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effet enseigne, selon l'expression de M. Guizot, « que les croyances et les influences religieuses ont fait leur temps, qu'elles ne sont plus qu'une dépouille usée, une ruine inhabitable, un débris stérile; au lieu du monde fantastique, et impénétrable de la théologie et de la métaphysique, le monde réel, disent-ils, s'est ouvert et se livre à l'homme; la connoissance de la nature a tué le surnaturel ; la science occupera désormais le trône de la religion; Dieu fait homme sera remplacé par l'homme fait Dieu. Peut-on méconnoître et mutiler plus étrangement l'humanité et l'histoire? Peut-on descendre et s'enfermer dans un horizon plus étroit et plus dénué de toute grande lumière sur les grands problèmes et les grands faits qui préoccupent invinciblement l'esprit humain?»

Une autre erreur non moins funeste avoit été implantée dans bien des esprits par la littérature du XVIIIe siècle; les écrivains de ce temps avoient proclamé que l'homme naît bon, qu'il n'a qu'à s'abandonner à lui-même sur la douce pente de ses inclinations pour aller au bonheur ; le mal dont les sociétés offrent partout l'affligeant spectacle ne peut dès lors venir que des institutions sociales; le XVIII® siècle en enseignant cette doctrine qui attaque un des dogmes du christianisme n'avoit d'autre but que de satisfaire l'incrédulité régnante, il ne vit pas qu'elle ébranloit profondément la société ; pour combattre l'influence ecclésiastique, on s'est mis de nos jours, à plusieurs reprises, à rééditer et à répandre les ouvrages qui renferment cette doctrine, et par là on a glissé dans bien des esprits une erreur fondamentale d'où sont sorties des théories funestes qui ont troublé l'ordre social.

"Que ce soit le devoir du gouvernement, dit M. Guizot, de venir en aide aux classes les moins favorisées du sort, de les soulager dans leurs misères et de les seconder dans leur effort ascendant vers les bienfaits de la civilisation rien n'est plus évident ni plus sacré; mais établir que c'est des vices de l'organisation sociale que découlent toutes les misères de tant de créatures et imposer au gouvernement la charge de les en garantir et de répartir équitablement le bien-être, c'est ignorer absolument la condition humaine, abolir la responsabilité inhérente à la liberté humaine et soulever les mauvaises passions par de fausses espérances: »

Dans une sphère moins élevée on vit se propager sous le règne de Louis-Philippe des idées politiques qui rendoient impossible tout gouvernement régulier; certains écrivains dans leurs exagérations démocratiques attribuoient aux peuples des droits sans bornes et une puissance sans frein. Nous avons déjà signalé l'erreur de ceux qui enseignent que les droits politiques sont des droits absolus, imprescriptibles et inaliénables auxquels tous les hommes peuvent prétendre et dont aucun ne peut être privé sans injustice; dans cet ordre d'idées il n'y a de gouvernement légitime que celui qui repose sur le suffrage universel. Toutes les sociétés démocratiques tendent au suffrage universel, mais il n'y a de droit politique qu'à la condition d'être capable de les exercer, « ce doit être le but et c'est le résultat naturel des bonnes institutions sociales, dit très-bien M. Guizot, d'éle

ver progressivement le plus grand nombre d'hommes à ce degré d'intelligence et d'indépendance qui les rend capables et dignes de participer à l'exercice du pouvoir religieux.

