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DE LA PLACE

DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.

Rapport présenté au Congrès international de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur1.

La rédaction de ce travail avait été confiée à notre très regretté collègue, M. Beaussire. Ancien professeur de faculté et ancien député, universitaire et homme politique, il était admirablement préparé à traiter le sujet. Il avait dans toutes les questions d'enseignement une maitrise incontestable, et l'expérience de l'homme d'État s'ajoutait à ce premier don pour former une compétence spéciale et hors de pair. Héritier de l'engagement qu'il avait pris envers le comité d'organisation du Congrès, je sens cruellement mon insuffisance, aggravée par la brièveté du temps qui m'a été mesuré. Je me suis borné à poser la question dans les termes qui m'ont paru les plus clairs et les plus sug gestifs, à caractériser sommairement les principales solutions théoriques et pratiques qui ont été données du problème, à indiquer la voie à suivre pour apprécier justement la portée et la valeur de chacune. Je laisserai cet exposé sans conclusion. La conclusion, c'est au Congrès qu'il appartiendra de la dégager, par une étude comparée des différentes organisations, après que les membres étrangers auront donné de source les renseignements de fait qui peuvent le mieux éclairer le sujet.

I

est que

L'une des difficultés du problème et non la moindre l'expression sciences économiques et sociales n'a pas un sens bien défini

1. Ce rapport a servi de texte aux délibérations du Congrès. Il nous a paru utile à conserver et nous en avons demandé communication à l'auteur, qui nous l'a obligeamment accordée. (Note de la Rédaction.)

et devenu classique. C'est un euphémisme, inventé pour désigner apparemment la même chose que le mot mal composé et mal sonnant de sociologie. Voilà du moins ce que l'Académie des sciences morales a donné à entendre dans un récent rapport, où elle repoussait le vocabulaire d'Auguste Comte, tout en invitant à l'étude et à la critique de cette partie de la doctrine positiviste. Suivant Littré, dont l'opinion vaut ici plus que celle d'un simple lexicographe, la sociologie est «< la science du développement et de la constitution des sociétés humaines ». C'est dire qu'elle a les proportions d'une encyclopédie et qu'elle se prête à recevoir toutes les sciences morales qu'on peut avoir le désir d'y comprendre. Essayons de voir un peu clair dans cette notion complexe en remontant à ses origines et en la suivant dans son évolution historique.

La discipline à laquelle l'ordre des sciences économiques et sociales emprunte le premier de ses deux attributs, l'économie politique, est aussi la première du groupe qui ait pris corps. Elle n'était dans le principe qu'une branche détachée de la philosophie morale; elle est née à la vie scientifique dans une chaire de ce nom, et Adam Smith ne s'en faisait pas une autre idée. Sous le titre de Recherches sur les causes de la richesse des nations, il s'est proposé d'étudier à part et à fond le second terme de ce couple de la sympathie et de l'intérêt dont il avait mis en lumière le premier terme dans un précédent ouvrage, la Théorie des sentiments moraux. C'est, en substance, l'ancien couple de l'honnête et de l'utile, ceux-là même que la psychologie superficielle du de Officiis nous montre de si facile composition et s'accordant entre eux avec si peu d'effort.

Maître dans l'art de donner des exemples et des spécimens qu'il pousse jusqu'au détail, Smith n'en est pas moins un esprit déductif. Il a le premier partagé en deux, par hypothèse, la nature humaine, et s'est fait une règle de n'en considérer tantôt que les penchants sympathiques, tantôt que les penchants égoïstes, sans les mêler jamais, afin de suivre plus aisément l'opération simplifiée de chaque ordre de causes. On a justement rapproché cette méthode de l'abstraction hypothétique qui sert de point de départ à la géométrie. Le précurseur immédiat de Smith en Écosse, Hume, était comme lui un psychologue et un moraliste. Ses premiers successeurs ont été bien plus que lui des idéologues. L'économie politique avait alors pour principe le mépris des faits. James Mill, Ricardo, Senior, se meuvent dans l'abstraction pure. Mais déjà les moralistes chrétiens reprochaient à la science nouvelle de glorifier l'égoïsme et de dénouer le lien social en réduisant tous les rapports entre les hommes à un calcul d'intérêt. Les philanthropes condamnaient ce fatalisme optimiste ou pessimiste qui semble

