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traite au premier, conséquence extraordinaire des deux témoignages, en affaiblit la valeur.

Nous n'ajouterions point foi au témoignage d'un homme qui nous attesterait qu'en projetant cent dés en l'air, ils sont tous retombés sur la même face. Si nous avions été nous-mêmes spectateurs de cet événement, nous n'en croirions nos propres yeux, qu'après en avoir scrupuleusement examiné toutes les circonstances, et après en avoir rendu d'autres yeux témoins, pour être bien sûrs qu'il n'y a eu ni hallucination ni prestige. Mais après cet examen, nons ne balancerions point à l'admettre, malgré son extrême invraisemblance; et personne ne serait tenté, pour l'expliquer, de recourir à un renversement des lois de la vision. Nous devons en conclure que la probabilité de la constance des lois de la nature est, pour nous, supérieure à celle que l'événement dont il s'agit ne doit point avoir lieu, probabilité supérieure elle-même à celle de la plupart des faits historiques que nous regardons comme incontestables. On peut juger par là du poids immense de témoignages, nécessaire pour admettre une suspension des lois naturelles et combien il serait abusif d'appliquer à ce cas les règles ordinaires de la critique. Tous ceux qui sans offrir cette immensité de témoignages, étayent ce qu'ils avancent, de récits d'événemens contraires à ces lois, affaiblissent plutôt qu'ils n'augmentent la croyance qu'ils cherchent à inspirer; car alors ces récits rendent trèsprobable l'erreur ou le mensonge de leurs auteurs. Mais ce qui diminue la croyance des hommes éclairés, accroît souvent celle du vulgaire, toujours avide du merveilleux.

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a des choses tellement extraordinaires, que rien ne peut en balancer l'invraisemblance. Mais celle-ci, par

l'effet d'une opinion dominante, peut être affaiblie aw point de paraître inférieure à la probabilité des témoi– gnages; et quand cette opinion vient à changer, un récit absurde admis unanimement dans le siècle qui lui a donné naissance, n'offre aux siècles suivans, qu'une nouvelle preuve de l'extrême influence de l'opinion générale, sur les meilleurs esprits. Deux grands hommes du siècle de Louis XIV, Racine et Pascal en sont des exemples frappans. Il est affligeant de voir avec quelle complaisance, Racine, ce peintre admirable du cœur humain et le poète le plus parfait qui fut jamais, rapporte comme miraculeuse, la guérison de la jeune Perrier, nièce de Pascal et pensionnaire à l'abbaye de PortRoyal: il est pénible de lire les raisonnemens par lesquels Pascal cherche à prouver que ce miracle devenait nécessaire à la religion, pour justifier la doctrine des religieuses de cette abbaye, alors persécutées par les Jésuites. La jeune Perrier était, depuis trois ans et demi, affligée d'une fistule lacrymale : elle toucha de son œil malade, une relique que l'on prétendait être une des épines de la couronne du Sauveur, et elle se crut à l'instant guérie. Quelques jours après, les médecins et les chirurgiens constatèrent la guérison, et ils jugèrent que la nature et les remèdes n'y avaient eu aucune part. Cet événement, arrivé en 1656, ayant fait un grand bruit, «tout Paris se porta, dit Racine, à Port-Royal. » La foule croissait de jour en jour, et Dieu même sem» blait prendre plaisir à autoriser la dévotion des peuples, par la quantité de miracles qui se firent en cette

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église. » A cette époque, les miracles et les sortiléges ne paraissaient pas encore invraisemblables; et l'on n'hésitait point à leur attribuer les singularités de la nature, que l'on ne pouvait autrement expliquer.

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Cette manière d'envisager les effets extraordinaires, se retrouve dans les ouvrages les plus remarquables du siècle de Louis XIV, dans l'Essai mêmé sur l'entendement humain, du sage Locke, qui dit en parlant des degrés d'assentiment: « quoique la commune expérience » et le cours ordinaire des choses aient, avec raison, une grande influence sur l'esprit des hommes, pour les » porter à donner ou à refuser leur consentement à une » chose qui leur est proposée à croire, il y a pourtant » un cas où ce qu'il y a d'étrange dans un fait n'affai» blit point l'assentiment que nous devons donner au témoignage sincère sur lequel il est fondé. Lorsque » des événemens surnaturels sont conformes aux fins' » que se propose celui qui a le pouvoir de changer le >> cours de la nature, dans un tel temps et dans de telles » circonstances, ils peuvent être d'autant plus propres » à trouver créance dans nos esprits, qu'ils sont plus » au-dessus des observations ordinaires, ou même qu'ils » y sont plus opposés. » Les vrais principes de la probabilité des témoignages ayant été ainsi méconnus des philosophes auxquels la raison est principalement redevable de ses progrès, j'ai cru devoir exposer, avec étendue, les résultats du calcul sur cet important objet.

