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l'ébranlement produit en Italie et en Europe par les batailles de Magenta et de Solferino, et y aurait, à mon avis, une grande injustice à ne pas tenir compte au gouvernement du Roi des nécessités nouvelles qui lui étaient imposées par les extrêmes difficultés de la situation.

Au surplus, même au point de vue légal et conventionnel, on me paraît trop disposé à oublier quelques circonstances, qui ont pourtant une grande portée. Ainsi vous n'ignorez pas, monsieur le Comte, que le roi Victor-Emmanuel, en accédant aux préliminaires de Villafranca, a déclaré n'y consentir que pour ce qui le concernait, c'est-à-dire seulement pour les stipulations relatives à la Lombardie.

C'est avec les mêmes réserves qu'on a procédé à la stipulation du traité de Zurich, de sorte que le roi Victor-Emmanuel n'a d'autre engagement vis-à-vis de l'Autriche que celui de respecter la frontière qui sépare leurs États respectifs.

Il est aussi tout à fait inexact que les troupes de Sa Majesté aient envahi les Marches et l'Ombrie sans une déclaration de guerre; et le cabinet de Turin n'a point manqué de notifier au baron de Winspeare l'entrée des troupes royales dans le territoire napolitain. Enfin l'occupation par des soldats italiens d'un territoire italien en proie à la Révolution ne peut être regardée comme une violation du principe de la

non-intervention.

En 1847, l'Autriche a occupé Cracovie et l'a annexée à ses États en prenant pour prétexte la nécessité d'éteindre un foyer révolutionnaire ; l'occupation du territoire napolitain par nos troupes est-elle moins légitime parce qu'elle a été demandée par des milliers d'adresses au Roi, et sanctionnée par la presque unanimité du suffrage universel?

En vous communiquant ces observations d'une manière tout à fait réservée je n'ai voulu que vous mettre à même, monsieur le Comte, de répondre verbalement aux remarques qu'on pourrait vous adresser sur notre conduite.

Je me réserve de traiter avec quelque développement toutes ces questions dans une note que j'aurai l'honneur d'adresser aux légations de Sa Majesté, et qui réussira, je l'espère, à obtenir que le cabinet de Berlin porte sur nous un jugement plus favorable.

Agréez, etc.

Signé C. CAVOur.

No 4

LE BARON DE SCHLEINITZ AU COMTE BRASSIER DE SAINT-SIMON,

A TURIN

Berlin, le 24 décembre 1860.

Monsieur le Comte, c'est depuis quelques jours seulement que nous avons eu connaissance d'un décret portant la date du 8 novembre et publié dans le journal officiel Il Corriere delle Marche, par lequel le commissaire extraordinaire de Sa Majesté sarde dans les Marches, M. Lorenzo Valerio, confirme, au nom de son souverain, tous les priviléges que le gouvernement papal a accordés au Lloyd autrichien. Si nous n'avions ignoré jusqu'ici l'existence de ce document, nous n'aurions pas manqué d'appeler plus tôt déjà l'attention de M. le comte Cavour sur deux passages qu'il renferme et qui ont dû être pour nous le sujet d'une vive et pénible surprise. M. Lorenzo Valerio, dans les considérants de son décret précité, affirme, entre autres, que la Société commerciale connue sous la désignation de Lloyd autrichien, n'appartient pas à la puissance dont elle porte le nom. J'avoue qu'il m'a été impossible de me rendre compte de l'argumentation par laquelle M. Lorenzo Valerio a pu arriver à cette étrange assertion; mais je n'hésite pas à déclarer qu'à nos yeux le Lloyd autrichien, société dont le siége se trouve dans la ville allemande de Trieste, est en effet une société autrichienne.

M. Valerio, en outre, exprime l'opinion que la ville de Trieste n'est pas une ville allemande, et que ce n'est que par la force que les traités l'ont incorporée à l'Allemagne. Aussi affirme-t-il que la ville de Trieste a donné des preuves non équivoques qu'elle se considère comme faisant partie de l'Italie et non pas de l'Allemagne. Je ne sais sur quels faits M. Valerio se fonde pour accuser la ville de Trieste de manifestations qui, selon nous, devraient être qualifiées de trahison contre la patrie commune. Mais nous devons hautement protester contre les conclusions que M. Valerio a évidemment voulu tirer de faits auxquels il se réfère sans les faire connaître.

