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m'a conduit à donner à ce phénomène le nom générique d'hallucinations. Dans ce même mémoire, dans lequel je signalais un des phénomènes psychologiques les plus remarquables du délire, je rapportais des faits qui démontrent que les hallucinations seules caractérisent quelquefois une variété de monomanie.

Je dois aujourd'hui entretenir l'Académie; des illusions chez les aliénés.

Les anciens n'avaient point distingué les visions des illusions des sensations. Quelques modernes, adoptant la dénomination que j'ai proposée pour les visions, ont confondu les hallucinations avec les illusions, les distinguant néanmoins en mentales (visions), et en hallucinations sensoriales (illusions des sens). Ces auteurs n'ont point suffisamment apprécié la différence essentielle qui existe entre ces deux ordres de phénomènes. Dans les hallucinations, tout se passe dans le cerveau : les visionnaires, les extatiques sont des hallucinés, ce sont des rêveurs tout éveillés. L'activité du cerveau est si énergique, que le visionnaire ou l'halluciné donne un corps et de l'actualité aux images que la mémoire réveille, sans l'intervention des sens.

Dans les illusions, au contraire, la sensibilité des extrémités nerveuses est excitée; les sens sont actifs, les impressions actuelles sollicitent la réaction du cerveau. Celle réaction étant sous l'influence des idées et des passions qui dominent les aliénés, ces malades se trompent sur la nature et sur la cause de leurs sensations actuelles.

Les illusions ne sont pas rares dans l'état de santé, mais la raison les dissipe. Une tour carrée vue de loin paraît ronde; si l'on s'approche, l'erreur est bientôt rectifiée. Lorsqu'on voyage dans les montagnes, l'on prend souvent les montagnes pour des nuages; l'attention ne tarde pas à corriger cette erreur. Pour celui qui est dans un bateau, le rivage paraît en mouvement; la réflexion détruit aussitôt cette illusion.

Les hypocondriaques ont des illusions qui naissent des sens internes. Ces malades se trompent, se font illusion sur l'intensité de leurs souffrances, sur le danger de perdre la vie ; mais jamais ils n'attribuent leurs maux à des causes absurdes, contraires à la raison; ils ne déraisonnent pas, à moins que la lypémanie (mélancolie) ne complique l'hypocondrie. Alors seulement il y a délire, et les hypocondriaques errent, se font illusion sur la nature et les causes de leur maladie et de ses symptômes.

Les illusions, si fréquentes chez les aliénés, trompent ces malades sur les qualités, les rapports et les causes des impressions actuellement reçues, et leur font porter des jugemens faux sur leurs sensations internes et externes : la raison ne rectifie pas l'erreur.

Deux conditions sont nécessaires pour la perception d'une sensation. L'intégrité de l'organe qui reçoit l'impression, et l'intégrité de l'instrument qui réagit sur cette même impression.

Les illusions des sens reconnaissent anssi deux causes: l'état anormal des sens, et l'état anormal du cerveau.

Si la sensibilité et l'activité des organes sont troublées, il est évident que l'impression faite sur les sens par les objets extérieurs est modifiée, et si en même temps le cerveau est dans un état pathologique, il ne peut rectifier l'erreur des sens. De là les illusions.

L'attention trop mobile des maniaques ne pouvant s'arrêter assez long-temps sur les objets extérieurs, la perception est incomplète, et les maniaques perçoivent mal les qualités et les rapports des objets qui les impressionnent. Dans la monomanie, au contraire, l'attention étant trop concentrée, ne peut se porter successivement sur les objets extérieurs et étrangers aux préoccupations intellectnelles, ou aux affections qui dominent le monomaniaque. De là les illusions que la raison ne détruit pas..

Les passions, source de tant d'illusions chez l'homme

sain d'esprit, modifiant aussi les impressions des aliénés, donnant une direction vicieuse à la réaction de leur cerveau, les passions sont la cause de mille illusions chez ces malades.

L'intelligence et les passions concourent donc avec les sens aux illusions des aliénés, mais les extrémités sentantes sont, pour ainsi dire, les provocateurs de ces illusions.

Voyons maintenant ce que disent les faits. Ils nous apprennent que les illusions naissent des sensations internes et des sensations externes.

SI. Les perturbations de la sensibilité organique, les sensations internes provoquent souvent les illusions des aliénés.

La peau de quelques aliénés est sèche, aride, terreuse, brûlante, et fait mal ses fonctions. Ces malades sont indifférens aux températures les plus extrêmes. M. Pinel parle d'un maniaque qui ramassait de la neige à pleines mains et en frottait sa poitrine avec délices.

I.re Obs. La fameuse Térouane de Méricourt a vécu pendant dix ans à la Salpétrière, dans un état de manie. Elle jetait, matin et soir, dans son lit, deux seaux d'eau, et se couchait ensuite. Je l'ai vue briser la glace des fontaines, pour se procurer de l'eau.

