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ambassadeur auprès de la reine Isabelle encore mineure placée sous la tutelle du Régent Espastero, alors que la reine Christine avoit été obligée de se retirer en France. M. de Salvandy fut choisi pour remplir cette mission, il voulut présenter ces lettres de créance à la jeune reine, Espartero revendiqua le droit de les recevoir; de là un conflit qui eut pour conséquence le rappel de l'ambassadeur : la sagesse, la prudence de M. Guizot se manifestèrent dans les difficultés de cet incident diplomatique auquel il ne dépendit pas de M. de Salvandy de donner des proportions exagérées.

M. Guizot trace de M. de Salvandy un portrait dont chacun des détails de cette affaire vérifie l'exactitude:

«M. de Salvandy, esprit élevé, généreux, entreprenant, monarchique et libéral avec une sincérité profonde quoique un peu fastueuse, plein de vues politiques saines, même quand elles étoient exubérantes et imparfaitement équilibrées, pas toujours mesuré dans les incidents et les dehors de la vie publique, mais sensé au fond, capable de faire des fautes, mais capable aussi de les reconnoître, d'en combattre loyalement les conséquences et d'en porter dignement le poids. Il avoit été ministre de l'instruction publique dans le cabinet de M. Molé et je trouvois un réel avantage à le retirer de l'opposition et à le rallier au ministère. Il connoissoit et aimoit l'Espagne : il accepta volontiers cette aventureuse mission. »

C'étoit assurément un expédient politique très-habile de retirer un homme considérable de l'opposition en lui conférant de hautes fonc tions, mais cette manière de fortifier le parti ministériel n'étoit pas de nature à augmenter dans l'opinion le respect du régime parlementaire; il faut bien le reconnoître les nuances d'opinions qui divisèrent les principaux personnages politiques de cette époque n'étoient pas toujours comprises et faisoient croire aux esprits vulgaires que des ambitions personnelles étoient la seule raison d'être des luttes politiques, qui donnoient aux uns le pouvoir et rangeoient les autres dans l'opposition.

M. Guizot s'étend longuement sur les difficultés que rencontra le traité qui avoit pour but d'assurer la répressión de la traite des nègres, en évitant le droit de visite qui froissoit en France l'opinion publique. Il décrit des obsèques de Napoléon qui furent pour le gouvernement de juillet le sujet d'une bien grande illusion. Il expose la question des fortifications de Paris qui,résolue à cette époque, plaça le cabinet dans une étrange situation, puisque ce projet fut présenté par le maréchal Soult, ministre de la guerre, qui le désapprouvoit ouvertement. M. Guizot raconte aussi l'attentat dirigé contre le prince d'Aumale et les princes ses frères le 13 septembre 1841, attentat qui après tant d'autres du même genre fut un nouvel indice de la démoralisation que répandoient les factions révolutionnaires. L'exposé de ces évènements historiques, les réflexions dont M. Guizot les accompagne pré. sentent un puissant intérêt.Cependant on sent facilement que ce nouveau volume a été écrit plus rapidement que les précédents; on n'y trouve presque plus ces portraits si fortement tracés, qui animoient les premiers livres de son ouvrage ; ses considérations générales sont

plus rapides, moins complètes ; mais son style conserve cette vigueur, cette largeur, cette fermeté puissante qu'il n'a acquises que pendant ces dernières années; M. Guizot après avoir joué un grand rôle dans le monde, après avoir comme professeur, homme d'Etat, orateur politique déployé de rares et hautes qualités n'est devenu un grand écrivain que dans la dernière partie de sa vie, dans cette retraite que les événements de 1848 lui out imposée et qu'il a su remplir,pour sa gloire et notre instruction, de si nobles travaux.

LES SOPHISTES ET LA CRITIQUE,

Par A. GRATRY, prêtre de l'oratoire de l'Immaculée-Conception, professeur de théologie morale à la Sorbonne. Paris 1864. Prix 6 fr.

La vie de Jésus, par M. Renan, se rattache à un mouvement d'idées que propagent de nombreux écrits. Le P. Gratry dans son nouvel ouvrage combat toute l'école à laquelle appartient M. Renan et qui compte parmi ses maîtres MM. Littré, Vacherot, Scherer, Havet et Taine. Cette école annonce qu'elle repose sur la critique; mais la critique qu'elle prétend exercer sur tout, doit être aussi appliquée aux doctrines qu'elle enseigne; c'est la tâche que le P. Gratry a entreprise; il a mis en lumière le principe fondamental de l'école, il l'a dégagé de l'appareil scientifique dont il se couvre et des rafinements de langage qui le cachent; il a apporté dans son examen une scrupuleuse précision; en exposant le système de ses adversaires, non-seulement il leur a emprunté leurs paroles, mais il a reproduit à la fin de son ouvrage les passages entiers d'où il a extrait ses citations; et il arrive à démontrer d'une manière rigonreuse que l'école dont l'ouvrage de M. Renan a été une des plus éclatantes manifestations, est une secte de sophistes et d'athées.

