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s'il se découvre une erreur commise, la décision du tribunal est irrévocable; elle n'est susceptible d'aucun recours.

Le second effet de l'immatriculation est de soumettre désormais le bien immatriculé à la juridiction du tribunal français, et de substituer aux dispositions obscures et confuses de la loi musulmane, qui les régissait antérieurement, une législation claire et précise, dont les règles, formulées dans la loi de 1885, ont su concilier les principes des législations européennes les plus perfectionnées avec ce que les usages locaux présentaient d'utile et de pratique.

L'ordre rétabli dans les finances, l'exécution prudemment combinée d'un large programme de travaux publics, les bienfaits d'une législation assurant à la propriété foncière une organisation appropriée aux exigences du crédit et aux besoins économiques de la Régence ne pouvaient manquer d'assurer le développement d'un pays qui, sans être une de ces colonies de cultures à gros bénéfices où des fortunes considérables s'édifient en peu d'années, n'en offre pas moins les perspectives d'une large aisance aux cultivateurs résolus à exploiter son sol.

On peut dire que, depuis l'établissement du Protectorat français, la valeur de la propriété a décuplé dans le nord de la Tunisie et augmenté de 25 à 30 % dans le centre et le sud. Quand à la valeur des terrains urbains, elle s'est accrue dans de notables proportions, notamment à Tunis et à Bizerte, où la plus-value acquise est d'environ 50 pour 1 depuis 1882.

L'agriculture a pris un essor considérable. Les surfaces semées et cultivées en céréales ont triplé; on a fait du blé avec des méthodes perfectionnées appropriées au climat et, là où la charrue arabe ne tirait du sol que 6 hectolitres, la bonne charrue française en a obtenu deux ou trois fois plus; avec plus de succès encore, on a exploité l'orge et l'avoine; un vignoble de dixhuit millions d'hectares a été créé avec une production de 220.000 hectolitres, et, stimulés par la concurrence, les viticulteurs ont appris à mieux planter leurs vignes et à mieux faire leur vin; l'élevage du bétail prend de plus en plus d'extension et constitue une source importante de revenus; l'exploitation des forêts de chênes-lièges, qui couvrent plus de 80.000 hectares, devient régulière et méthodique; enfin, le sud qui, en raison de sa sécheresse, paraissait voué à la stérilité, a retrouvé, grâce à la vigoureuse impulsion de M. Paul Bourde, la culture qui, sous la colonisation romaine, avait rendu cette région si florissante, l'olivier. Depuis quelques années, la culture de l'olivier a pris, dans les régions de Sfax un développement inespéré, et elle couvre anjourd'hui plus de 200.000 hectares.

La richesse de l'agriculture devait nécessairement se traduire par une augmentation des échanges. En 1885, le mouvement commercial de la Tunisie se chiffrait par 47 millions dont 26 à l'importation et 21 à l'exportation; cinq ans plus tard, en 1890, le trafic total montait à 68 millions, dont 31 à l'importation et 37 à l'exportation; en 1895, le trafic progressant toujours, atteignait 85 millions, dont 44 à l'importation et 41 à l'exportation; en 1900, il a dépassé 104 millions, 61 pour l'importation, 54 pour l'exportation; en 1901, par suite d'une mauvaise récolte de céréales due à une sécheresse persistante, il a été

103,796.921 francs, avec 39.114,354 francs à l'exportation et 64.682.567 francs à l'importation.

En même temps que les transactions de la Régence augmentaient en importance dans des proportions aussi considérables, elles subissaient une modification particulièrement intéressante pour nous; les courants qui apportaient les marchandises et qui les emportaient, changeaient de direction; comme on l'a écrit très justement: « le pôle commercial du pays se déplaçait » (1). La situation prépondérante que notre pays avait acquise en 1881 au point de vue politique ne pouvait manquer de lui assurer la victoire sur le terrain commercial. Avant même que la disparition des anciens traités douaniers eût permis d'accorder au commerce français un traitement privilégié pour l'in- · troduction de ces produits dans la Régence, à une époque où placé sur le même pied que les autres puissances, il devait lutter à armes égales contre ses concurrents, il avait obtenu une victoire éclatante. Le commerce français dans la Régence, qui ne dépassait pas 22 millions avant 1890, représente aujourd'hui presque trois fois ce chiffre. Si nous nous attachons, en effet, aux statistiques pour l'année 1901, nous constatons que la France et l'Algérie réunies entrent pour 21.367.375 francs dans le total des exportations, qui est de 39.114.254 francs et pour 39,794.098 francs dáns le total des importations, qui est de 64.682.567 francs, soit un chiffre global d'affaires de 61.161.670 fr. La part de la France seule ressort à 45.6 % des exportations et à 58 % des importations, soit 51.8 °), dans la commerce de la Régence. Après la France, viennent l'Angleterre et Malte, qui figurent pour 18.35 % dans les exportations et pour 12.5 % dans les importations, puis l'Italie avec 16.3 % dans les exportations et 7.6 % dans les importations.

