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Quant à la Hongrie, Votre Excellence ne cachera pas que nous portons la plus vive sympathie à cette nation vaillante et généreuse, et que nous désirons pour elle cette position meilleure qu'elle réclame au nom de ses droits séculaires, et qui seule peut lui donner la tranquillité et la prospérité; mais que, loin de la pousser à la recouvrer au moyen de la révolution et par les armes, nous faisons des vœux pour qu'elle atteigne ce but par des moyens légaux que lui offrent les franchises qui lui ont été restituées.

Votre Excellence déclarera également, en termes très-affirmatifs, que le royaume d'Italie respectera toujours et scrupuleusement les droits de la Confédération-Germanique; et si, à ce propos, on vous entame encore le chapitre des considérants à l'égard de Trieste qui sont en tête du décret connu de M. Valerio relatif au Lloyd autrichien, Votre Excellence répétera ce que j'ai déjà exposé au comte de Launay dans la dépêche dont vous trouverez copie ci-jointe. Vous ferez encore observer que ces considérants avaient passé tout à fait inaperçus en Italie, et que le gouvernement du Roi y a porté son attention seulement depuis que le comte de Rechberg, dans des intentions faciles à deviner, les a signalés avec grand apparat aux cabinets allemands. Cela démontre quelle importance on doit attacher à ces phrases de rhétorique, que le gouvernement a du reste désapprouvées.

Le ministre des affaires étrangères de Sa Majesté prussienne a aussi entretenu le comte de Launay des armes expédiées de Gênes et séquestrées dans les ports des Principautés-Moldo-Valaques. On sait aujourd'hui que ces armes ont été dirigées sur ce pays par les Hongrois, et, pour parler exactement, par le général Turr, à qui le général Garibaldi en avait fait don pendant sa dictature dans les DeuxSiciles. Dans la dépêche ci-jointe adressée à notre ministre en Prusse, Votre Excellence lira à ce propos ces explications que le gouvernement a pu fournir sur un fait auquel il est resté totalement étranger.

Quant aux questions générales qui touchent à la direction de notre politique et aux conditions actuelles de la Péninsule, Votre Excellence fera comprendre en premier lieu que l'Italie unie a un intérêt réel et permanent à nouer des relations intimes avec la Prusse, à qui est réservé un rôle si important dans la constitution future de l'Allemagne. Cet intérêt paraît évident quand on considère que les deux gouvernements basent leur force et leur autorité sur le principe national et la loyale observation des institutions libérales, et que l'une et l'autre rencontrent les mêmes difficultés dans la sauvegarde de l'indépendance commune, de quelque côté que doivent surgir les dangers et les complications. La situation des provinces de l'Italie méridionale a éveillé quelques doutes au sujet de l'affermissement pacifique du nouvel ordre

de choses. Votre Excellence dira que là aussi les esprits commencent à se calmer, et que les agitations, conséquence inévitable des changements politiques, ont presque cessé. La prise de Gaëte, en enlevant à la réaction ses derniers appuis et ses derniers motifs, rendra entière la tranquillité dans les contrées, théâtre de ses vaines tentatives.

Je termine les présentes instructions par deux avis. Votre Excellence devra naturellement, pendant son séjour à Berlin, s'entretenir avec les diplomates russes. Dans vos conversations, vous leur ferez connaître avec quelle satisfaction le gouvernement du Roi verrait le rétablissement des relations entre les deux cours; mais elle s'abstiendra, d'ailleurs, de toute démarche quelconque qui puisse laisser soupçonner de notre part un empressement incompatible avec cette digne réserve que Sa Majesté entend garder envers une puissance qui, sans aucune raison plausible, a rappelé si solennellement sa légation de Turin. Le tact et la prudence qui distinguent Votre Excellence vous inspireront les ménagements et la mesure que commande cette démonstration délicate. En second lieu, Votre Excellence se trouvera fréquemment en contact avec les militaires prussiens. Les conversations pourront tomber sur la Vénétie, que beaucoup de gens à Berlin considèrent comme une position de frontière militaire nécessaire à la sûreté de la ConfédérationGermanique. Je ne vous développerai pas les arguments qui démontrent combien ces affirmations s'éloignent de la vérité. Votre Excellence parlera avec cette autorité qui lui appartient à elle seule, et vos observations, je l'espère, laisseront une profonde impression dans les esprits, qui, non dans l'intérêt de l'Autriche, mais dans celui de l'Allemagne, soutiennent la dangereuse théorie des frontières au seul point de vue de l'utilité propre, et échangent, dans le cas actuel, une position offensive contre les moyens naturels de défense indiqués pour l'Italie et l'Allemagne par les lieux mêmes.

