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No 54

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 2 avril 1866.

Le comte de Bismarck a peut-être cru un moment que l'Autriche voulait prendre l'initiative d'une rupture; et, bien que la crise ainsi imprévue eût été grave, probablement il en eût éprouvé du plaisir. Mais l'illusion de l'initiative autrichienne a duré peu. On n'a pas tardé à savoir que les mesures militaires de l'Autriche étaient peu importantes et tout à fait défensives et de précaution. Le comte de Bismarck en veut cependant tirer parti, et il les a fait, pendant quelques jours, exagérer dans ses journaux. Tout a été à la guerre; on a parlé de provocations autrichiennes et de légitimes armements prussiens..... Ils sont peu considérables, et peuvent être ou une mesure de précaution ou une manière d'amener l'Autriche à armer elle-même, et d'arriver par là à cette situation compliquée d'où l'on puisse faire sortir la guerre.

Le comte de Bismarck, engagé comme il l'est dans la question des duchés, ne pouvant la résoudre par des démarches, irait jusqu'à la guerre; mais les plus vieux diplomates de Berlin croient que jamais le Roi ne le suivrait jusque-là, et qu'à un jour donné l'envoi d'un général à Vienne pourra mettre fin au litige. On dit que le général Münster a été déjà appelé pour une mission à Vienne. M. W..... m'a dit que le comte Münster était parti pour Vienne. Le comte de Bismarck nie, il est vrai, l'intention d'une semblable mission et assure que Florence était la destination du général.

Le comte de Bismarck rencontre une autre difficulté dans le pays. Non-seulement les classes élevées, mais encore les classes moyennes sont opposées ou peu favorables à la guerre. Cette aversion se fait jour dans les journaux populaires. Le sentiment public s'inspire encore ici des rancunes et de la défiance contre la France, tandis qu'il n'y pas de haine contre l'Autriche. De plus, la lutte dans la Chambre fournit aussi des adversaires au comte de Bismarck, quoique la Chambre n'ait ni beaucoup de prestige ni une grande popularité. On en parle à Berlin avec peu de considération, et on la traite de réunion d'intrigants ne tenant à rien. On dit que la Constitution est trop avancée pour l'état de l'esprit public en Prusse. Il y a des choses qui nous étonnent, mais qui doivent avoir un germe de vérité, vu la conduite du ministère envers la Chambre.

Reste l'armée. D'après tout ce que nous avons appris par les officiers, elle n'est pas enthousiaste de la guerre contre l'Autriche. Il y a plutôt de la sympathie pour l'armée autrichienne. Je sais qu'une fois la guerre déclarée, l'armée s'électriserait et ferait bravement son devoir; mais elle n'est ni un stimulant ni un appui pour la politique que veut faire prévaloir le comte de Bismarck.

Il se trouve donc presque isolé ou du moins peu appuyé, et il a à lutter contre toutes les difficultés que j'ai exposées plus haut; c'est pourquoi on va quelquefois jusqu'à supposer que, vaincu par de telles difficultés, il pense à abandonner la partie. Cependant c'est indubitablement un homme d'une haute portée, de grandes ressources et d'une volonté de fer, et il mérite de réussir Mais dire qu'il se risque soit à triompher pacifiquement dans la question des duchés, soit à pousser les choses à la guerre, ce serait s'avancer beaucoup, à moins qu'il ne trouve des encouragements ou des secours au dehors...

Signé: GOVONE.

No 55

LE GÉNÉRAL DE LA MARMORA AU GÉNÉRAL GOVONE, A BERLIN

Télégramme.

Turin, le 2 avril 1866.

Au point où nous en sommes, je ne crois pas utile de proposer, nous, une convention militaire. Si la Prusse la propose, nous l'examinerons.

Signé LA MARmora.

No 56

LE GÉNÉRAL DE LA MARMORA AU GÉNÉRAL GOVONE, A BERLIN

Télégramme.

Turin, le 3 avril 1866.

La clause que vous proposez sur mobilisation ne convient pas; car, ou la Prusse est de bonne foi, et ce n'est pas nécessaire, ou elle est de mauvaise foi et cherchera d'autres prétextes. Il en est de même de la convention militaire sur laquelle je vous ai télégraphié hier.

Signé LA MARMORA.

No 57

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Télégramme.

Berlin, le 5 avrii 1866.

. de Bismarck a reçu avec joie la nouvelle de l'arrivée des pleins pouvoirs et de l'autorisation de signer le traité; il en informera de suite le Roi.

Il m'a fait voir une note de la Russie qui, sollicitée par l'Autriche, intervient très-amicalement auprès du Roi pour faciliter un arrangement.