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Mais si les droits politiques n'appartiennent qu'à ceux qui ont l'intelligence, le caractère, l'indépendance nécessaires pour en user avec sagesse, il est impossible en fait de déterminer d'une manière précise tous les citoyens qui réunissent ces conditions; le cens électoral est une présomption; mais il n'est certainement pas une preuve de capacité; et la fixation de ce cens a toujours quelque chose d'arbitraire. Sous la monarchie de juillet il étoit fixé à 200 francs; dans les dernières années du règne de Louis-Philippe, une grande agitation fut soulevée pour obtenir une réforme électorale; or la limite de 200 francs de contribution n'avoit rien de sacré ; l'abaissement du cens n'auroit pas eu pour résultat de rendre plus mauvais les choix du corps électoral, il eut été de bonne politique de donner quelque satisfaction à ceux, qui au nom du progrès demandoient de multiplier le nombre des électeurs; la politique de résistance, en maintenoit la barrière arbitraire d'un cens de 200 francs, ne devoit avoir d'autre résultat que de fortifier l'opposition et de donner prétexte en présence du petit nombre d'électeurs à des accusations de corrup tion électorale.

M. Guizot se borne à toucher en passant à ces hautes questions; on regrette qu'il ne s'y soit pas arrêté davantage; elles n'occupent qu'une foible place dans le nouveau volume de ses mémoires rempli par les questions de politique étrangère, sur lesquelles l'éminent écrivain n'a eu besoin le plus souvent que de citer ses dépêches ministérielles.

La question Egyptienne fut la plus grande et la plus périlleuse que la France rencontra à cette époque; elle faillit l'entraîner dans une guerre générale contre l'Europe, l'opinion publique se manifestoit bruyamment en faveur de cette guerre; le grand mérite du gouvernement de Louis-Philippe fut de résister à ces entraînements inconsidérés, et le cabinet du 29 octobre 1840 eut pour mission de ramener la politique française dans les voies pacifiques.

Le peuple français aime naturellement la guerre, les entreprises les plus hardies et les plus périlleuses séduisent son imagination et la perspective de la gloire l'entraîne toujours; l'esprit belliqueux qui forme un des traits du caractère national à certains moments se réveille plus fortement, c'est ainsi que récemment encore l'opinion s'enflammoit pour une guerre en Pologne, et de toutes parts on excitoit l'empereur à faire une guerre dans laquelle la France auroit eu à lutter contre la coalition de toutes les autres puissances de l'Europe.

La même situation de l'esprit public s'étoit présentée en 1840; la guerre en faveur du pacha d'Egypte révolté contre le sultan eut amené la guerre générale, la nation dans le premier moment l'eut accueillie avec transport, sauf à s'en repentir bientôt en présence des malheurs qu'elle eut entraînés.

Chaque jour de plus nombreux intérêts sont attachés à la conser

vation de la paix, et les progrès de la civilisation rendent la guerre plus désastreuse et plus fatale. La politique belliqueuse peut un instant séduire l'imagination d'un peuple, mais elle ne sauroit avoir une popularité durable; une réaction prompte et puissante en faveur de la paix suit naturellement les entraînements aveugles des entreprises qui la troublent. M. Guizot a parfaitement observé et éloquemment exprimé cet état de l'opinion en France que la passion de la guerre agitoit et aveugloit alors que les plus puissantes raisons, les plus graves intérêts lui commandoient d'en éviter les hasards, les périls et les mauvaises conséquences; les considérations générales qu'ils présente à ce sujet méritent l'attention:

« L'étendue et l'activité de l'industrie et du commerce, le besoin du bien-être général, l'habitude des relations fréquentes, faciles, promptes et régulières entre les peuples, le goût invincible de l'association libre, de l'examen, de la discussion, de la publicité, ces faits caractéristiques de la grande société moderne exercent déjà et exerceront de plus en plus, contre les fantaisies guerrières ou diplomatiques de la politique extérieure, une influence prépondérante. On sourit, non sans raison, du langage et de la confiance puérile des amis de la paix, des sociétés de la paix ; toutes les grandes tendances, toutes les grandes espérances de l'humanité ont leurs rêves et leurs badauds, comme leurs jours de défaillance et de démenti; elles n'en poursuivent pas moins leur cours, et à travers les chimères des uns, les doutes et les moqueries des autres, les sociétés se transforment, et la politique, extérieure comme intérieure, est obligée de se transformer, comme les sociétés elles-mêmes. Nous avons assisté aux plus brillants exploits de l'esprit de conquête; aux plus ardents efforts de l'esprit de propagande armmée; nous avons vu manier et remanier, défaire, refaire et défaire encore, au gré de combinaisons plus ou moins spécieuses, les territoires ct les Etats. Qu'est-il resté de toutes ces œuvres violentes et arbitraires? Elles sont tombées, comme des plantes sans racines, comme des édifices sans fondement. Et maintetant, quand des entreprises analogues sont tentées, à peine ont-elles fait quelques pas qu'elles s'arrêtent et hésitent, comme embarrassérs et inquiètes d'elles-mêmes: tant elles sont peu en accord avec les besoins réels, les instincts profonds des sociétés modernes, et avec les tendances persévérantes, quoique combattues, de notre civilisation. Je dis « les tendances persévérantes, quoique combattues. »

» Nous sommes en effet dans une crise singulière: en même temps que les idées générales, les mœurs publiques, les intérêts sociaux, tout l'ensemble de notre civilisatisn invoquent, à l'intérieur, le progrès par la paix et la liberté, à l'extérieur, l'influence patiente par le respect du droit et les exemples de la bonne politique au lieu de l'intervention imprévoyante de la force, en même temps, dis-je,notre histoire depuis 1789, tant de secousses, de révolutions et de guerres nous ont laissé un ébranlement fébrile qui nous rend la paix fade et nous fait trouver, dans les coups imprévus d'une politique hasardeuse, un plaisir aveugle. Nous sommes en proie à deux courants contraires, l'un profond et régulier, qui nous porte vers le but défi

nitif de notre état social, l'autre superficiel et agité, qui nous jette de côté et d'autre à la recherche de nouvelles aventures et de terres inconnues. Et nous flottons, nous alternons entre ces deux directions opposées, appelés vers l'une par notre bon sens et notre sens moral, entraînés vers l'autre par nos routines et nos fantaisies d'imagination.

» Ce fut, dès ses premiers jours, le mérite et la gloire du gouvernement de 1850 de ne point hésiter devant cette alternative, de bien comprendre le véritable et supérieur esprit de la civilisation moderne, et de le prendre pour régle de sa conduite, malgré les tentations et les menaces de l'esprit de propagande armée et de conquète. De 1830 à 1852, cette bonne et grande politique avoit triomphé dans la lutte. En 1840, quand le cabinet du 29 octobre se forma, elle fut mise à une nouvelle épreuve. Tout notre régime constitutionnel, roi, chambres et pays eurent de nouveau à décider s'ils feroient la gnerre sans motifs suffisants et légitimes, par routine et entraînement, non par intérêt public et nécessite. »

Pour résister aux entraînements des fantaisies guerrières les gouvernements libres offrent des garanties que les gouvernements absolus ne peuvent présenter :

« Les gouvernements absolues, qu'ils soient absolus au nom d'une révolution ou d'une dictature, sont enclins et presque condamnés à pratiquer une politique extérieure pleine de résolutions et d'entreprises arbitraires, inattendues, suscitées par leur propre volonté, non par le cours naturel des faits et la nécessité. Ils ont besoin d'occuper au dehors l'imagination des peuples pour les distraire de ce qui leur manque au dedans, et ils leur donnent les chances des aventures et des guerres en échange des droits qu'ils refusent à la liberté. Les gouvernements libres n'ont point recours à de tels moyens; leur mission, c'est de bien faire les affaires naturelles des peuples, et l'activité spontanée de la vie nationale les dispense de chercher, pour les esprits oisifs, des satisfactions factices et malsaines. »