Votre Excellence voudra bien me transmettre par le télégraphe les avis qu'elle jugera qu'il y a urgence à connaître, et par des courriers particuliers les informations qui ne pourront convenablement être confiées à la poste.

Je prie Votre Excellence d'agréer de nouveau, en cette circonstance, les sentiments de ma haute considération.

Signé C. CAVOUR.

No 2

LE BARON DE SCHLEINITZ AU COMTE BRASSIER DE SAINT-SIMON,

A TURIN

Coblentz, le 13 octobre 1860.

M. le Comte, le gouvernement de S. M. le Roi de Sardaigne, en nous faisant communiquer, par l'intermédiaire de son ministre à Berlin, le Mémorandum du 12 septembre, semble lui-même avoir voulu nous engager à lui faire part de l'impression que ses derniers actes, et les principes d'après lesquels il a cherché à les justifier ont produit sur le cabinet de S. A. R. Mgr le Prince Régent.

Si ce n'est qu'aujourd'hui que nous répondons à cette démarche, Votre Excellence aura su apprécier d'avance les motifs de ce retard; car, d'un côté, elle sait combien nous désirons maintenir de bons rapports avec le cabinet de Turin, et, de l'autre, les règles fondamentales de notre politique sont trop présentes à son esprit pour qu'elle n'ait pas dû pressentir la profonde divergence de principes que toute explication devait nécessairement constater entre nous et le gouvernement du Roi Victor-Emmanuel. Mais en présence de la marche de plus en plus rapide des événements, nous ne saurions prolonger un silence qui pourrait donner lieu à des malentendus regrettables et jeter un faux jour sur nos véritables sentiments.

C'est donc afin de prévenir des appréciations erronées que, d'ordre de S. A. R. Mgr le Prince Régent, je vous exposerai sans réserve la manière dont nous envisageons les derniers actes du gouvernement Sarde, et les principes développés dans son Mémorandum précité.

Tous les arguments de cette pièce aboutissent au principe du droit absolu des nationalités. Certes, nous sommes loin de vouloir contester la haute valeur de l'idée nationale. Elle est le mobile essentiel et hautement avoué de notre propre politique qui, en Allemagne, aura toujours pour but le développement et la réunion dans une organisation plus efficace et plus puissante des forces nationales. Mais, tout en attribuant au principe des nationalités une importance majeure, le gouvernement Prussien ne saurait y puiser la justification d'une politique qui renoncerait au respect dù au principe du droit. Au contraire, loin de regarder comme incompatibles ces deux principes, il pense que c'est uniquement dans la voie légale des réformes, et en respectant les droits existants, qu'il est permis à un gouvernement régulier de réaliser les vœux légitimes des nations.

D'après le Mémorandum Sarde, tout devrait céder aux exigences des aspirations nationales, et, toutes les fois que l'opinion publique se serait prononcée en faveur de ces aspirations, les autorités existantes n'auraient qu'à abdiquer leur pouvoir devant une pareille manifestation.

