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cas ou conditions, ni les formes. C'est dans les instructions ministérielles qu'il faut chercher les recommandations faites aux magistrats instructeurs. Celle du 10 février 1819, émanée de M. de Serre, garde des sceaux, disait : « L'interdiction au prévenu de communiquer est autorisée par les art. 643 et 618 C. inst. cr.; l'usage en est utile en certaines circonstances, et particulièrement dans les crimes commis de concert et par complot; mais l'emploi indifférent de cette mesure contre tous les prévenus ou la prolongation sont tellement contraires à la bonne administration de la justice et aux droits de l'humanité, que les juges d'instruction n'en sauraient user avec trop de réserve; ils ne doivent l'ordonner que lorsqu'elle est indispensable à la manifestation de la vérité, et seulement durant le temps strictement nécessaire pour atteindre ce but. Jamais, au surplus, il ne doit être ajouté à la rigueur de ce moyen d'instruction aucune rigueur accessoire, et le prévenu momentanément privé de communication doit être, à tout autre égard, traité comme les autres détenus. >>

Des abus accidentels ont provoqué d'éloquentes protestations, de la part des hommes les plus considérables et de criminalistes appartenant même à l'ordre judiciaire, tels que MM. Bérenger, Dupin aîné, Legraverend, etc.. M. Mangin lui-même (Instr. écr., t. Ier, no 460), tout en déclarant comme Bentham que « la mesure d'interdire à un prévenu toute communication avec les personnes du dehors et avec les autres détenus peut souvent seule lui ôter les moyens d'effacer les traces de son crime, et de déjouer les recherches de la justice,» a reconnu et blàmé les excès, en disant : « On ne peut s'élever avec trop de chaleur contre l'abus qu'on en fait quelquefois. La détention solitaire est un véritable supplice; et lorsqu'elle est trop prolongée, elle peut être un obstacle à ce que le prévenu recherche et prépare ses moyens de défense. Dans quelques cas, elle peut même donner à ses ennemis la facilité de détruire ses preuves justificatives. » Ainsi que l'a dit un autre criminaliste éminent, admettant que le problème de la mise au secret comme de la détention est une question de nécessité, mais recommandant aussi de n'en user qu'avec réserve, «< ce sont les abus du secret qui ont élevé les plaintes; la preuve en est que les plaintes, en général, ont cessé avec les abus.» (F. Hélie, Instr. crim., t. V, p. 818). Avaient-ils entièrement cessé? Ne se sont-ils pas au moins renouvelés? Et n'y a-t-il pas même un système de mise au secret à combattre? Plusieurs fois des prévenus et leurs défenseurs ont formulé avec énergie leurs plaintes contre les rigueurs du secret auquel ils avaient été soumis : il y avait quelque chose de vrai dans ces réclamations; et si les juges n'ont pu y faire droit, c'est que c'étaient des questions d'instruction purgée ou de régime des prisons, sur lesquelles ils

8. Meyer, Instit. judic., t. III, p. 205; Bérenger, De la just. crim., p. 389; Dupin aîné, Observ. sur notre législ. crim., p. 72; Legraverend, Législ. crim., t. ler, p. 354; Bavoux, Examen de la législ. crim., p. 367; Dufey, notes sur le Traité de Beccaria.

n'avaient pas à rendre jugement 9. Récemment encore, des révélations d'abus très-graves se sont produites en cour d'assises, ce qui a causé une sensation considérable dans l'opinion publique 10. Ces abus tiennent à deux causes d'abord une tendance ou un but exagérés; de plus, l'état matériel des locaux employés.

