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quelquefois d'agir fortement, après que la raison nous a désabusés. Mais la répétition d'actes contraires à ces préjugés, peut toujours les détruire. C'est ce que nous allons établir par les considérations suivantes.

Aux limites de la Physiologie visible, commence une autre Physiologie dont les phénomènes beaucoup plus. variés que ceux de la première, sont comme eux, assujétis à des lois qu'il est très-important de connaître. Cette Physiologie que nous désignerons sous le nom de Psychologie, est sans doute, une continuation de la Physiologie visible. Les nerfs dont les filamens se perdent dans la substance médullaire du cerveau, y propagent les impressions qu'ils reçoivent des objets extérieurs, et ils y laissent des impressions permanentes qui modifient, d'une manière inconnue, le sensorium ou siége de la sensation et de la pensée (1). Les sens extérieurs ne peuvent rien apprendre sur la nature de ces modifications étonnantes par leur infinie variété, et par la distinction et l'ordre qu'elles conservent dans le petit espace qui les renferme; modifications dont les phénomènes si variés de la lumière et de l'électricité nous donnent quelque idée. Mais en appliquant aux observations du sens interne qui peut seul les apercevoir, la méthode dont on a fait usage pour les observations des sens externes, on pourra porter dans la théorie de l'entendement humain, la même exactitude que dans les autres branches de la Philosophie naturelle.

Déjà quelques-uns des principes (2) de Psychologie

(1) Les considérations suivantes sont entièrement indépendantes du lieu de ce siége et de sa nature.

(2) Je désigne ici par la dénomination de principes les rapports généraux des phénomènes.

ont été reconnus et développés avec succès. Telle est la tendance de tous les êtres semblablement organisés, à se mettre entre eux en harmonie. Cette tendance qui constitue la sympathie, existe même entre des animaux d'espèces diverses : elle diminue à mesure que leur organisation est plus dissemblable. Parmi les êtres doués d'une même organisation, quelques-uns se coordonnent plus promptement entre eux, qu'avec les autres. La nature inorganique nous offre de semblables phénomènes : deux pendules ou deux montres dont la marche est très-peu différente, étant placées sur un même support, finissent par avoir exactement la même marche; et dans un système de cordes sonores, les vibrations de l'une d'elles font résonner toutes ses harmoniques. Ces effets dont les causes bien connues ont été soumises au calcul, donnent une idée juste de la sympathie qui dépend de causes bien plus compliquées.

Un sentiment agréable accompagne presque toujours les mouvemens sympathiques. Dans la plupart des espèces d'animaux, les individus s'attachent ainsi les uns aux autres, et se réunissent en sociétés. Dans l'espèce humaine, les imaginations fortes ressentent un vrai bonheur à dominer les imaginations faibles qui n'en ressentent pas moins à leur obéir. Les sentimens sympathiques excités à la fois dans un grand nombre d'individus, s'accroissent par leur réaction mutuelle, comme on l'observe au théâtre. Le plaisir qui en résulte, rapproche les personnes d'opinions semblables, que leur réunion exalte quelquefois jusqu'au fanatisme. De là naissent les sectes, la ferveur qu'elles excitent, et la rapidité de leur propagation. Elles offrent, dans l'histoire, les plus étonnans et les plus funestes exemples du pouvoir de sympathie. On a souvent lieu de remarquer la facilité avec

laquelle les mouvemens sympathiques, tels que le rire, se communiquent par la simple vue, sans le concours d'aucune autre cause dans ceux qui les reçoivent. L'influence de la sympathie sur le sensorium est incomparablement plus puissante : les vibrations qu'elle y excite, lorsqu'elles sont extrêmes, produisent, en réagissant sur l'économie animale, des effets extraordinaires que l'on a, dans les siècles de superstition, attribués à des agens surnaturels, et qui, par leur singularité, méritent l'attention des observateurs.