arrêter l'homme de bonne volonté par l'une ou l'autre de ces objections sèches et péremptoires : « Tu ne peux rien faire » ou « Il vaut mieux ne rien faire ». Les historiens et les patriotes accusaient les économistes de noyer le sentiment national dans la conception diffuse d'un atelier et d'un marché universels.

Fortement retranchée dans ses postulats artificiels et limités, l'économie politique n'a d'abord cédé que sur la question de méthode. Les esprits allaient s'écartant de plus en plus du procédé déductif, où notre siècle ne voit guère que des restes suspects de la scolastique; la science nouvelle a été entraînée dans le mouvement. Les copieuses accumulations de faits opérées par la statistique pendant près d'un siècle, selon des principes de classification de plus en plus perfectionnés, les suggestions, les démonstrations et les contre-épreuves que fournissent ces tableaux d'événements et de chiffres, les lois solides qu'on a pu déjà établir sur cette large et ferme base, tendent à faire passer l'économie politique dans la classe des sciences d'observation et à rompre du même coup le cadre psychologique où elle s'était enfermée avec les seuls penchants égoïstes. Les faits ne se prêtent point à cette division arbitraire et imaginaire de la nature humaine; elle se répercute en chacun d'eux tout entière, avec toute la multiplicité contradictoire de ses impulsions, généreuses ou intéressées.

Actuellement, plusieurs savants très accrédités poussent plus loin encore la transformation de la méthode. Ils estiment que les données de la statistique sont trop récentes, que la série - moins que séculaire en est trop courte, que les cadres de cette science sont trop larges et ne serrent pas d'assez près les faits, pour que les causes profondes et le sens nuancé des choses puissent être saisis avec ces seuls moyens de connaître. Ils soutiennent que la science économique positive ne peut être fondée que sur des milliers d'études de détail minutieuses, de petites monographies sourdes et muettes en quelque sorte, qu'on élaborera sans les commenter et qu'on ne rapprochera et fera parler qu'après que le nombre en paraîtra suffisant. Ils écartent pour le présent toute généralisation. Dans cette hypothèse, l'économie politique ne prendrait pas de consistance scientifique avant un demi-siècle au moins; elle déchoirait même du rang de science inductive; on la mettrait provisoirement en nourrice chez l'empirisme. L'école florissante inspirée en Allemagne par L. Brentano tient pour cette méthode, pour ce retour à l'abécédaire.

Sans doute les économistes classiques n'ont pas dit leur dernier mot, et ce déplacement en apparence continu dans la même direction finira par se résoudre en une oscillation autour d'une situation moyenne, à égale distance de l'idéologie et de l'empirisme purs. Quoi qu'il en soit,

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on voit qu'il n'est rien moins que simple de déterminer les parentés authentiques et les affinités scientifiques durables d'une branche de connaissance qui a pu fournir cette longue et curicuse évolution entre deux méthodes diamétralement opposées. A la définir d'après le type juste milieu dans lequel elle a chance de se fixer, voici ce qu'on peut prévoir avec assez de vraisemblance. Premièrement, elle resserrera de plus en plus ses rapports avec sa première institutrice, la philosophie morale. Elle ne sortira pas du cadre limité que lui trace la notion de l'utile, elle y perdrait son individualité, mais elle sentira que ses conclusions, telles qu'elle les livre, n'ont point de valeur définitive et ont besoin d'être complétées et contrôlées par une psychologie plus large, embrassant l'homme entier. Secondement, elle puisera de plus en plus aux sources qui lui ont été ouvertes par la géographie et l'histoire sous toutes leurs formes, agricole, industrielle, commerciale, douanière, financière, monétaire. Elle y prendra un sentiment plus juste du grand nombre d'exceptions et de restrictions que comportent ses lois abstraites, des transitions et des atermoiements que recommande l'intérêt national de chaque pays. Troisièmement, la statistique et la démographie, ses plus récentes informatrices, la retiendront dans le voisinage des sciences mathématiques et biologiques dont elles-mêmes dépendent. Voilà, théoriquement, les relations les plus essentielles et les affinités dominantes.