L'aveu d'un prévenu ne saurait faire preuve contre lui qu'à certaines conditions, qu'a parfaitement établies un célèbre criminaliste 11. Sans doute il convient de retenir et constater celui qui est fait spontanément, librement; mais est-il bon de provoquer un prévenu à faire aveu du fait imputé? Doit-il même être permis d'employer la misè au secret pour obtenir un aveu, qui pourra être rétracté devant le juge, et qui parfois ne sera donné qu'afin de faire cesser une solitude intolérable? Nous ne pouvons l'admettre; et le danger est palpable, lorsqu'on sait qu'une femme enceinte, mise au secret, en est venue à s'avouer coupable de parricide avec vol, tandis qu'il a été reconnu après condamnation et révision que le double crime était l'œuvre de deux assassins, sans qu'elle fût même complice! Cependant, c'est admis par beaucoup de magistrats instructeurs nous en trouvons la preuve dans les enseignements que donne un magistrat des plus consciencieux, qui a longtemps exercé avec distinction les difficiles fonctions de juge d'instruction, qui préside souvent les assises et qui vient de publier à nouveau un ouvrage faisant autorité 12. Quoiqu'il reconnaisse et flétrisse luimême les abus qui ont eu lieu trop souvent, ce magistrat exercé parle de l'interrogatoire avec mise au secret en ces termes : « L'interrogatoire, pour un magistrat habile, c'est la moitié de l'instruction: c'est plus encore avec le secret, qui est le levier le plus puissant pour enlever un aveu, toujours désirable, parce qu'il est toujours profitable et le meilleur couronnement de toute procédure. Le secret est un expédient presque toujours irrésistible: il suppléerait, au besoin, à l'insuffisance même du juge d'instruction. » Voilà les idées qui dominent! Tout en respectant les intentions et sans imputer à aucun magistrat tels ou tels abus, nous disons que le but égare, que les usages vont trop loin et qu'il serait bon que le législateur lui-même intervînt.

Pour que la mise au secret soit légitime, il faut des conditions de but, de durée, de forme et de lieu. La circulaire de 4849 exigeait qu'il y cût nécessité absolue, temps limité, absence de toute aggravation; elle a d'ailleurs prescrit aux juges d'instruction d'indiquer dans leurs

9. Voy. J. cr., art. 4480 et 6853.

10. Voy. les comptes-rendus, Gaz. des Trib., 17-20 nov. 1862; le Droit, 18-20 nov. 1862. Le Moniteur a annonce qu'après enquete par un inspecteur, il y avait eu révocation du geôlier et de la surveillante des femmes (30 nov.). 11. Mittermaier, Traité de la preuve en matière criminelle, chap. 32. — Voy. aussi Rép. cr., Vo Aveu.

12. Manuel des juges d'instruction, par M. Duverger, conseiller à la Cour imp. de Poitiers, éd. de 1862, no 447.

comptes rendus hebdomadaires les procédures où il y aurait cu interdiction de communiquer, et de plus aux procureurs généraux de faire dresser, chaque mois, pour chaque arrondissement, un état exact de ces procédures << avec indication de la durée de l'interdiction de communiquer, de l'époque où elle aura cessé et des raisons qui auront déterminé à la prescrire ou à la prolonger. » Les recommandations sont suivies, quant au compte rendu; mais elles ne suffisent pas pour les garanties légales qui sont réclamées comme moyens d'empêcher l'abus. Ces garanties ont été plusieurs fois demandées au législateur. Dans le projet de révision du Code d'instruction criminelle, présenté aux Chambres et discuté par elles en 1842, la disposition suivante était ajoutée à l'art. 613 : « Lorsque le juge d'instruction croira devoir prescrire, à l'égard d'un prévenu, une interdiction de communiquer, il ne pourra le faire que par une ordonnance, qui sera transcrite sur les registres de la prison; cette interdiction ne pourra s'étendre au delà de dix jours; elle pourra, toutefois, être renouvelée. Il en sera rendu compte au procureur général 13. » Il ne s'agissait, suivant la remarque faite dans l'exposé des motifs, « ni de supprimer, ni même de restreindre un droit nécessité parfois par l'instruction, mais seulement d'en surveiller l'usage. » Cette disposition fut adoptée par les Chambres, mais le rejet du projet dans son ensemble en nécessita un nouveau qui fut soumis à la Cour de cassation en 1846. Celui-ci reproduisait la disposition additionnelle ci-dessus, sans dire expressément que l'interdiction pourrait être renouvelée; cette proposition fut approuvée par la Cour, dont la commission disait par l'organe de son rapporteur qu'il y aurait « révocation de plein droit de l'interdiction, si au bout de dix jours elle n'était pas renouvelée; que la disposition additionnelle complétait utilement le système de précautions tutélaires consacré par le chap. 3 du titre 7 du C. d'inst. cr. » Mais les événements ont fait oublier ou écarter le projet en question.

