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L'IMPOT FONCIER

ET

LA NOUVELLE ÉVALUATION DES PROPRIÉTÉS BATIES.

En substituant à l'impôt monarchique de la taille, dont la répartition donnait lieu aux plus criantes inégalités, un impôt nouveau, l'Assemblée constituante de 1789 donnait satisfaction à l'opinion; elle espérait aussi commencer, dans le système fiscal de la France, l'introduction de l'égalité, ce grand principe au nom duquel elle avait été convoquée et qu'elle essayait de faire prévaloir en tous lieux et en toutes choses. Malheureusement, l'Assemblée avait trop préjugé de ses forces. Elle croyait volontiers qu'il suffirait de vouloir pour pouvoir et que sa bonne volonté suppléerait à son inexpérience. En cela comme en beaucoup d'autres choses, elle se trompa et elle put s'en convaincre dès les premières applications de la loi sur la contribution foncière.

La nouvelle imposition devait être établie par égalité proportionnelle sur le revenu net des immeubles bâtis ou non batis. Fixée à 240 millions en principal, plus 5 sols additionnels, elle s'élevait, en définitive, pour le compte de l'État, à 300 millions, c'est-à-dire à une somme représentant, d'après l'estimation générale du revenu net évalué approximativement à 1,440 millions de francs, un taux d'impôt de 20.83 p. 0/0, ou de 16.66 p. 0/0, abstraction faite des centimes additionnels. Si l'évaluation du revenu foncier de la France avait été établie sur des bases absolument sûres, nul doute que le nouvel impôt n'eût pleinement répondu au but que se proposait l'Assemblée, mais il était loin d'en être ainsi. La distribution du contingent n'avait pu être opérée que d'une façon empirique, et sur presque tous les points du territoire le principe fondamental de la proportionnalité de l'impôt au revenu n'était pas appliqué.

Plus tard, on pensa qu'il serait facile d'atténuer les inégalités dans la répartition en opérant des dégrèvements sur les contingents départementaux, et, bien que ce ne fût là qu'un palliatif insuffisant, on l'employa pendant près d'un siècle. Mais la question de la peréquation restait tout entière à résoudre. Tous les gouvernements l'ont abordée; les résultats obtenus ont été insuffisants. La troisième république, à son tour, a entrepris de réaliser cette œuvre et de compléter sur ce point le travail de l'Assemblée constituante. Une première loi du 9 août 1879 prescrivit l'évaluation des propriétés

non bâties, et l'enquête qui fut faite à ce sujet par l'administration des contributions directes, donna des résultats tellement intéressants que le Parlement se décida en 1885 à voter les crédits nécessaires au recensement des propriétés bâties. Les résultats de cette enquête ont été consignés dans un remarquable rapport de M. Boutin, directeur général des contributions directes, que nous allons analyser.

Le rapport débute par des considérations générales sur l'état de la propriété bâtie. Il montre la rapidité du mouvement qui s'est opéré dans cette partie de la propriété foncière depuis la première enquête de 1850. De 18511853 à 1887-1889, époques auxquelles les deux opérations ont été effectuées, c'est-à-dire en l'espace de 36 ans, le nombre des propriétés bâties est passé de 7,325,204 à 9,051,542. Si nous retranchons de ce dernier nombre les résultats fournis par la Corse, l'ancien duché de Savoie et le comté de Nice qui n'avaient pu être compris dans l'enquête de 1850, nous arrivons au chiffre de 8,828,570. L'accroissement net a donc été de 1,503,366 unités, soit 21 p. 0/0.

Le revenu net constaté respectivement aux deux époques s'est élevé de 710,801,273 francs à 2,058,911,198 francs. L'augmentation totale est donc de 1,348,109,925 francs, soit de 190 p. 0/0, correspondant à une augmentation annuelle de 37,447,498 francs. D'après le travail de 1851-1853, le revenu moyen des propriétés bâties était de 97 francs; il est, d'après le travail actuel, de 223 francs, en augmentation par conséquent de 136 francs par propriété.

Cette augmentation du revenu moyen est considérable. D'après le rapport, elle procède de deux causes d'une part, le mouvement ascensionnel subi par le taux des locations; d'autre part, le progrès réalisé dans l'installation des habitations. On ne saurait nier la justesse de ces observations. Il est bien certain que l'augmentation du revenu net des propriétés bâties est réelle. Mais est-elle aussi considérable que les chiffres cités plus haut semblent l'indiquer? Nous ne le croyons pas. La dernière enquête, dirigée avec une habileté, un tact et une science administrative que révèlent les circulaires émanées de la direction générale des contributions directes, ne peut être incriminée, mais il semble à première vue que les chiffres fournis par l'enquête de 1850 étaient trop faibles et que l'administration d'alors a dû être induite en erreur dans ses évaluations.