La paix un instant menacée en 1840 fut rétablie par la politique de M. Guizot; et l'accord se rétablit entre les grandes puissances par l'adoption du principe du maintien de l'intégrité du gouvernement ottoman; dès l'origine le roi Léopold avoit indiqué cette solution comme la seule possible (1). Examinant la question d'Orient à son point de vue le plus élevé on doit reconnoître qu'il est triste et déplorable de voir la rivalité entre les puissances maintenir de nombreuses populations chrétiennes sous une domination barbare; il est douleureux de voir livrer ces belles contrées à un gouvernement qui ne leur procure aucun des avantages de la civilisation et qui est même impuissant à les garantir contre les cruels excès du fanatisme; cependant sa destruction amèneroit en Europe la plus profonde perturbation; et aujourd'hui comme en 1840 après tant de sang répandu dans la guerre de Crimée on est encore obligé de considérer l'inté

(1) V. ci-dessus, T. 29, page 187.

grité de l'empire ottoman comme une condition de la paix européenne.

» Il y a, dit M. Guizot, dans les relations de l'Europe chrétienne avec l'empire ottoman un vice incurable: nous ne pouvons pas ne pas demander aux turcs ce que nous leur demandons pour leurs sujets chrétiens et ils ne peuvent pas, même quand ils se résignent à nous le promettre, faire ce que nous leur demandons. L'intervention européenne en Turquie est à la fois inévitable et vaine. Pour que les gouvernements et les peuples agissent efficacement les uns sur les autres par les conseils, les exemples, les rapports et les engagements diplomatiques, il faut qu'il y ait entre eux un certain degré d'analogie et de sympathie dans les mœurs, les idées, les sentiments dans les grands traits et les grands courants de la civilisation et de la vie sociale. Il n'y a rien de semblable entre les chrétiens européens et les turcs; ils peuvent par nécessité, par politique, vivre en paix à côté les uns des autres; ils restent toujours étrangers les uns aux autres; en cessant de se combattre, ils n'en viennent pas à se comprendre. Les turcs n'ont été en Europe que des conquérants destructeurs et stériles, incapables de s'assimiler les populations tombées sous leur joug et également incapables de se laisser pénétrer et transformer par elles ou par leurs voisins. Combien de temps durera encore le spectacle de cette incompatibilité radicale qui ruine et dépeuple de si belles contrées, et condamne à tant de misères tant de millions d'hommes? Nul ne le peut prévoir, mais la scène ne changera pas tant qu'elle sera occupée par les mêmes acteurs. Nous tentons aujourd'hui en Algérie une difficile entreprise; chrétiens, nous travaillons à faire connoître et accepter des musulmans arabes un gouvernement régulier et juste; mais l'Europe ne réussira jamais à faire que les tures gouvernent selon la justice les chrétiens de leur empire, et que les chrétiens croient au gouvernement des turcs et s'y confient, comme à un pouvoir légitime.

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En 1840, la France auroit pu tenter la conquête de Madagascar; à cette occasion M. Guizot présente les réflexions suivantes :

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« Pour qu'une nation fasse avec succès loin de son centre de grands établissements territoriaux et coloniaux, il faut qu'elle ait dans le monde, un commerce très étendu, très-actif, très-puissant, très-entreprenant, et que sa population soit disposée à transporter loin du sol natal sa force et sa destinée, à essaimer comme les abeilles. Ni l'une ni l'autre de ces conditions ne se rencontroit en 1840 et ne se rencontre encore en France. Nous avions bien assez d'une Algérie à conquérir et à coloniser. Rien ne nuit d'avantage à la grandeur des peuples que de grandes entreprises avortées et c'est l'un des malheurs de la France d'en avoir plus d'une fois tenté avec éclat de semblables, en Asie et en Amérique, dans l'Inde, à la Louisiane, au Canada, pour les abandonner ensuite et laisser tomber ses conquêtes aux mains de ses rivaux. »

Un incident diplomatique sur lequel M. Guizot s'étend longuement est celui de la reprise des relations diplomatiques avec l'Espagne; en 1841, le ministère jugea le moment opportun d'envoyer un

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