Tous les princes allemands ne cessent de presser Sa Majesté prussienne. Si la Bavière arme, ce que je saurai bientôt, m'a-t-il dit, nous allons mobiliser les deux corps d'armée du Rhin, et, les armements d'un côté appelant des armements de l'autre, nous pouvons même espérer arriver à la guerre pour le commencement de mai.

En tout cas, Bismarck espère que la guerre éclatera avant l'expiration du terme du traité.

N 58

Signé GOVONE.

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 6 avril 1866.

Le comte de Bismarck m'a dit... que si même la guerre ne devait pas surgir des complications actuelles, ce qu'il tenait pour assez improbable, les relations qui s'établissaient entre la Prusse et l'Italie auraient marqué un point historique important dans la vie des deux peuples, gros d'une nouvelle politique pour l'avenir, utile pour les deux pays.

Il ne m'a pas exprimé le désir de conclure aucune convention militaire.

Je lui ai demandé s'il croyait à l'existence d'un traité d'alliance

ARCH. DIPL. 1873.

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entre la Bavière et l'Autriche; il m'a dit qu'il n'y avait pas de traité. J'ai demandé aussi à Son Excellence si les armements de la Bavière annoncés par les journaux se confirmaient. Il a répondu qu'il avait eu à temps les premières informations, et qu'il attendait à temps la confirmation de la nouvelle que la Bavière armait. Si cela se réalisait, la Prusse aurait sans retard étendu aux deux corps d'armée des provinces rhénanes, les mesures de préparation à la guerre déjà adoptées pour d'autres corps d'armée et qui sont en pleine voie d'exécution. Il prévoyait qu'en pareil cas et de cette manière, les armements d'une partie requérant des contre-armements par l'autre partie, on serait arrivé inévitablement à la guerre dans un temps assez rapproché, et qu'il calculait pour le commencement de mai.

Ici, le comte de Bismarck a porté les yeux sur un mémoire militaire et m'a exposé quelques vues sur la direction que la Prusse donnerait à la guerre, si la Bavière était dans le camp opposé.

Il a calculé que la Prusse pourrait tirer plus de 100,000 hommes des provinces rhénanes... Ces 100,000 hommes et plus traverseraient la Bavière, et, après l'avoir balayée, feraient une diversion sur Lintz dans la direction de Vienne, et donneraient la main à l'armée italienne. Il a ajouté ensuite que, dans le cas où la Bavière s'unirait à la Prusse, une masse de 150,000 hommes serait disponible pour cette diversion, qu'il regardait comme plus profitable aux opérations de la grande armée qui opérerait vers la Bohème ou en Saxe, que de réunir les deux corps du Rhin à cette grande armée.

Relativement à la Bavière, le comte de Bismarck m'a dit encore qu'elle aurait pu être le noyau d'un second royaume allemand. L'Allemagne méridionale ne convient pas à la Prusse à cause de la différence de religion, et parce que de Berlin on pourrait mal gouverner les provinces du Sud, qui seraient les Calabres de la Prusse.....

Toutefois, quand j'ai pris congé de lui, le comte de Bismarck a ajouté : Tout cela, bien entendu, si la France veut; que si elle montrait de la mauvaise volonté, rien ne pourrait se faire.

Signé GOVONE.

N° 59

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 6 avril 1866.

Hier, après une visite au comte de Bismarck, j'ai vu M. Benedetti... Il m'a dit qu'il aurait cru qu'il valait mieux pour nous de ne signer aucun traité, mais seulement d'avoir un projet discuté et prêt à être signé lorsque la mobilisation de l'armée prussienne serait achevée...

En me parlant du comte de Bismarck, il dit que c'est, pour ainsi dire, un diplomate maniaque; depuis quinze ans qu'il le connaît et le suit, il l'a toujours vu d'une façon invariable, fixe et irrévocable, travailler au même but réduire l'Autriche à l'état de puissance de second ordre pour donner la suprématie à la Prusse. Pour en arriver à ses fins, il travaille depuis trois ans avec une persévérance et une adresse admirables à se rendre indispensable au Roi dans la politique intérieure... Une fois cette position acquise, M. de Bismarck commença à travailler contre l'Autriche, en espérant entraîner le Roi derrière lui.

M. Benedetti ne doute donc nullement que le comte de Bismarck ne soit sincère dans ses désirs de guerre contre l'Autriche. Mais réussira-t-il ?

M. Benedetti doute et croit que la paix est plus probable que la guerre.

Une demi-heure après, j'ai rencontré le général de Moltke, qui m'a dit que les dernières nouvelles arrivées de la Bavière étaient qu'elle n'armait pas. Cela enlèverait au comte de Bismarck une de ses espé

rances.

Signé GOVONE.

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