La Prusse s'est abstenue jusqu'à présent de toute ingérence dans les troubles auxquels la Péninsule se trouve en butte depuis quelque temps. Mais elle s'est toujours réservé de s'opposer à ce que le mouvement italien prenne un développement qui tendrait à ne plus respecter es frontières allemandes, telles que les traités les ont tracées et telles

qu'en vertu de ces mêmes traités la Prusse est obligée de les défendre. Or, il est évident que le décret de M. Lorenzo Valerio révèle des prétentions tout à fait incompatibles avec les droits de la ConfédérationGermanique. Je ne doute pas que M. le comte Cavour ne désapprouve entièrement le langage de M. Valerio. Mais puisque ce fonctionnaire a parlé au nom de S. M. le roi Victor-Emmanuel, nous manquerions à notre devoir si nous voulions passer sous silence un incident qui doit nécessairement inquiéter l'Allemagne sur les derniers buts du mouvement italien.

D'ordre de S. A. R. Mgr le Prince Régent, je vous invite donc, monsieur le Comte, à demander à M. le président du conseil :

1° Si le commissaire extraordinaire dans les Marches a réellement parlé au nom de son souverain, comme le texte du décret l'annonce, et s'il a exprimé l'opinion de son gouvernement au sujet du Lloyd autrichien et de la ville de Triste.

2o Si, dans le cas contraire, M. Valerio a été rectifié par son gouver

nement.

En vous engageant à bien vouloir me rendre compte le plus tôt possible de la réponse de M. le comte Cavour, je vous autorise à lui laisser, sur son désir, copie de la présente dépêche. Recevez, monsieur le Comte, l'assurance, etc., etc.

Signé SCHLEINITZ.

No 5

LE GÉNÉRAL DE LA MARMORA AU COMTE CAVOUR.

Milan, le 17 février 1861.

Excellence, à mon arrivée à Berlin, le 25 janvier dernier, je fus reçu à la gare du chemin de fer par M. le baron de Launay, et je fus sans retard présenté par lui au ministre des affaires étrangères de Prusse, à qui j'ai remis une copie de la lettre dont j'étais chargé par S. M. le Roi, en le priant en même temps de me procurer une audience de Sa Majesté, afin que je puisse lui présenter mes lettres de créance, ainsi que la lettre autographe de notre auguste souverain. Le baron de Schleinitz fut très-aimable avec moi; mais notre conversation ne roula que sur des objets tout à fait étrangers à la politique.

J'ai pu m'apercevoir aussitôt que le titre d'ambassadeur qu'on

m'avait donné, tout en flattant le Roi, qui comprenait l'intention qu'avait eue mon souverain en me la conférant, gênait d'autant plus, que depuis le temps de Frédéric-le-Grand, à ce qui m'a été dit, aucur ambassadeur n'avait jamais été envoyé à Berlin. J'ai fait sentir immédiatement à ces messieurs, par l'intermédiaire de M. de Launay, que je ne tenais point à l'accomplissement du cérémonial que comporte ce titre, et que je désirais sur toute chose que ma qualité d'ambassadeur ne fût pour eux l'occasion d'aucun embarras. J'ai cru faire d'autant mieux en cela que, nos relations diplomatiques étant interrompues avec plusieurs gouvernements, notre prestige n'avait rien à gagner à ce que le corps diplomatique fût mis dans le cas de nous faire une réception officielle. Ma facilité à cet égard a produit sur le ministre la meilleure impression, et il s'en est montré fort satisfait. On m'en donna le témoignage par des marques de distinction et par des attentions toutes. particulières. C'est ainsi que l'on mit à ma disposition, pour tout le temps que je resterais à Berlin, une voiture de la cour, et deux valets de pied qui se tinrent à mes ordres à l'hôtel. Je ne profitai de la voiture que pour me rendre chez le Roi et chez les princes de la famille royale. Dès le lendemain de mon arrivée je fus reçu par le Roi et la reine, qui m'accueillirent avec beaucoup de bonté et de cordialité. Dans les jours suivants, je fis visite à tous les princes et aux princesses de la famille royale, qui est nombreuse; je trouvai partout l'accueil le plus parfait. Je fus invité trois fois à dîner chez le Roi, et une fois chez le prince royal, toujours avec les trois officiers de ma suite; on me traita avec la plus grande distinction, me faisant entrer dans la chambre du Roi avec les princes avant le dîner, de même que le Roi me fit mettre constamment à sa droite à table, comme je fus également à la droite de la princesse au dîner du prince royal, et cela malgré la présence de...