Quelques aliénés ressentent une telle irritation de la peau, qu'ils croient être frappés et meurtris par le plus léger contact; qu'ils se persuadent qu'on leur jette, sur la peau, des substances ou des poisons qui les brûlent, qui les déchirent, etc. Nous avons à Charenton une aliénée qui pousse les hauts cris dès qu'on la touche du bout du doigt seulement : Vous me faites du mal! Ne me frappez pas, ne me frappez pas ! s'écrie t-elle.

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II. Obs. - Un officier d'ordonnance, âgé de 27 ans, d'un tempérament sanguin, d'une force et d'une taille athlétiques, fut pris de fièvre intermittente, pendant la campagne de Prusse. On lui fit avaler un grand verre d'eau

de vie, dans laquelle on avait fait infuser la poudre de deux cartouches. M.*** devint aussitôt maniaque; il déchirait tout ce qui tombait sous ses mains, linge, vêtement, literie; force avait été de le laisser coucher sur la paille. Se sentant piqué, M.*** disposait la paille en rond, laissant au centre un espace vide, dans lequel il se plaçait ; il agitait sa tête dans toutes les directions, souflant sans cesse sur la paille qui l'entourait, et poussant de temps en temps des cris, comme pour repousser des objets menaçans. Ce symptôme persista nuit et jour, pendant plus de trois semaines. L'on sut alors que le malade prenait chaque brin de paille pour autant de becs d'oiseaux de proie qui l'avaient blessé. Il soufflait dessus et poussait des cris pour épouvanter et éloigner ces animaux malfaisans. Plus tard, ce même malade eut des illusions nouvelles. A peine était-il couché, qu'il détruisait toutes les pièces de son lit et passait par poignées, la paille de sa paillasse, au travers de la croisée de sa chambre fermée par des persiennes, et parlait de temps en temps, comme s'il se fut adressé à des chevaux. Le bruit des personnes qu'il entendait marcher, était pris, par ce malade, pour les pas de ses chevaux qui venaient à la croisée comme à un ratelier. Le soin qu'on prenait d'enlever la paille au fur et à mesure qu'il la jetait, entretenait l'illusion de ce maniaque.

Les douleurs que les aliénés éprouvent dans les différentes régions du corps, sont pour eux autant de causes d'illusions.

III. Obs. Mademoiselle *** âgée de 18 ans, jouissait d'une bonne santé, quoique encore mal réglée. Elle éprouva à la suite des évènemens de 1815 une douleur fixe au sommet de la tête. Bientôt elle se persuada qu'elle avait, dans le crâne, uu ver qui dévorait son cerveau. La vue du cuivre la faisait presque défaillir, et ses parens avaient été obligés de faire enlever toutes les dorures des appartemens. Elle ne consentait à se promener qu'avec la plus grande répu

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gnance, parce que que la poussière soulevée par les prome neurs lui paraissait chargée d'oxyde de cuivre. Rien n'eût la décider à toucher à un flambeau doré ni à un robinet de fontaine. Plusieurs mois de traitement ayant été inutiles, je fus appelé auprès de la malade. Elle était maigre, un peu décolorée, très-irritable; elle se refusait quelquefois à manger, dormait mal et avait de la constipation; elle parlait de ses répugnances, tantôt avec vivacité, tantôt avec larmes. Je m'efforçai de gagner la confiance de `la jeune malade; je flattai d'abord ses idées, et je l'assurai que je détruirais le ver cause de ses maux, si elle avait le courage de se laisser faire une opération peu douloureuse. J'avais si bien réussi à persuader cette jeune personne, qu'après une de mes visites, elle se fit, avec un canif, une incision au cuir chevelu. A peine vit-elle son sang couler, qu'elle se trouva mal. Je fus aussitôt prévenu; je me rendis auprès de la malade, elle avait recouvré la connaissance et était très-décidée à laisser faire l'opération dont je l'entretenais depuis quelque temps. Son courage soutint celui de ses parens qui consentirent à l'emploi du moyen que j'avais proposé. M. Bigot, médecin ordinaire de la famille, fit une incision cruciale, de plus de deux pouces d'étendue, sur le point douloureux; on laissa couler le sang. Nous montrâmes à la malade un fragment de fibrine que nous assurâmes, M. Bigot et moi, être l'insecte qui la faisait souffrir depuis si long-temps. Un cautère fut établi au centre de l'incision et maintenu pendant trois mois; la douleur fixe, les illusions et les craintes du vert-de-gris, disparurent en même temps. IV. Obs. Quelques années plus tard, pendant que je faisais, à la Salpêtrière, mes leçons cliniques sur les maladies mentales, un cas semblable se présenta, chez une femme de la campague, entrée dans la division des aliénées. Cette femme se plaignait de douleurs fixes et très-aiguës au sommet de la tête, douleurs qu'elle attribuait à un animal qui était dans la tête; ce qui l'avait jetée dans la lypémanie

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