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Fenelon.

Par. Y avez-vous évité la confufion?

Poul. J'ai évité la confufion et la fymetrie. J'ai fait beaucoup de bâtimens irreguliers. Mais ils ne laiffent pas de faire un affemblage gracieux, où chaque chofe a fa place la plus naturelle. Tout fe démêle et fe diftingue fans peine. Tout s'unit et fait corps. Ainfi il y a une confufion apparente, et un ordre véritable quand on l'obferve de près.

Par. N'avez-vous pas mis fur le devant quelque principal edifice?

Pouf. J'y ai mis deux Temples. Chacun a une grande enceinte, comme illa doit avoir; où l'on distingue le corps du Temple des autres bâtimens qui l'accompagnent. Le Temple qui eft à la main droite a un portail orné de quatre grandes colonnes de l'ordre Corinthien, avec un fronton et des ftatues. Autour de ce Temple on voit des feftons pendans: c'eft une fête que j'ai voulu réprefenter fuivant la verité de l'Hiftoire. Pendant qu'on emporte Phocion hors de la ville vers le bûcher, tout le peuple en joie et en pompe fait une grande folemnité autour du Temple dont je vous parle. Quoique ce peuple paroiffe affés loin, on ne laiffe pas de remarquer fans peine une action de joie pour honorer les Dieux. Derrière ce Temple paroît une groffe tour très haute, au fommet de laquelle eft une ftatue de quelque Divinité. Cette tour eft comme une grof

fe colonne.

Par. Où eft ce que vous en avez pris l'idée ?

Pouf. Je ne m'en fouviens plus. Mais elle eft furement prife dans l'antique, car jamais je n'ai pris la liberté de rien donner à l'antiquité, qui ne fûttité de fes monumens. On voit auffi auprès de cette

tour un obelisque.

Par. Et l'autre Temple, n'en direz vous rien?

Pouf

Pouf. Cet autre Temple eft un édifice rond, foutenu de colonnes, l'architecture en paroît majestueufe. Dans l'enceinte on remarque divers grands bâtimens avec des frontons, Quelques arbres en dérobent une partie à la vue. J'ai voulu marquer

un bois facré.

Par. Mais venons au corps de la ville.

Pouf. J'ai crû y devoir marquer les divers tems de la Republique d'Athenes; fa premiere fimplicité, à remonter jusques vers les tems heroïques, et la magnificence dans les fiècles fuivans où les arts y ont fleuri. Ainfi j'ai fait beaucoup d'édifices ou ronds ou quarrés, avec une architecture regulière, et beaucoup d'autres qui fentent cette antiquité ruftique et guerriere. Tout y eft bizarre. On ne voit que tours, que creneaux, que hautes murailles, que petits bâtimens inégaux et fimples. Une chofe rend cette ville agréable, c'eft que tout y eft mêle de, grands édifices et de boccages. J'ai cru qu'il faloit mettre de la verdure par tout pour reprefenter les bois facrés des Temples, et les arbres qui étoient foit dans les gymnafes ou dans les autres édifices publics. Par tout j'ai tâché d'éviter de faire des bâtimens qui euffent rapport à ceux de mon tems et de mon pays, pour donner à l'antiquité un caractęre facile a reconnoître.

Par. Tout cela eft obfervé judicieusement. Mais je ne vois point l'Acropolis. L'avez-vous oublié ? Ce feroit dommage?

Pouf Je n'avois garde. Il eft derriere toute la ville fur le fommet de la montagne, la quelle domine le côteau en pente. On voit à fes pieds de grands bâtimens fortifiés par des tours. La montagne eft couverte d'une agréable verdure. Pour la Citadelle, il paroît une affez grande enceinte avec une vieille tour qui s'éleve jufques dans la nuë. Vous remarquerez que la ville qui va toujours en baillant vers

Fenelon.

Fenelon. le côté gauche, s'éloigne infenfiblement, et fe perd entre un boccage fort fombre, dont je vous ai parlé, et un petit bouquet d'autres arbres d'un verd brun et enfoncé, qui eft fur le bord de l'eau.

Par. Je ne fuis pas encore content. vous mis derriere toute cette ville?

Qu'avez

Pouf. C'est un lointain où l'on voit des montagnes elcarpées et affez fauvages.. Il y en a une derriere ces beaux Temples et cette pompe fi riante, dont je vous ai parlé, qui eft un roc tout nud et affreux. Il m'a paru que je devois faire le tour de la ville cultivé et gracieux, comme celui des grandes villes l'eft toujours. Mais j'ai donné une certaine beauté fauvage au lointain, pour me conformer à l'Histoire qui parle de l'Attique comme d'un pays rude et fterile.

