Sivut kuvina
PDF
ePub

ART. 7706.

Quelles sont, actuellement, les conditions constitutives de la lentative d'escroquerie ?

Le Code de 4810 disait, art. 405: « Quiconque, soit en faisant usage..., soit en employant..., se sera fait remettre ou délivrer..., et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer... » La loi du 13 mai 1863 a changé ce texte et lui fait dire: « Quiconque,... se sera fait remettre ou délivrer, ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer des fonds..., et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer... » Il n'y a pas ici simple changement dans les mots ou dans l'ordre des dispositions, pour plus de clarté seulement; c'est l'addition d'une disposition qui punit la tentative d'escroquerie, sans qu'il faille remise effective obtenue, lorsque l'agent aura tenté de l'obtenir par l'un des moyens frauduleux spécifiés. Mais quelle doit être la portée de l'innovation, et à quelles conditions sera désormais soumise la tentative punissable?

Dans les controverses auxquelles avait donné lieu la rédaction embarrassée de l'ancien art. 405, il s'était produit une opinion selon laquelle son texte devait être réputé signifier ce qu'il dit aujourd'hui. On supposait que les expressions concernant la tentative avaient été mal placées, par simple inadvertance; qu'il pouvait y avoir escroquerie tentée, assez grave pour être punissable, quoique aucune remise n'eût été obtenue; qu'exiger cette obtention effective, ce serait supprimer la tentative condamnable en la subordonnant à un fait qui est la consommation de l'escroquerie. Mais il y avait une réfutation décisive dans les considérations dont voici l'analyse substantielle: le texte dit clairement, pour la tentative elle-même, qu'il faut que l'agent se soit fait remettre une chose; la raison et l'expérience nous disent qu'on peut avoir obtenu par fraude une remise, à titre de prêt ou de mandat par exemple, dans des conditions préjudiciables, sans qu'il y ait d'ores et déjà consommation de l'escroquerie, qui est la dépossession sans équivalent, puisqu'il se pourra que les conditions de ce prêt ou de ce mandat surpris soient exécutées; qu'il arrive déjà trop souvent que l'on confonde le dol civil avec le dol criminel, et que la confusion aurait lieu plus souvent encore si l'on n'exigeait pas un fait matériel saisissable, tel que la remise effective, qui est caractéristique sans toujours produire une escroquerie consommée. Cette interprétation triomphait, parmi les criminalistes et dans la jurisprudence, tellement que la plupart des cours qui l'avaient repoussée d'abord, s'y rangaient d'après les derniers arrêts de la Cour de cassation1. Si elle ne satisfaisait pas les auteurs du projet préparé par le gouvernement, pour la modification de plusieurs dispositions du code

1. Voy. Rép. cr., vo Escroquerie, no 21; J. cr., art. 49, 2593, 3874, 6645, 6781, 6844, 6892, 6907, 6952, 7142, 7251, 7331 et 7487.

J. cr.

NOVEMBRE 1863.

21

pénal, le conseil d'État lui-même l'avait préférée, en repoussant l'addition qui se trouve dans le nouveau texte. C'est la commission du Corps législatif qui a fait adopter l'addition, en reconnaissant qu'elle était nécessaire pour modifier avec le texte l'économie de ses dispositions, ainsi que l'interprétation qui prévalait en doctrine et en jurisprudence; sa raison principale a été qu'il y a des cas où les manœuvres sont assez directes, précises et avancées, pour qu'il y ait à punir la tentative, quoiqu'une remise n'ait pas été obtenue effectivement 2.