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Ici se présente naturellement la discussion d'un argument fameux de Pascal, que Craig, mathématicien anglais, a reproduit sous une forme géométrique. Des témoins attestent qu'ils tiennent de la Divinité même, qu'en se, conformant à telle chose, on jouira, non pas d'une ou de deux, mais d'une infinité de vies heureuses. Quelque faible que soit la probabilité des témoignages, pourvu qu'elle ne soit pas infiniment petite, il est clair que l'avantage de ceux qui se conforment à la chose prescrite, est infini, puisqu'il est le produit de cette probabilité

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par un bien infini; on ne doit donc point balancer à se procurer cet avantage.

Cet argument est fondé sur le nombre infini des vies heureuses promises au nom de la Divinité, par les témoins; il faudrait donc faire ce qu'ils prescrivent, parce qu'ils exagèrent leurs promesses au-delà de toutes limites, conséquence qui répugne au bon sens. Aussi le calcul nous fait-il voir que cette exagération même affaiblit la probabilité de leur témoignage, au point de la rendre infiniment petite ou nulle. En effet, ce cas revient à celui d'un témoin qui annoncerait la sortie du numéro le plus élevé, d'une urne remplie d'un grand nombre de numéros dont un seul a été extrait, et qui aurait un grand intérêt à annoncer la sortie de ce numéro. On a vu précédemment combien cet intérêt affaiblit son témoignage. En n'évaluant qu'à ‡ la probabilité que si le témoin trompe, il choisira le plus grand numéro, le calcul donne la probabilité de son annonce, plus petite qu'une fraction dont le numérateur est l'unité, et dont le dénominateur est l'unité plus la moitié du produit du nombre des numéros, par la probabilité du mensonge considérée à priori ou indépendamment de l'annonce. Pour assimiler ce cas à celui de l'argument de Pascal, il suffit de représenter par les numéros de l'urne, tous les nombres possibles de vies heureuses, ce qui rend le nombre de ces numéros infini, et d'observer que si les témoins trompent, ils ont le plus grand intérêt, pour accréditer leur mensonge, à promettre une éternité de bonheur. L'expression de la probabilité de leur témoi– gnage devient alors infiniment petite. En la multipliant par le nombre infini de vies heureuses promises, l'infini disparaît du produit qui exprime l'avantage résultant de cette promesse, ce qui détruit l'argument de Pascal.

10000

Considérons présentement la probabilité de l'ensemble de plusieurs témoignages sur un fait déterminé. Pour fixer les idées, supposons que ce fait soit la sortie d'un numéro d'une urne qui en referme cent, et dont on a extrait un seul numéro. Deux témoins de ce tirage, annoncent que le n° 2 est sorti ; et l'on demande la probabilité résultante de l'ensemble de ces témoignages. On peut former ces deux hypothèses : les témoins disent la vérité; les témoins trompent. Dans la première hypothèse, le no 2 est sorti, et la probabilité de cet événement est. Il faut la multiplier par le produit des véracités des témoins, véracités que nous supposerons être et on aura donc pour la probabilité de l'événement observé, dans cette hypothèse. Dans la seconde, le no 2 n'est pas sorti, et la probabilité de cet événement est 9. Mais l'accord des témoins exige alors qu'en cherchant à tromper, ils choisissent tous deux le numéro 2, sur les 99 numéros non sortis : la probabilité de ce choix, si les témoins ne s'entendent point, est le produit de la fraction par elle-même; il faut en-, suite multiplier ces deux probabilités ensemble, et par le produit des probabilités et que les témoins trompent; on aura ainsi pour la probabilité de l'événement observé, dans la seconde hypothèse. Maintenant on aura la probabilité du fait attesté ou de la sortie du n° 2, en divisant la probabilité relative à la première hypothèse, par la somme des probabilités relatives aux deux hypothèses; cette probabilité sera donc 2079; et la probabilité de la non-sortie de ce numéro et du mensonge des témoins sera ...

99

100

I

330000

080

21

Si l'urne ne renfermait que les numéros I et 2, on trouverait de la même manière pour la probabilité de la sortie du n° 2, et par conséquent pour la proba

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