Des instructions, il est vrai, veulent une ordonnance, dont le modèle est donné par M. Duverger, une transcription et un compte rendu, qui ont lieu généralement. Est-ce suffisant? Aucun terme n'est imposé, et celui qu'on fixerait serait facilement reculé. L'ordonnance n'est pas même susceptible d'opposition devant la chambre d'accusation, comme le démontre ce criminaliste, relevant l'erreur d'un autre (t. II, p. 443). Et le local? Selon M. Duverger, qui proclame que « la mesure ne doit pas dégénérer en torture morale et physique pour le détenu, il faudrait qu'il existât dans chaque maison d'arrêt deux ou trois chambres, destinées aux détenus qui devraient être mis au secret : chambres complétement isolées entre elles, n'ayant aucune communication possible avec l'extérieur ou l'intérieur de la prison, suffisamment spacieuses, bien aérées, très-saines. » Or, ajoute-t-il, de telles chambres

13. Voy. Moniteur, 20 fév. 1842.

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n'existent point, dans la plupart des maisons d'arrêt. Dans quelquesunes même, pour mettre un prévenu au secret, on est réduit à le placer dans un cachot! » Il en résulte, dit-il encore, que le juge d'instruction n'emploie la mesure rigoureuse qu'extraordinairement. Sa conclusion est celle-ci : « Lorsqu'une maison d'arrêt n'a pas de chambre de secret, le juge d'instruction et le procureur impérial devraient en réclamer incessamment et instamment. Si le préfet et le conseil général négligeaient cette demande, sous le prétexte de la dépense ou du manque de fonds pour cet objet, il faudrait s'adresser, par l'intermédiaire du procureur général, au garde des sceaux, pour le prier d'intervenir auprès du ministre de l'intérieur, qui aviserait. » (T. II, p. 447 et 448.) Mais, les réclamations et l'intervention demeurant sans résultat, faut-il répudier la mesure d'instruction, ou bien mettre les malheureux prévenus dans des cachots où ils seront à la torture?

Voilà des sujets de réflexion pour les criminalistes, magistrats ou jurisconsultes, pour le gouvernement et pour le législateur lui-même. Des instructions par les procureurs généraux ou par le chef de la magistrature peuvent suffire, en tant qu'il s'agirait seulement de rappeler que les investigations préjudiciaires doivent rechercher avec toute preuve à charge les circonstances comme les pièces justificatives, et que la mise au secret ne doit jamais avoir lieu qu'avec circonspection et mesure. Mais il faudrait une loi qui donnât des garanties contre les abus possibles, soit en proclamant une responsabilité, soit en réglant les cas et conditions de la mesure rigoureuse dont il s'agit, tout au moins en limitant la durée et en assignant des locaux convenables.

Notre législation criminelle devait subir certains changements, selon l'exposé de la situation de l'Empire présenté au Sénat et au Corps législatif en janvier dernier (Monit. du 29); mais c'était pour «< assurer, en ce qui touche un certain nombre d'infractions à la loi, une répression plus prompte et plus efficace. » Le projet soumis au Corps législatif a rencontré bien des objections, dans les discussions publiées et au sein de la commission: il est resté à l'état de rapport. La modification principale consisterait à opérer législativement, pour plusieurs crimes, le changement de compétence que des pratiques connues ont fait appeler correctionalisation. Il s'opérerait sous forme d'abaissement de peines. Seraient désormais qualifiés délits, entraînant emprisonnement avec ou' sans amende, des crimes qui étaient punis soit du bannissement (art. 155, 156, 158, 160), soit de la réclusion (art. 142, 156, 158, 174, 239, 241, 279, 305, 309, 387, 389, 399, 418), soit de la dégradation civique avec emprisonnement facultatif (art. 143 et 228). L'atténuation serait sans dangers, dès qu'à la peine d'emprisonnement on ajouterait la surveillance de la haute police. Le projet aurait voulu, de plus, modifier l'art. 463 du C. pén., pour tous délits dont la peine est d'au moins deux ans ou d'au moins un an d'emprisonnement, en interdisant aux juges correctionnels d'abaisser cette peine, pour cause de circonstances atté