Assurément, il est permis de souhaiter et d'espérer que la proportion revenant à la France deviendra plus élevée. Elle avait été plus élevée en 1899, où elle avait atteint le chiffre de 64 %. Elle devra l'atteindre à nouveau, ou, mieux le dépasser, aujourd'hui qu'ayant recouvré sa liberté d'action à l'expiratton de ses traités avec l'Angleterre et avec l'Italie, la Tunisie a pu stipuler que «< le traitement de la nation la plus favorisée en Tunisie ne comprend pas le traitement français », et fonder son régime douanier du 2 mai 1898 sur la nécessité d'assurer une situation privilégiée à la France sans nuire à l'équilibre de son propre budget et sans atteindre par de trop profonds changements les relations commerciales établies entre la Régence et les diverses nations europeennes.

Dans ces conditions, il est permis de conclure qu'au point de vue économique comme au point de vue financier, la situation de la Tunisie reste prospère.

Toutefois, un grave problème se pose qui, dans les débats auxquels a donné lieu, en 1901, l'interpellation de notre ancien collègue, M. André Berthelot, a dejà retenu l'attention de la Chambre, celui du petit nombre de colons français fixés dans la Régence par rapport au nombre des immigrants étrangers, surtout des immigrants siciliens.

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Si l'on ne considérait que les surfaces occupées en Tunisie par des propriétaires français, on aurait la satisfaction de constater que l'immense majorité des cultures européennes sont possédées par des français.

La situation de la propriété européenne en Tunisie est, en effet, la suivante,
d'après les dernières statistiques qui ont été dressées :

Surfaces en hectares possédées par des Français..
Surfaces en hectares possédées par des Italiens..
Surfaces en hectares possédées par d'autres étrangers.

.

308.126

29.089

29.798

La propriété française est donc dans la proportion de 89.97 %, alors que la propriété italienne est dans la proportion de 5.18 % et la propriété des autres nations étrangères de 4.85 %.

Malheureusement, la satisfaction patriotique que nous devons éprouver en enregistrant ces chiffres, s'atténue lorsqu'on examine le classement des propriétés européennes par catégories d'étendue et par nationalités, ainsi que le montre le tableau suivant:

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L'étude de ce tableau révéle d'abord que c'est surtout la grande et la moyenne propriété qui dominent en Tunisie, et que la petite propriété n'y existe guère qu'à l'état embryonnaire; elle révéle surtout que si la supériorité

de nos compatrioles est écrasante vis-à-vis des autres nations en ce qui concerne la grande et la moyenne propriété, les Italiens nous suivent de très près (321 contre 378), lorsqu'il s'agit de la petite propriété.

Enfin, l'inquiétude augmente lorsqu'après avoir considéré le nombre des européens propriétaires en Tunisie, on recherche le nombre des européens résidant dans la Régence. On constate, en effet, que les Français sont au nombre de 24.301, alors que les étrangers représentent un chiffre global de 90.259, dans lequel l'élément anglais figure pour 12.113 et l'élément italien pour 75.490. C'est surtout ce nombre considérable de sujets italiens fixés dans la Régence qui, en 1901, a très légitimement ému la Chambre. Jusqu'en 1896, l'Italie a combattu notre hégémonie politique sur la Tunisie; elle la reconnaît aujourd'hui, mais, si elle doit faire occuper par des paysans siciliens la terre qu'elle n'a pu faire occuper par ses armées, ne risquons-nous de ne pas voir un jour la domination politique elle-même nous échapper ?

Il importe de voir la situation telle qu'elle est, sans exagérer le péril et sans le dissimuler.

Il est certain la brutalité des chiffres ne se discute pas qu'il y a dans la Régence, d'après le recensement de 1902, 75.490 Italiens contre 24.301 Français; mais il convient de ne pas oublier qu'en 1881 il y avait en Tunisie 700 Français contre 25.000 Italiens. Si l'on compare le développement parallèle de la population française et de la population italienne en. Tunisie, on voit que la population française, qui était de 700 âmes en 1881, s'est accrue en moyenne de 932 unités par an pendant la première période de 10 ans qui a suivi l'établissement du Protectorat, de 1.235 pendant la seconde période de 5 ans, de 1.599 pendant la troisième période de 5 ans, en un mot, qu'au point de vue relatif, l'accroissement de la population française a été de 25 fois sa population primitive, alors qu'il est de trois fois seulement sa population primitive pour la population italienne.