La tendance à l'imitation existe même à l'égard des objets de l'imagination. Placés dans une voiture qui nous paraît se diriger vers un obstacle, nous imitons involontairement, le mouvement qu'elle doit prendre pour l'éviter. On peut concevoir que l'idée de ce mouvement et la tendance à l'imiter correspondent à des mouvemens du sensorium, dont le premier produit le second, à peu près comme les vibrations d'une corde sonore font vibrer ses harmoniques. On explique ainsi, comment l'idée de la chute dans un précipice fortement imprimée par la peur, peut y faire tomber celui qui le traverse sur une planche étroite qu'il parcourrait d'un pas ferme, si elle était posée dans toute sa longueur sur la terre. Je connais des personnes qui éprouvent une telle excitation à se précipiter d'une grande hauteur où elles se voient élevées, qu'elles sont forcées, pour y résister, d'augmenter les précautions prises pour les retenir, et cependant bien propres à les rassurer.

Par une noble prérogative de l'espèce humaine, le récit d'actions grandes et vertueuses nous enflamme et nous porte à les imiter. Mais quelques individus tiennent de leur organisation ou de pernicieux exemples, des penchans funestes qu'excite vivement le récit d'une

action criminelle devenue l'objet de l'attention publique. Sous ce rapport, la publicité des crimes n'est pas sans danger.

La commisération, la bienveillance et beaucoup d'autres sentimens dérivent de la sympathie. Par elle, on ressent les maux d'autrui et l'on partage le contentement du malheureux qu'on soulage. Mais je ne veux ici qu'exposer les principes de Psychologie, sans entrer dans le développement de leurs conséquences (1).

L'un de ces principes, le plus fécond de tous, est celui de la liaison de toutes les choses qui ont eu dans le sensorium une existence simultanée, ou régulièrement successive; liaison qui par le retour de l'une d'elles, rappelle les autres. Les objets que nous avons déjà vus, réveillent les traces des choses qui, dans la première vue, leur étaient associées. Ces traces réveillent semblablement celles des autres objets, et ainsi de suite; en sorte qu'à l'occasion d'une chose présente, nous pouvons en rappeler une infinité d'autres, et arrêter notre attention sur celles que nous voulons considérer. A ce principe se rattache l'emploi des signes et des langues pour le rappel des sensations et des idées, pour la formation de l'analyse des idées complexes, abstraites et générales, et pour le raisonnement. Plusieurs philosophes ont bien développé cet objet qui, jusqu'à présent, constitue la partie réelle de la Métaphysique.

C'est en vertu de ce principe, que l'on parvient à estimer les distances à la simple vue. Une comparaison souvent répétée du mètre, avec diverses distances qui

(1) La narration que Montaigne fait, dans ses Essais, de l'amitié qui existait entre lui et la Boëtie, offre un exemple bien remarquable d'un genre de sympathie extrêmement rare.

en contiennent des nombres entiers, imprimé dans la mémoire, ces traces associées aux nombres de mètres

l'on

qui leur correspondent. La vue d'une distance que veut apprécier réveille ces traces; et si l'une d'elles s'adapte exactement ou à fort peu près, à l'impression de la distance que l'on a sous les yeux, on juge que cette distance renferme le nombre de mètres associé, dans la mémoire, à la trace qui paraît lui être égale. C'est encore ainsi que l'on parvient à estimer le poids de corps, en les soupesant.

On peut établir en principe de Psychologie, que leş impressions souvent répétées d'un même objet sur divers sens, modifient le sensorium, de manière que l'impression intérieure correspondante à l'impression extérieure de l'objet sur un seul sens, devient très-différente de ce qu'elle était à l'origine. Développons ce principe, et pour cela, considérons un aveugle de naissance, auquel on vient d'abaisser la cataracte. L'image de l'objet qui se peint sur sa rétine, produit dans son sensorium, une impression que je nommerai seconde image, sans prétendre l'assimiler à la première, ni rien affirmer sur sa nature. Cette seconde image n'est pas d'abord une représentation fidèle de l'objet. Mais la comparaison habituelle des impressions de cet objet par le tact, avec celles qu'il produit par la vue, finit, en modifiant le sensorium, par rendre la seconde image conforme à la nature représentée fidèlement par le toucher. L'image peinte sur la rétine, ne change point; mais l'image inférieure qu'elle fait naître, n'est plus la même ; comme les expériences faites sur plusieurs aveugles de naissance auxquels on avait rendu la vue, l'ont prouvé.

C'est principalement dans l'enfance, que le sensorium acquiert ces modifications. L'enfant comparant sans

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