Quoi qu'il en soit, la hausse du prix des loyers indique que des progrès ont été réalisés, et cela est plus heureux à constater que la modification dans la répartition des propriétés bâties qui s'est produite depuis 1851. Le rapport du nombre de ces propriétés situées dans les communes de 3,000 habitants et au-dessous, au nombre total des propriétés bâties est en effet descendu de 88 p. 0/0 à 83 p. 0/0, et le rapport de leur revenu au revenu total s'est abaissé de 46 p. 0/0 à 32 p. 0/0. Les propriétés urbaines forment donc aujourd'hui la sixième partie des propriétés bâties si l'on n'envisage que le nombre; elles en représentent plus des 2/3 si l'on considère la valeur. Voilà qui accuse nettement le courant incessant qui emporte les populations rurales vers les grandes agglomérations.

Ces considérations économiques exposées, M. Boutin étudie les faits constatés par l'évaluation en ce qui concerne la contribution foncière.

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§ 1. Revenu net. Les 9,051,542 propriétés bâties passibles de l'impôt foncier comprennent 8,914,523 maisons et 137,019 manufactures ou usines. Ces propriétés comportent une valeur locative réelle de 2,810,412,135 francs, qui, réduite aux 3/4 pour les maisons et aux 2/3 pour les usines, conformément aux prescriptions de la loi du 3 frimaire an VII, donne un revenu net imposable de 2,090,081,970 francs. Dans ce total, le département de la Seine entre pour plus de 655 millions, celui du Nord pour 94 millions; ils ouvrent la série des départements français. Au contraire, ceux de la Lozère et des Hautes-Alpes, dont le revenu net n'atteint pas 2 millions, la clôturent. § 2. Taux de l'impôt en principal. La contribution foncière en principal s'élevait en 1889 pour la propriété bâtie à 62,683,393 francs; elle représentait, par conséquent, 3 p. 0/0 du revenu net constaté par l'évaluation. Mais ce taux de 3 p. 0/0 n'est pas le taux exact de l'impôt. La contribution foncière qui vient d'être indiquée s'applique, en effet, exclusivement, aux propriétés bâties qui étaient imposables au 1er janvier 1889; mais l'évaluation ayant nécessairement porté sur toutes les propriétés existant au moment de son exécution et, en outre, ayant été effectuée en deux années, le revenu constaté se rapporte en partie à des immeubles qui, à la date du 1er janvier 1889, n'étaient pas encore imposables ou avaient cessé de l'être. Si l'on élimine les chiffres relatifs à ces immeubles, on trouve que le taux réel de l'impôt est pour 1889 de 3.07 p. 0/0. C'est là le taux moyen de la contribution foncière en principal pour l'ensemble de la France; ce taux varie de département à département depuis 0.97 p. 0/0 dans la Corse jusqu'à 5.30 p. 0/0 dans le Tarn-et-Garonne et de commune à commune depuis 0.15 p. 0/0 à Hendaye jusqu'à 42.21 p. 0/0 à Puy-SaintEusèbe (Hautes-Alpes).

L'inégalité dans la répartition apparaît ici formidable; et n'eût-elle eu pour résultat que de faire la lumière sur cet état de choses, l'enquête actuelle n'aurait pas été inutile. Les causes de ces écarts sont nombreuses et, comme l'explique très bien M. Boutin, elles résident surtout dans les vices de la répartition primitive de l'impôt, dans les défectuosités de la législation antérieure et dans les transformations économiques amenées par l'établissement des moyens de communication rapide. Le développement industriel et commercial créé par les chemins de fer a eu pour résultat d'abaisser le taux de l'impôt dans certaines régions. Partout ailleurs, ce taux est resté élevé.

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§ 3. Revenu net moyen par cote. Il a été impossible de calculer d'une façon exacte le nombre des propriétaires qui se partagent la propriété bâtie dans notre pays. Le dénombrement des cotes foncières se fait par commune. Les propriétaires possédant des immeubles dans plusieurs communes ont été, par suite, comptés plusieurs fois. On arriverait ainsi au chiffre de 6,595,175 propriétaires, qui est sensiblement trop élevé. Le revenu net moyen par cote ressort à 317 francs pour l'ensemble de la France et varie de 4,730 francs dans le département de la Seine à 59 francs dans

celui de la Lozère. Les départements les plus pauvres sont aussi ceux qui comprennent le plus grand nombre de propriétaires. Tandis que dans le département de la Seine il n'y a pas 5 propriétaires pour 100 habitants, il s'en trouve 26 dans les Basses-Alpes, 31 dans la Lozère. Il est sans doute facile, ainsi que le fait remarquer M. Boutin, de devenir propriétaire dans ces régions quelque peu déshéritées; mais le fait que la propriété s'y trouve placée en un grand nombre de mains n'en est pas moins important à constater c'est, au point de vue social, un élément de stabilité qu'il est bon de signaler. Les mêmes constatations peuvent être faites dans les communes, le revenu moyen par cote varie alors entre 100 francs dans les communes de 2,000 habitants et au-dessous et 6,919 francs à Paris.