J'ai cru que ces détails devaient trouver place dans ce rapport, parce qu'ils peuvent donner une idée plus précise de l'empressement qu'a mis le gouvernement prussien à correspondre aux vues bienveillantes du nôtre.

Le Roi m'adressa toujours la parole de la manière la plus aimable; seulement la conversation ne cessa pas de rouler sur la famille royale, sur l'organisation des armées, beaucoup sur la campagne de Crimée, sur les canons rayés, cela va sans dire, et même sur la campagne de 1859; mais Sa Majesté ne toucha point à la politique actuelle, ni à tout ce qui s'est passé dans la Péninsule en 1860. Je ne crus pas pouvoir aborder le premier ces sujets avec le Roi, ni entamer une conversation politique qu'il ne semblait pas désirer; mais, comme je tenais d'autre part à exposer au gouvernement prussien de la manière la plus

positive ce que Votre Excellence m'avait chargé de lui faire connaître, et à accomplir pleinement mes instructions, je demandai au baron. de Schleinitz une audience qu'il m'accorda aussitôt, et qui eut lieu le 1er février.

Dans cette conférence, j'ai d'abord dit au baron de Schleinitz que Votre Excellence m'avait chargé de donner au gouvernement prussien l'assurance que le gouvernement de Sa Majesté n'avait aucunement l'intention d'attaquer l'Autriche; qu'il était même résolu à s'opposer de toute manière aux tentatives que le parti avancé pourrait préparer pour le compromettre; que nous comprenions très-bien que notre entrée dans les Marches et dans l'Ombrie, ainsi que dans le royaume de Naples, n'avait pas eu un caractère régulier, et qu'elle avait dû naturellement déplaire aux autres puissances, et particulièrement à la Prusse; mais qu'il n'y avait eu pour nous aucun moyen d'agir autrement sans nous laisser déborder par les véritables révolutionnaires, et sans mettre en péril l'ordre et la sûreté générale au dedans et même en dehors de l'Italie; que ce mouvement des Italiens vers leur émancipation n'était point l'oeuvre artificielle, mais la manifestation spontanée d'un sentiment irrésistible, et qu'il n'était donné à personne d'arrêter ce torrent, tandis qu'on pouvait (et il y avait un grand mérite à le faire) le diriger et le contenir.

La Prusse, ai-je ajouté, conserve encore, je ne dirai pas de l'animosité, mais une méfiance profonde contre la France, par qui elle a été humiliée pendant huit années, il y a de cela cinquante ans. Comment la Prusse pourrait-elle reprocher à l'Italie de secouer un joug d'injustice et d'humiliation qui pèse sur elle depuis huit siècles ?

L'empereur des Français, continuai-je, n'a pas approuvé, lui non plus, nos dernières entreprises; il eût préféré une confédération italienne à la réunion de l'Italie en un seul royaume; mais nous avons lieu de croire qu'il voit maintenant dans cette unité le seul moyen d'arriver à une pacification réelle de la Péninsule.

J'amenai ensuite l'entretien sur les deux points qui sont pour nous les plus essentiels : la question de la Vénétie et la proclamation du royaume d'Italie par les Chambres qui vont être réunies prochainement. Quant à la Vénétie, je parlai d'abord de l'état misérable où elle se trouve, et de l'impossibilité qu'un tel état de choses puisse durer; je m'appliquai ensuite à prouver au ministre que le quadrilatère n'est nullement nécessaire à la défense de l'Allemagne, dont la frontière naturelle est marquée par les Alpes qui la séparent de l'Italie, et que c'est précisément cette frontière qui forme une distinction géologique entre les deux pays, la langue allemande au surplus et la langue

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