L'immigration italienne se compose de deux éléments: l'élément ouvrier et l'élément agricole.

L'élément ouvrier est de beaucoup le plus nombreux. Il fournit la maind'œuvre des travaux publics, mincs, terrassements, défrichements, etc. Les métiers exercés par cette catégorie d'immigrants implique une population flottanto, très misérable, dont le nombre est en relation directe avec l'importance des travaux d'utilité publique et de l'industrie du bâtiment. Lorsque cette immigration dépasse les besoins locaux, une malaise se produit qui provoque de nombreux départs. De 1898 à 1902, on a enregistré 43,700 débarquements d'ouvriers italiens el 29.455 déparls.

L'élément agricole est représenté par de tout petits cultivateurs, paysans venant à peu près exclusivement de la Sicile.

D'après les statistiques dressées par les soins de la résidence générale, il y aurait actuellement en Tunisie environ 1.500 familles siciliennes s'adonnant à la culture, représentant une population d'environ 7.000 propriétaires travaillant pour leur compte et d'environ 3 à 4.000 journaliers agricoles, ouvriers défricheurs, charbonniers, vignerons, etc., au total 11.000 âmes.

Les immigrants siciliens qui débarquent ne vont généralement pas à l'aventurc chercher du travail; presque tous sont appelés par des parents ou des

amis installés, qui leur font place dans leur étroite habitation, jusqu'à ce qu'ils aient pu construire, à leur tour, le gourbi qui abritera leur famille. Les premiers centres constitués s'agrandissent et essaiment à proximité. Lorsqu'un contadino sicilien s'est fixé sur un point du territoire tunisien, on ne tarde pas à voir apparaître successivement, en peu d'années, la totalité de ses parents et amis provenant tous du même village natal. Les 500 italiens du Kef, par exemple, sont tous originaires de Rocca di Palumba.

Ajoutons qu'au cours de ces dernières années, de vastes sociétés italiennes se sont fondées, qui ont acheté des domaines considérables et les ont morcelés en y groupant des familles de petits cultivateurs. C'est ainsi que l'on trouve en Tunisie des villages italiens, tandis que l'on ne rencontre que des fermes françaises isolées. De superbes exploitations ont été créés par des capitalistes français, mais les Italiens ont ce que nous n'avons pas, des groupes compacts, et, sur toutes les routes qui convergent vers Tunis, ils occupent des positions de premier ordre, appelées à grandir et à prospérer.

Là est le péril.

Qu'y a-t-il à faire contre ce que l'on a appelé « l'envahissement italien ? » Peut-on l'enrayer?

Peut-on la faire tourner à notre profit pour le développement de la richesse générale de la Tunisie?

Peut-on lui opposer d'utiles, de nécessaires contre-poids?

L'enrayer, nous ne croyons pas qu'il y ait à y songer.

Il est une loi économique fatale, contre laquelle se briseront toutes les barrières, c'est que le Sicilien, profondément misérable chez lui, comme le colon d'Irlande, doit rêver de fixer et d'échanger le fief où il est né contre une patrie plus hospitalière. En quelques heures et pour quelques francs, un service régulier de bateaux à vapeur ou, au besoin, une simple balancelle les transportera dans la Régence, où il ne sera pas isolé, où il rencontrera des compatriotes, des parents, des amis, et deux choses qui lui permettront de tirer parti de ces qualités natives: la possibilité de devenir propriétaire presque sans avance de fonds et la terre se prêtant merveilleusement à la culture riche qu'il connaît, celle de la vigne. Tout le problème consiste pour lui à vivre jusqu'à sa première récolte, c'est-à-dire pendant trois ou quatre ans. Il résoud ce problème en louant ses bras dans le voisinage. Du jour où sa vigne est en état de produire, il est sauvé, car il ne s'embarrasse pas, comme nos grands exploitants, d'un outillage vinaire compliqué; la plupart du temps, il ne fabrique même pas le vin, il se contente de vendre son raisin.

D'autre part, comment les capitalistes italiens ne se seraient-ils pas rendu compte des opérations avantageuses qu'ils pourraient réaliser en acquérant des domaines dans la Régence et en les faisant exploiter par la main-d'œuvre sicilienne, soit avec la combinaison du métayage, soit avec celle de l'enzel ou rente foncière, soit avec un salaire qui varie de 1 fr. 20 à 1 fr. 50 par jour ? Ainsi se forme en Tunisie la colonisation agricole italienne.

Il n'est pas en notre pouvoir de l'arrêter. Une semblable solution ne serait admissible ni au point de vue des relations existant entre l'Italie et la France, surtout depuis que la politique agressive de M. Crispi a été abandonnée par le gouvernemont italien, ni même au point de vue des 'intérêts de la Tunisie,

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