nuantes, au-dessous de six mois, ou au-dessous de trois mois. Pourquoi cette limitation? Elle n'était pas même dans le Code de 1810; les lois de 1824 et de 1832 ont été un progrès comment rétrograder ainsi? S'il y a eu parfois indulgence extrême, le mal n'est pas tel que le feraient supposer certaines doléances. Les juges correctionnels, jurés et magistrals, ne doivent pas être gênés, dans leur appréciation du degré de culpabilité d'un prévenu, par des entraves qui les placeraient entre leur conscience et un texte rigoureux. Souvent il arrive qu'un fait comporte une qualification qui le fait tomber sous le coup d'une disposition pénale très-sévère, et que cependant les circonstances, avec la justice, commandent une grande modération dans la condamnation pénale. Prescrire au juge d'infliger au moins plusieurs mois de prison, n'est-ce pas le convier à rechercher les moyens d'éviter cette rigueur, fût-ce par un acquittement à la place d'une répression modérée? Nous espérons que la proposition sera retirée, ou qu'elle succombera.

Un décret impérial récent ouvre le recours en cassation contre les arrêts rendus, à l'île de la Réunion, soit par les Cours d'assises, soit par la Cour impériale jugeant correctionnellement, et attribue à la Cour suprême un pouvoir nouveau pour le renvoi après cassation 14. La mesure en elle-même est bonne et ne saurait être critiquée. Mais des questions s'élèvent, et quelques explications sont nécessaires. Comment la colonie dont il s'agit était-elle privée d'une voie de recours si utile, qui appartenait à d'autres? Un sénatus-consulte n'était-il pas exigé, pour le changement, par les principes constitutionnels qui régissent actuellement nos colonies? Ne fallait-il pas une loi, pour modifier les pouvoirs de la Cour suprême? Quelles seront enfin les règles nouvelles?

Sous la Charte de 1814, qui disait que les colonies seraient régies par des lois et des règlements particuliers, plusieurs ordonnances ré

14. Napoléon, etc., sur le rapport de notre ministre secrétaire d'État au département de la marine et des colonies; vu les ordonnances des 30 sept. et 19 déc. 1827; vu l'ordonnance du 12 oct. 1828, portant application du Code d'instruction crim. aux Antilles; vu l'art. 16 du sénatus-consulte du 3 mai 1854; vu l'avis du comité consultatif des colonies, du 11 déc. 1861; vu la lettre de notre ministre de la justice, du 8 janv. 1861; notre conseil d'État entendu, avons décrété : Art. 1er. Le recours en cassation est ouvert contre les arrèts rendus à l'île de la Réunion par les Cours d'assises et par la Cour impériale jugeant correctionnellement; en conséquence, sont déclarés applicables à cette colonie les art. 216, 262, 298 à 301, 371, 373, 374, 417 à 431, 432 § 2 et 3, 433 à 439, 441 et 442 de l'ordonnance du 12 oct. 1828, portant application du Code d'instr. cr. à la Martinique et à la Guadeloupe. 2. Lorsque la Cour de cassation annulera un arrêt rendu par la Cour impériale juge int correctionnellement, elle pourra renvoyer le procès et les parties, soit devant la même Cour, mais composée d'autres juges, soit devant une autre Cour. 3. Lorsque, après une première cassation, le deuxième arrèt sera attaqué par les mêmes moyens, il sera procédé ainsi qu'il est prescrit par la loi du 1er avril 1837. 4. Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions des ordonnances du 30 sept. et du 19 déc. 1827 qui seraient contraires au présent décret.

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Du 7-28 juin 1862 (Bull. des lois, no 10313;.

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