Avec le droit civil, l'économie politique classique n'a que des rapports restreints, spéciaux, à peu près stériles pour elle-même, un peu plus féconds pour l'autre groupe de sciences. En mainte matière particulière dépendant du droit privé successions, contrats, sociétés, etc., l'économiste peut être de bon conseil pour le juriste. Mais la loi civile, dans son ensemble, répond si richement à toute l'ampleur variée des mobiles humains; d'autre part, elle a dans nombre de ses parties des origines si lointaines, des causes ethniques, religieuses, morales, historiques si complexes et si tenaces; ses racines plongent et s'enchevêtrent si avant dans le passé de la vie nationale, que l'économie politique avec son critérium moral arbitrairement choisi et volontairement limité l'intérêt, avec le tour abstrait de ses principales spéculations, avec sa pauvreté de science née d'hier en matière d'observation et d'expérience, ne peut apporter à sa voisine que des raisons de décider secondaires et subsidiaires, jamais un principe prépondérant et impératif. L'économiste ne saurait se dissimuler que les formules aptes à trancher les questions juridiques sont infiniment plus larges et plus compliquées que les siennes.

En échange du peu qu'elle apporte au droit civil, l'économic poli

tique n'a rien ou presque rien à en recevoir. Précisément parce que ce droit est aussi varié que la nature humaine dont il emploie ou contrôle tous les mobiles, aussi compliqué et mêlé de passé que la société où il entreprend de faire régner l'ordre, son opération et ses effets débordent infiniment le champ étroit d'analyse où s'est confinée l'économie politique. Il y a là trop de conséquences diverses, émanant de trop de causes d'ordre différent, pour que l'économiste en puisse rien inférer avec sûreté à l'appui de ses déductions simplifiées. Le juriste ne lui rend même pas l'équivalent de ses maigres apports.

L'économie politiqne entretient des relations plus fructueuses des deux parts avec le droit commercial et avec le droit administratif. Ses rapports avec le premier sont évidents. Le second possède en commun avec elle les matières financières. Les deux points de vue, économique et fiscal, se rencontrent là et s'y tempèrent utilement sous le contrôle supérieur du point de vue politique. L'économie politique embrasse, en outre, toutes les questions relatives à l'organisation du travail, et particulièrement ce socialisme d'État qui, depuis cinquante ans, a incessamment grossi de ses alluvions, visibles ou cachées, les lėgislations administratives du monde civilisé. On ne peut plus isoler aujourd'hui les sciences économiques de toutes ces constructions statutaires, qu'elles ont contribué à élever, et qui sont devenues pour elle des cadres d'expérimentation instructive.

II

Nous avons pris jusqu'ici l'économie politique dans son sens étroit et originel, qui est d'ailleurs demeuré son sens classique. Désormais, à la suite d'une transformation provoquée en grande partie par l'école de Comte, l'économie politique n'entend plus se confiner dans cette presqu'île scientifique, détachée de la philosophie morale, où l'avaient trouvée ses fondateurs. Elle s'est en quelque sorte rattachée et incorporée à tout un large continent, en se confondant avec la science sociale. C'est ce dont témoigne la teneur même de la question qui nous est posée. La science économique et sociale embrasse dans un large et compréhensif tableau l'évolution de la société et de tous ses éléments collectifs, à travers des formes qui sortent l'une de l'autre par un processus naturel, ou qui luttent entre elles pour la vie, la victoire restant aux meilleures. L'économie politique avait de bonne heure distingué la période chasseresse, la période pastorale, la période agricole, etc. Une analyse plus approfondie et plus large a fait voir d'autres phases, dégagé d'autres types, la société militaire et la

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