Lors de la discussion législative 3, le premier orateur entendu, M. Nogent Saint-Laurent, justifiait la jurisprudence et combattait l'innovation, en développant cette idée: l'escroquerie est un délit complexe; les manœuvres ne sont qu'un élément préparatoire; la remise obtenue est un élément d'exécution commencée; alors il y a tentative punissable, même au cas où la dupe reprendrait aussitôt sa chose et hors celui d'une restitution volontaire immédiate; déclarer que les manœuvres frauduleuses seules constitueront la tentative, c'est créer une grave difficulté et un grande péril pour la pratique; en mettant cette tentative dans les manœuvres frauduleuses, on la place dans l'équivoque et dans une région où elle ne peut être sûrement appréciée par le juge. M. de Cordoën, commissaire du gouvernement, a combattu ces objections par des raisons qui allaient jusqu'à la critique de la jurisprudence. Suivant lui, l'ancien art. 405 ne contenait qu'une erreur de rédaction, qui était à réparer: la tentative de vol est punie sans conditions exceptionnelles, quoiqu'il y ait aussi des difficultés d'appréciation; il faut punir comme escroc celui qui, ayant frauduleusement persuadé une chose chimérique pour obtenir remise de la chose convoitée, est sur le point d'y parvenir et n'en est empêché que parce qu'on s'aperçoit à temps de la fourberie; là se trouvent et l'acte préparatoire et le commencement d'exécution; la tentative doit être replacée avant la réalisation, qui est son but, et ne cesser d'être punissable que quand elle s'arrête auparavant par la volonté de son auteur. MM. E. Picard et J. Favre ont répondu que le projet était une revanche du parquet sur la jurisprudence; qu'il n'y a pas analogie entre la tentative de vol, c'est-à-dire de soustraction frauduleuse par voie de fait, et la tentative d'escroquerie, qui serait pour ainsi dire idéale; qu'il faut un fait positif, matériel, qui soit tangible et non pas seulement intellectuel. M. de Cordoën, répliquant,

2. «... Cette jurisprudence emprunte une grande force au texte de l'art. 405... Aussi, la doctrine l'approuve assez généralement... Cependant, appelés à statuer législativement sur cette question, nous ne pouvions pas confondre les manœuvres, qui sont les moyens employés par l'escroquerie, avec la remise des valeurs, qui est le but même qu'elle poursuit... Il est des cas dans lesquels les manœuvres ont été si directes, si précises, poussées si loin, qu'il serait impossible de se refuser à les trouver criminelles, alors même que la remise des fonds ne les aurait pas suivies... » (Rapport de MM. Rigaud et de Belleyme, au nom de la Commission; Moniteur, annexe au procès-verbal du 6 mars 1863). 3. Séance du 14 avril 1863 (Moniteur du 15, p. 568 et 569).

a objecté que le délit exige autre chose que des manœuvres idéales, qu'il faut des faits matériels constituant le commencement d'exécution, mais qu'on peut les trouver dans les actes de celui auquel la remise provoquée s'effectuerait si l'on n'empêchait pas sa réalisation finale. La discussion a été close par des observations de M. Segris, disant qu'il y a de sérieuses difficultés, qu'on devrait maintenir avec l'ancien texte et la jurisprudence la nécessité de juxtaposer aux manœuvres intentionnelles et idéales un fait positif et non équivoque; enfin par celles de M. Roques Salvaza, critiquant l'ancienne rédaction, disant surtout qu'on ne peut innocenter un escroc sous prétexte qu'il n'est pas suffisamment escroc, et donnant l'exemple suivant : « Je suis banquier, un escroc vient chez moi, il me demande 1,000 francs en argent, il a surpris ma volonté, ma bonne foi, j'allais les lui donner; j'ouvre ma caisse, je retire 1,000 francs d'un sac, je les lui donne, il les prend... Au moment où j'ai donné mon argent, au moment où le malfaiteur va s'éloigner, je m'aperçois que je suis trompé, quelque chose m'avertit, un signe, un rien, une de ces manifestations de la vérité, telles que la Providence en ménage contre les coquins au profit des honnêtes gens; je cours à lui, et je lui dis: non, vous n'aurez pas mes 1,000 francs, rendez-les-moi. Il essaye de résister; mais soit que mes forces soient supérieures aux siennes, soit que l'intervention de quelqu'un me vienne en aide, il est obligé de céder; il me rend mon argent. Reconnaissez qu'il est coupable. »