Le procédé du P. Gratry consiste à présenter son idée dans son premier jet, avec éclat et vigueur, d'y revenir ensuite pour la préciser en tout sens, et à mettre en relief les déductions qu'il en tire; il ne craint pas les répétitions pas plus que les mathématiciens qui ne cherchent que la rigueur du raisonnement; mais en même temps aussi il a en lui l'élan de l'âme, la splendeur du style, la flamme de l'imagination; c'est ce mélange de haute et brillante inspiration et de raisonnement positif et précis qui forme le caractère de l'éminent philosophe; c'est ce qui donne à ses écrits un cachet original auquel ou peut les reconnoître. Il y a dans les grands ouvrages philosophiques du P. Gratry, dont nous avons naguère entretenu nos lecteurs, des pages de méditations hautes, pures, sereines, d'une beauté achevée, d'une splendeur sans tache. Dans l'ouvrage que nous examinons, le talent de l'écrivain se présente sous un nouvel

aspect, au milieu des difficultés et des entraînements de la poléinique.

Dire que l'on doit à la personne de ses adversaires la modération et même la charité, à toutes les doctrines la vérité et la justice, c'est une maxime reconnue et même banale; ce qui est difficile c'est de la mettre en pratique et d'éviter le double écueil de trahir la vérité par des condescendances pour l'erreur, et de blesser la justice à l'égard de ceux dont on doit condamner les idées et les œuvres. Cependant, il y a de nos jours bien des gens qui confondent la tolérance à l'égard des erreurs et la tolérance à l'égard des personnes; on a érigé en système cette fausse tolérance qui consiste à tout admettre comme vrai, à embrasser à la fois des principes qui se contredisent; on va même jusqu'à proposer de bannir le

mot erreur:

« Il est un principe, disoit récemment M. Scherer dans la Revue des deux Mondes, qui s'est emparé avec force de l'esprit moderne et que nous devons à Hegel, je veux parler du principe en vertu duquel une assertion n'est pas plus vraie que l'assertion opposée.. Aujourd'hui rien n'est plus, parmi nous, vérité ni erreur. Il faut inventer d'autres mots. Nous ne voyons plus partout que degrés et que nuances, nous admettons jusqu'à l'identité des contraires. Nous ne connoissons plus la religion, mais des religions, la morale, mais des mœurs, les principes, mais des faits. Nous expliquons tout et, comme on l'a dit, l'esprit finit par approuver ce qu'il explique. La vertu moderne se résume dans la tolérance..... Au fond et à le bien prendre, personne ne se contredit jamais. L'accusation de contradiction n'est qu'une manière de déguiser l'ignorance de celui qui l'intente.... Faut-il le dire? je crois médiocrement aux vérités toutes faites.... L'univers n'est que le flux éternel des choses. Et il en est du beau, du vrai, du bien comme du reste. Ils ne sont pas, ils se font une vérité, pour rester vraie, a besoin d'être constaminent renouvelée,... d'être complétée par ses contraires..... Fixez-la, elle vous échappe et vous ne tenez plus qu'un mensonge........ »

Personne n'a moins que le P. Gratry cette sorte de tolérance qui n'est que la foiblesse d'esprits blasés qui ne savent plus s'attacher à une conviction, qui ne cherchent qu'à apercevoir de fines nuances. d'habiles gradations, des traits peu accentués; avoir des idées flottantes et ondoyantes, aux contours indécis pouvant se plier aux contradictions, tel est l'idéal de certains écrivains; personne ne leur est plus opposé et plus contraire que le P. Gratry; il a un esprit net, un style caractérisé, il aime la vérité et il la défend, il sait condamner d'une manière absolue les doctrines qui blessent ses convictions, il a des expressions énergiques, des mots vengeurs, des sévérités éclatantes pour repousser les attaques contre les principes qui renferment le salut de l'humanité, qui sont la source de la vie inorale et qui donnent aux âmes leurs plus pures consolations.

Mais s'il donne cours à son indignation contre de funestes et détestables doctrines, ce noble esprit a cependant le soucis constant de ménager la personne de ses adversaires. La lutte contre les idées devient stérile quand on la fait descendre sur le terrain des personnalités. A quoi sert-il d'incriminer les intentions, de méconnoître le talent, de suspecter la bonne foi de ceux à qui on fait l'honneur de les combattre? Quel vain et périlleux exercice de vouloir juger des hommes lorsqu'il s'agit de discuter des idées ! « Les hommes, dit le P. Gratry, sont surtout foibles et variables et inconnus, inconnus d'eux-mèmes et des antres. » C'est pourquoi la vraie tolérance, celle qui s'adresse aux personnes, et qui de son nom chrétien s'appelle la charité, est non-seulement une grande vertu, mais elle est aussi une grande sagesse. On ne risque pas de se tromper en la pratiquant.