Par. J'avoue que ma curiofité eft bien fatisfaite, et je ferois jaloux pour la gloire de l'Antiquité, fi pouvoit l'être d'un homme qui l'a imitée fi modeftement.

Pouf Souvenez-vous au moins que fi je vous ai long-tems entretenu de mon ouvrage, je l'ai fait pour ne vous rien refufer, et pour me foumettre à votre jugement.

Par. Après tant de fiecles vous avez fait plus d'honneur à Phocion, que fa patrie n'auroit pû lui en faire le jour de fa mort par de fomptueufes funerailles. Mais allons dans ce boccage ici près, où il eft avec Timoleon et Aristide, pour lui apprendre de fi agréables nouvelles.

Leonard

Leonard de Vinci et Pouffin.

Fenelon.

Leo. Votre converfation avec Parrhafius fait beaucoup de bruit en ce bas monde, on affure qu'il eft prévenu en votre faveur, et qu'il vous met au deffus de tous les Peintres Italiens. Mais nous ne le

fouffrirons jamais....

Pouf. Le croyez-vous fi facile à prévenir? Vous lui faites tort. Vous vous faites tort à vous-même, et vous me faites trop d'honneur.

Leo. Mais il m'a dit qu'il ne connoiffoit rien de fi beau que le tableau que vous lui aviez représenté. A quel propos offenfer tant de grands hommes pour en louer un feul qui...

Pouf. Mais pourquoi croyez-vous qu'on vous offenfe en louant les autres. Parrhafius n'a point fait de comparaifon. De quoi vous fâchez-vous?

Leo. Oui vraiment, un petit Peintre François, qui fut contraint de quitter la patrie pour aller ga fa vie à Rome.

gner

Pouf. Ho! puisque vous le prénez par-là, vous n'aurez pas le dernier mot. Hé bien, je quittai la France, il eft vrai, pour aller vivre à Rome, où j'avois étudié les modeles antiques, et où la Peinture étoit plus en honneur qu'en mon pays. Mais enfin, quoiqu' étranger, j'étois admiré dans Rome. Et vous qui étiez Italien ne futes-vous pas obligé d'abandonner votre pays, quoique la Peinture y fut fi honorée, pour aller mourir à la Cour de François pre mier?

Leo. Je voudrois bien examiner un peu quelqu'un de vos tableaux fur les regles de Peinture que

J

Fenelon. j'ai expliquées dans mes livres.
de fautes que de coups de pinceau.

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On verroit autant

Pouf. J'y confens, je veux croire que je ne fuis pas auffi grand Peintre que vous, mais fe fuis moins jaloux de mes ouvrages. Je vais vous mettre devant les yeux toute l'ordonnance d'un de mes tableaux. Si vous y remarquez des défauts je les avouerai franchement; fi vous approuvez ce que j'ai fait, je vous contraindrai à m'eftimer un peu plus que vous ne faites.

Leo. Hé bien, voyons donc. Mais je fuis un fevere Critique, fouvenez-vous en.

Pouf. Tant mieux. Repréfentez-vous un rocher qui eft dans le côté gauche du tableau. De ce rocher tombe une fource d'eau pur et claire, qui après avoir fait quelques petits bouillons dans fa chute, s'enfuit au travers de la campagne. Un homme qui étoit venu pour puifer de cette eau, eft faifi par un ferpent monftreux. Le ferpent fe lie autour de fon corps, et entrelaffe fes bras et fes jambes par plufieurs tours, le ferre, l'empoifonne de fon venin, et l'étoufe. Cet homme eft déja mort. Il est étendu. On voit la pefanteur et la roideur de tous fes membres. Sa chair eft déja livide. Son vilage affreux repréfente une mort cruelle.

Leo. Si vous ne vous présentez point d'autre objet, voilà un tableau bien trifte.

Pouf. Vous allez voir quelque chofe qui augmente encore cette trifteffe. C'eft un autre homme qui s'avance vers la fontaine, il apperçoit le ferpent autour de l'homme mort. Il s'arrête foudainement. Un de les pieds demeure fufpendu. Il leve un bras en haut, l'autre tombe en bas. Mais les deux mains s'ouvrent, elles marquent la furprise et l'horreur,

Leo.

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