Dans sa circulaire aux procureux généraux pour l'interprétation et l'exécution de la loi modificative, M. le Garde des sceaux, après avoir dit qu'il ne s'agissait pas d'incrimination nouvelle, que le Code avait voulu punir la tentative d'escroquerie et n'était en défaut que par l'effet d'une rédaction vicieuse, a donné l'explication suivante: « Le nouveau texte continuera à exiger, avec l'art. 2 du C. pén., la volonté criminelle persévérante, ainsi que le commencement d'exécution. La jurisprudence imposera, comme par le passé, aux rédacteurs de la sentence l'énumération minutieuse des faits, sans laquelle la Cour de cassation, obligée d'entrer ici dans l'examen des manoeuvres frauduleuses, ne peut discerner si la condamnation se fonde sur l'escroquerie caractérisée ou sur des mensonges qui échappent à la rigueur de la loi... D'ailleurs, quoique la généralité de l'article doive atteindre les escrocs de toute classe et de tout étage, je vous recommanderai de veiller à ce que vos substituts, bien pénétrés de la véritable pensée de la loi, ne confondent pas avec la tentative proprement dite d'escroquerie les manifestations du dol civil ou commercial, contre lesquelles la prudence des contractants est une sauvegarde suffisante, et dont la répression n'est pas réclamée impérieusement par l'intérêt social, l'exploitation impudente de la crédulité publique ou les périls du commerce national menacé de discrédit. »

4. Circul. min., 30 mai 1863.

Ayant à commenter le nouvel art. 4055, M. Faustin Hélie s'est borné à faire remarquer, après avoir analysé le rapport et la discussion, que les orateurs contraires à la loi en avaient peut-être exagéré les conséquences, par un entraînement naturel de leur argumentation; que l'addition a maintenu toutes les conditions du délit; qu'il doit y avoir à la fois tentative de se faire remettre et tentative de détournement; que la loi exige une double tentative, c'est-à-dire que l'agent, en employant les manœuvres frauduleuses pour se procurer les valeurs, doit avoir pour but de les escroquer; que ce dernier élément doit être recherché et constaté, puisque la loi l'a maintenu. Relativement aux conditions de la tentative et à la constatation du commencement d'exécution, l'éminent criminaliste ne s'explique qu'en reproduisant et qualifiant d'excellentes les instructions de la circulaire précitée.

Le commencement d'exécution, involontairement suspendu ou arrêté, n'est-il pas ainsi nécessaire? et à quoi doit-il se rapporter?

Pour qu'une tentative soit punissable comme le délit perpétré, il faut non pas seulement un acte préparatoire dont le but final soit d'arriver à l'action délictueuse, mais un commencement d'exécution de cette action coupable, avec la condition que, si la tentative manque son effet, ce soit par une circonstance indépendante de la volonté de son auteur; et dans le cas même où une telle circonstance aurait existé, si elle n'a pas seule empèché l'effet, si l'agent a eu aussi la volonté de s'arrêter, la peine attachée à l'infraction n'est pas encourue, parce que la loi et les juges doivent prendre en considération le repentir qui s'est produit à temps, parce qu'une loi contraire provoquerait à la consommation d'un délit en rendant sans intérêt pour le coupable un retour au bien 6. Cette règle sur l'imputabilité domine toute la législation pénale; écrite dans l'art. 2 C. pén. pour les crimes, à l'égard desquels la tentative est toujours punie comme le crime même, elle doit être aussi applicable à ceux des délits pour lesquels pareille assimilation est exceptionnellement établie par un texte spécial, à moins qu'il n'ait autrement réglé les conditions de la tentative. En effet, une condition reconnue nécessaire, quant aux infractions les plus graves, ne saurait être réputée inutile pour un délit moindre. Comme le disent les criminalistes faisant autorité, l'art. 3 ne peut avoir un tel sens, sa disposition n'a eu pour objet que de resserrer le cercle et de limiter l'application de la règle qui assimile à l'infraction commise la simple tentative; il n'y a aucun texte qui dise que le commencement d'exécution volontairement arrêté sèra néanmoins puni comme s'il avait été suivi jusqu'à consommation du délit 7. Théoriquement et à part les questions d'appréciation ou de constatation, ce principe n'est pas contestable. On le trouve reconnu même