On a beau annoncer que le XIX siècle a découvert une nouvelle logique, professer pour les idées vulgaires le dédain transcendant; il est évident qu'un système qui nie le principe de contradiction, qui enseigne l'identité des contraires, qui proclame qu'une même chose peut à la fois être et n'être pas, ne fera jamais de nombreux prosélytes; elle a une si évidente absurdité que les esprits qui ne sont pas familiarisés avec l'histoire de la philosophie, se demandent comment il est possible à des gens sérieux de s'occuper de semblables théories, quelle que soit la science et le génie de ceux qui les enseignent; la véritable philosophie repose sur le bon sens, il n'y a pas à raisonner avec celui qui admet la possibilité de l'existence simultanée de deux choses contradictoires, disoit Aristote, ce n'est pas un homme, c'est une plante. De pareilles doctrines se réfutent en les exposant; mais il est utile et intéressant d'étudier comment elles ont pu naître, d'examiner leur source et leur généalogie.

De la même manière que l'humanité n'admettra jamais que le vrai c'est l'absurde, de même on ne parviendra pas à l'entrainer à la négation absolue de Dieu. L'athéïsme a en lui-même quelque chose d'effrayant et de repoussant et l'âme ne se voit pas arracher l'idée de Dieu sans se sentir mortellement blessée. Cependant l'école positiviste qui compte aujourd'hui nombre d'écrivains brillants, ingénieux, rafinés, adopte la doctrine de Hegel; elle nie de la manière la plus positive l'existence de Dieu; mais en même temps qu'elle enseigne la doctrine hégélienne, elle la renie; aucun de ces écrivains ne veut s'avouer disciple de Hegel, ils le réfutent parfois et pratiquent ainsi cux-mêmes à l'égard de leur maître le système qu'ils ont puisé dans ses ouvrages; c'est ce que prouve parfaitement le père Gratry; prenant un article de M.Scherer sur l'Hegelianisme inséré dans la Revue des deux mondes, il montre l'écrivain repoussant d'abord très-énergiquement le système de Hegel, puis le professant, après l'avoir jugé

en ces termes:

Le systéme de Hegel est plein de disparates, c'est un mélange

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de puissance et de foiblesse. Il attire et repousse tour à tour. Il » séduit par la hardiesse de la tentative, par la grandeur de la conception, par la richesse des ressources, par la force soutenue de » l'exécution. Il scandalise par les violences faites à la réalité, par » les tours de passe-passe au moyen desquels l'auteur arrive à ses fins, par la stérilité générale de l'œuvre. L'œuvre est stérile parce » qu'elle est contradictoire. Elle l'est dans son essence, elle l'est » dans ses termes. On ne peut l'énoncer sans en faire jaillir la con>>tradiction. »

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La doctrine de Hegel, le Père Gratry la trouve énoncée avec une rare précision dans un ouvrage écrit en français par M. Michelet de Berlin.

« L'être et le néant sont identiques, dit M. Michelet .... toutes les catégories parcourues ou à parcourir sont des preuves de l'identité des contraires... Remarquons que les choses différentes ne sont pas différentes à cet égard et identiques sur un autre point, mais par rapport à la même chose. Elles sont différentes parce qu'elles sont identiques. De même la vérité et l'erreur sont opposées et identiques. Leur identité... forme la vérité qui n'est donc pas hors de l'erreur. Telle est aussi l'identité du bien et du mal.....

>> En quoi deux choses sont-elles différentes ? Cet en quoi, c'est leur identité. »

Le P. Gratry montre dans la nouvelle école française cette même théorie. Il arrive à en conclure que cette école s'est une école de sophistes :

« C'est une affreuse sophistique, dit avec raison M. de Sacy dans le Journal des Débats, qui vise à l'agréable et au poli, et qui cher– che à cacher son aridité sous une brillante parure de mots et de phrases habilement arrangés. »>

L'école des positivistes enseigne qu'il n'y a pas de Dieu et cependant elle ne peut se résoudre à se reconnoître athée; son athéisme est clairement démontré par ses propres paroles et même par les efforts qu'elle fait pour le nier :

<«< Tous disent il n'y a rien au-dessus de l'homme et de la nature. Il n'y a au-dessus de l'homme ni Dieu, ni Providence, ni aucun être intelligent et libre. Voilà ce qu'ils enseignent tous. Mais l'un ajoute je ne suis pourtant pas athée, car j'ai dit : « C'est l'homme qui est mon Dieu. » Ainsi parle M. Littré, et quelquefois M. Renan. L'autre dit : « je ne suis pas athée, car je soutiens qu'il y a dans l'homme une certaine idée qui est Dieu. » Ainsi parle M. Vacherot, et quelquefois M. Renan. M. Havet dit aussi : « Ce qui n'est pas dans la nature n'est rien et ne sauroit être compté pour rien, si ce n'est pour une idée. » Mais j'ignore s'il soutient que cette idée-là est son Dieu. Le père de toute la secte s'est élevé jusqu'à cette restriction mentale invraisemblable: « En dehors de l'homme et de la nature il n'y a rien que le néant. Et c'est ce néant

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