Or, une maxime aussi diamétralement opposée aux règles les plus élémentaires du droit des gens ne saurait trouver son application sans les plus graves dangers pour le repos de l'Italie, pour l'équilibre politique et la paix de l'Europe. En le soutenant, on abandonne la voie des réformes pour se jeter dans celle des révolutions. Cependant, c'est en s'appuyant sur le droit absolu de la nationalité italienne et sans avoir à alléguer aucune autre raison que le gouvernement de S. M. le Roi de Sardaigne a demandé au Saint-Siége le renvoi de ses troupes non-italiennes, et que, sans même attendre le refus de celui-ci, il a envahi les États-Pontificaux, dont il occupe à l'heure qu'il est la majeure partie. Sous ce même prétexte, les insurrections qui éclatèrent à la suite de cette invasion ont été soutenues; l'armée, que le Souverain-Pontife avait formée pour maintenir l'ordre public, a été attaquée et dispersée; et loin de s'arrêter dans cette voie, qu'il poursuit au mépris du droit international, le gouvernement Sarde vient de faire donner ordre à son armée de franchir, sur différents points, les frontières du royaume de Naples, dans le but avoué de venir au secours de l'insurrection et d'occuper militairement le pays. En même temps, les Chambres piémontaises sont saisies d'un projet de loi tendant à effectuer de nouvelles annexions en vertu du suffrage universel, et à inviter ainsi les populalations italiennes à déclarer formellement la déchéance de leurs princes. C'est de cette manière que le gouvernement Sarde, tout en invoquant le principe de non-intervention en faveur de l'Italie, ne recule pas devant les infractions les plus flagrantes au même principe dans ses rapports avec les autres États Italiens.

Appelés à nous prononcer sur de tels actes et de tels principes, nous ne pouvons que les déplorer profondément et sincèrement, et nous croyons remplir un devoir rigoureux en exprimant de la manière la plus explicite et la plus formelle notre désapprobation et des principes et de l'application qu'on a cru devoir en faire.

En vous invitant, monsieur le Comte, à donner lecture de la présente dépêche à M. le comte Cavour, et à lui en laisser copie,

Je saisis cette occasion, etc., etc.

Signé: SCHLEINITZ

N° 3

LE COMTE CAVOUR AU COMTE DE LAUNAY, A BERLIN

Turin, le 29 octobre 1860.

Monsieur le Comte, dans l'entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec le comte Brassier de Saint-Simon lorsqu'il est venu me donner lecture de la note du baron de Schleinitz du 13 octobre, j'ai cru devoir lui dissimuler la pénible impression qu'a faite sur moi la désapprobation du cabinet de Berlin. On se tromperait cependant en supposant que je n'apprécie pas toute la gravité de la démarche que M. de Schleinitz vient de faire, et qu'à Turin on se méprenne sur sa véritable portée. Par suite des remarquables analogies qui existent entre le rôle historique de la Prusse et celui de la Sardaigne, les Italiens ont l'habitude de regarder la Prusse comme un allié naturel dont ils ambitionnent surtout l'approbation. C'est donc avec un regret non moins vif que sincère que le gouvernement du Roi a appris le jugement sévère que le cabinet de Berlin a porté sur nos derniers actes. Toutefois, en cherchant à reconnaître par un examen attentif de la note prussienne quelle était la nature de cette divergence d'opinions, j'ai dû me rassurer à la fois et sur les intentions du prince généreux et éclairé qui est à la tête du gouvernement prussien et sur le but de la note dont il s'agit. En proclamant hautement qu'il reconnaît la valeur du principe des nationalités, en déclarant même que ce principe est la clef de voûte de sa politique en Allemagne, le cabinet de Berlin désapprouve les moyens dont les Italiens ont dû se servir pour faire triompher ce principe.

Il semble presque craindre qu'on ne gâte la plus noble des causes par l'emploi des forces révolutionnaires. Certes, nous admirons les efforts patients et habiles que le gouvernement prussien continue à faire pour établir en Allemagne, sans la moindre dérogation au droit conventionnel, une constitution politique plus homogène et plus conforme aux vœux des populations. Nous espérons qu'il réussira à mettre d'accord la légalité avec les aspirations nationales; nous applaudirons, nous lui envierons même son succès. Mais il nous sera permis de remarquer que le cabinet de Turin n'a cessé de suivre la même voie, que le jour où l'Autriche en envahissant brusquement le territoire piémontais a fait appel elle-même à des moyens de combat bien différents de l'influence morale et de l'autorité de l'exemple. Les préliminaires de paix de Villafranca et le traité de Zurich n'ont pu faire cesser

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