5. Théorie du Code penal. Appendice à la 4° édition, contenant le commentaire de la loi du 13 mai 1863, no 2667.

6. Voy. Rép. cr., vo Tentative; C. cass. 1er juillet 1853 (J. cr., art. 5640). 7. Carnot, Comm. du Code pén., t. 1er, sur l'art. 3; Théorie du Code pénal, 4 éd., p. 401; Blanche, Études pratiques sur le Code pénal, t. 1er, nos 20-23.

dans les motifs de ceux des arrêts de la Cour régulatrice qui ont maintenu les condamnations prononcées pour tentative de filouterie. Et il y a une raison de plus aujourd'hui, pour l'escroquerie, dès que la loi supprime la condition d'une remise effective car on tomberait dans l'arbitraire, en ne s'attachant plus qu'à des choses idéales, si l'on punissait comme tentative d'escroquerie un fait qui ne serait pas même le commencement d'exécution d'une tentative de se faire remettre quelque objet, ou bien un commencement d'exécution que l'agent aurait abandonné par sa propre volonté. C'est ce que proclame expressément la circulaire du ministre aux procureurs généraux.

Un premier arrêt a dit : « Qu'on ne peut invoquer les règles générales du Code pénal sur les circonstances constitutives de la tentative de crime, dans les cas particuliers où la tentative du délit est assimilée au délit même; que c'est un fait spécial que le législateur n'a point assujetti, dans l'art. 3 du Code pénal, aux règles posées dans l'art. 2 du même Code; » et un second : « Que la loi n'a point spécifié les faits et circonstances nécessaires pour constituer la tentative de délit; qu'elle a laissé aux juges le soin de les rechercher, de les reconnaître et d'en déduire les conséquences légales, se contentant de marquer avec précision les caractères généraux de la tentative, à savoir: qu'elle ait été manifestée par un commencement d'exécution, qu'elle n'ait été suspendue ou n'ait manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur 8. » Mais c'est précisément de ces caractères généraux qu'il s'agit, et l'on ne comprendrait pas qu'ils eussent été changés par le silence d'une disposition moins rigoureuse; aussi la Cour de cassation a-t-elle reconnu leur applicabilité aux délits, d'abord et dans son premier arrèt, en disant que « les tribunaux de police correctionnelle, juges du fait et du droit, en déclarant un prévenu coupable d'une tentative de délit, reconnaissaient nécessairement et virtuellement que les circonstances qui la caractérisent existaient dans la cause, » et en ajoutant, dans le second, à son motif sur la constatation « que la décision attaquée a constaté des faits qui donnaient à la tentative ainsi déterminée les caractères voulus par l'art. 2 C. pén. » Des arrêts postérieurs ont dit « que l'art. 405 n'exige pas que les tribunaux correctionnels mentionnent dans leurs jugements que la tentative de ce délit a été caractérisée comme l'exige l'art. 2 précité,... que le § 3 de l'art. 4er de la loi du 27 mars 1854 n exige pas que les tribunaux correctionnels reconnaissent et mentionnent dans leurs jugements que la tentative du délit de tromperie soit caractérisée conformément à l'art. 2 C. pén. 9. » Dire qu'il n'est pas exigé par la loi que le juge correctionnel mentionne dans sa formule de jugement toutes les circonstances élémentaires de la tentative définie par l'art. 2, qui ne parle que des crimes, c'est seule

8. C. cass., 26 septemb. 1828 et 10 décemb. 1842 (J. cr., art. 3390). 9. Rej. 28 fév. 1851 (J. cr., art. 5051). Rej. 6 oct. 1854 (J. cr., art. 5844).

« EdellinenJatka »