deviné,

chez vos négociateurs, la résignation patriotique qu'elle a cru devoir imiter et qu'elle était résolue à conseiller à l'Assemblée.

Un mot suffisait pour cela: nous n'avions qu'à refuser de signer les préliminaires de la paix et à laisser à l'ennemi le fardeau des ruines de la France, assez lourd peut-être pour l'écraser lui-même. En nous dégageant ainsi, nous vous laissions le droit de démentir ou d'accepter cet acte de désespoir. Nous ne nierons pas que, dans certains moments de découragement, cette tentation ne soit rentrée dans nos âmes.

Elle n'a pas été dissimulée à ceux qu'elle devait menacer autant que nous-mêmes. Mais, Messieurs, l'armistice expirait, toute prolongation était péremptoirement refusée, les forts de Paris étaient occupés, l'enceinte désarmée; au loin, les armées ennemies étaient massées aux lignes extrêmes de l'armistice, en face de nos armées désorganisées, de nos populations tournées vers l'espoir de la paix,

Le bruit d'une agression nouvelle et générale serait arrivé à cette Assemblée avant l'avis de la rupture des négociations. Et votre Commission, avec le Pouvoir exécutif, serait venue vous soumettre un avis dont les conséquences auraient été déjà réalisées, un acte de désespoir devenu irréparable, et cela sans votre aveu, sans votre examen, et sans retour possible de votre part; Paris et la France auraient été immolés avant d'être consultés.

Après la signature, Messieurs, vous pouvez encore ne pas ratifier le Traité de votre Gouvernement, l'avis de votre Commission, et les choses sont entières, car la France, au delà de la ligne de l'armistice, n'a pas changé de situation; et, quant à Paris, les préliminaires signés et l'armistice prorogé, l'occupation est restreinte dans son étendue et n'aura d'autre durée que celle que vous donnerez vous-mêmes å votre délibération.

Après le refus de la signature, au contraire, vous n'auriez pu en reprendre les compensations; car, en laissant expirer l'armistice sans signer la paix, on exposait Paris à être occupé tout entier, Dieu sait avec quels désastres, et la France entière aurait été envahie, Dieu sait avec quelles ruines. Les embarras de l'ennemi auraient été une consolation bien insuffisante à tant de sacrifices.

Nous n'aurions pu les vouloir, nous n'avons pas dû les conseiller aux négociateurs; nous persistons à vous conjurer de les écarter de la France.

Nous ne désirons qu'une chose pour l'affermissement et l'apaisement de nos consciences, Messieurs, c'est que cette paix ne soit désapprouvée que par ceux qui auraient osé décider la prolongation de la guerre.

Délibérez donc, Messieurs, et, quel que soit le résultat de vos méditations, il sera digne de vous et de la France. Le courage n'est pas toujours dans l'obstination et le désespoir. Les nations et les assemblées sont, plus que les individus, le droit de se consoler avec leur passé et avec leur conscience; et la France, autant que toute autre nation, a pour devoir de réserver son avenir et sa mission dans le monde.

Telles ont été les pensées qui ont soutenu vos négociateurs et votre Commission dans la tâche douloureuse que votre confiance leur a imposée, et qui les soutiendront dans les amertumes qu'attire souvent l'accomplissement d'un devoir. Ces pensées soutiendrout aussi les membres de cette Assemblée dans les résolutions qu'ils auront à sanctionner par leur vote. Nul ne songera à s'abriter derrière une abstention qui n'est que la désertion du devoir et la peur de la responsabilité.

En conséquence, la Commission vous propose l'adoption du projet de loi.

N° 1131.

DECLARATION ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE DE BORDEAUX, DANS LA SÉANCE DU 4er MARS 1871, PRONONÇANT LA DÉCHÉANCE DE NAPOLEON III ET DE SA DYNASTIE.

L'Assemblée nationale clôt l'incident, et, dans les circonstances douloureuses que traverse la patrie et en face de protestations et de réserves inattendues, confirme la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le déclare responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France.

N° 1132.

(Télégramme.)

M. JULES SIMON A M. JULES FAVRE.

Bordeaux, le 1er mars 1871, 6 h. 5 soir.

On commence le vote au scrutin. Dans quelques minutes, je vous en enverrai le résultat, qui n'est pas douteux. M. Conti ayant paru à tribune pour justifier l'ex-empereur, il s'en est suivi un grand tu

multe. L'incident a été clos par un ordre du jour déclarant que le suffrage universel a consacré la déchéance de l'empire. M. Thiers avait répondu à M. Conti en quelques mots courroucés, qui ont été couverts d'acclamations.

Toute l'Assemblée s'est soulevée pour l'ordre du jour ; cinq membres seulement à la contre-épreuve. La discussion qui a suivi a été calme.

Victor Hugo, Quinet, Louis Blanc ont prononcé des discours élevés; Vacherot et Changarnier ont ému l'Assemblée en soutenant avec noblesse la thèse contraire.

M. Thiers, à un moment, n'a pu retenir ses larmes; il arrache l'admiration même de ses adversaires.

Je ferai partir un messager à la minute même où j'aurai le procèsverbal. La tristesse ici est profonde, autant au moins chez ceux qui subissent que chez ceux qui protestent.

N° 1133.

Signé JULES SIMON.

M. JULES SIMON A M. JULES FAVRE.

(Télégramme.)

Bordeaux, le 1er mars 1871, 7 h. 35 soir.

Pour la ratification, 546 voix; contre, 107.

L'Assemblée nationale a ratifié les préliminaires de paix.

Signé JULES SIMON.

N° 1134.

LE COMTE DE CHAUDORDY A M. JULES FAVRE.

(Télégramme.)

Bordeaux, le 1er mars, 14 h. du soir.

M. Delaroche, porteur du procès-verbal régulier constatant le vote de l'Assemblée et d'une copie du Traité avec ratification par M. Thiers, est parti ce soir à neuf heures par un train spécial. Nous espérons qu'il pourra vous remettre ces documents demain vers midi.

Signé: CHAUDORDY.

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