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§ 4. Revenu net moyen par propriété. Ce revenu se trouve tout naturellement en corrélation directe avec le revenu moyen par cote. Il s'élève et s'abaisse avec ce dernier. Les chiffres sont toutefois un peu différents. La limite inférieure est de 76 francs dans les communes de dernière catégorie, la limite supérieure atteint 6, 944 francs à Paris. On ne saurait prendre, il est vrai, la capitale comme une commune ordinaire, et il faut plutôt la classer à part. Dans les grandes villes, en effet, ce revenu ne monte qu'à 1,245 francs, chiffre bien éloigné encore du maximum observé à Paris.

§ 5. Contribution moyenne en principal par cote et par propriété. La contribution moyenne par cote s'élève en principal à 9 fr. 50 cent. pour l'ensemble de la France. Ce chiffre est la moyenne de ce que l'État demande annuellement aux propriétaires d'immeubles bâtis. Mais ce n'est là qu'une moyenne qui ne se rencontre que fort rarement dans la pratique. Dans certains départements (Corse, Savoie, Creuse, etc.), la moyenne de la contribution est inférieure à 2 francs; dans d'autres, au contraire, elle atteint 25 francs (Rhône et Seine-Inférieure); dans le département de la Seine, elle dépasse 125 francs. Un des tableaux annexés au rapport de M. Boutin contient, par département, la moyenne de la contribution par cote et par propriété. Il suffit de le parcourir pour s'apercevoir que l'impôt n'a rien d'excessif dans son ensemble, et qu'il ne paraîtrait lourd dans aucune localité s'il était réparti entre toutes les communes proportionnellement aux forces contributives de chacune d'elles.

Outre ces constatations relatives à l'impôt foncier, le rapport du directeur général des contributions directes contient un commentaire complet de toute l'enquête faite par son administration; mais ce commentaire est si serré qu'il faudrait presque le citer en entier pour donner un aperçu de tous les faits intéressants qu'il contient.

En résumé, l'œuvre de M. Boutin est considérable. Après avoir indiqué dans ses circulaires avec une grande sûreté la marche que devaient suivre ses agents, il a centralisé leurs travaux, les a résumés et a su tirer de cette collection de tableaux numériques un remarquable exposé de la situation des propriétés bâties en France et des causes qui l'ont modifiée depuis un demi-siècle.

MAURICE HARBULOT,

Membre du Groupe d'économie politique et de finances.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS.

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Rambaud. Recueil des Instructions données aux ambassadeurs et ministres de France. · Russie. Paris, Alcan, 1890. Le recueil des Instructions, sous les auspices de la commission des Archives diplomatiques, vient de s'enrichir d'un volume consacré aux relations de la France et de la Russie jusqu'en 1748. La commission ne pouvait choisir un éditeur plus compétent que l'auteur de l'excellente Histoire de Russie qui est consultée avec fruit même dans le grand empire du Nord et qui a fait connaître en France la vie passée de cette monarchie. M. Rambaud a une profonde érudition, la connaissance complète des sources françaises et russes, et l'art de présenter sous une forme intéressante les résultats de ses recherches. Il ne s'est pas borné à accompagner de rares notes explicatives le recueil des Instructions; il a voulu faire œuvre d'historien, et il nous présente un exposé complet des relations de la Russie avec notre pays. L'introduction qui précède le volume est un beau morceau d'histoire philosophique, digne de l'auteur de l'Histoire de la civilisation en France, qui sait rassembler les événements comme en un faisceau, les lier et en embrasser d'un coup d'œil l'aspect général. Il explique l'ancien système politique de notre diplomatie dans le nord et l'est de l'Europe et montre quelles perturbations y a apportées la Russie par le seul fait de son avènement comme puissance européenne; il trace à grands traits le tableau des rapports du gouvernement français avec les czars jusqu'en 1789; l'histoire de ces relations ne pouvait d'ailleurs être séparée de l'exposé de la politique générale de la Russie. Les considérations historiques de cette introduction ne peuvent manquer d'être très suggestives; M. Rambaud nous fait voir la constance et la persévérance traditionnelles des hommes d'État et des souverains russes; il nous fait remarquer que peu de gouvernements ont eu une politique plus conséquente avec elle-même; il observe que depuis trois siècles il n'y a qu'une seule puissance à qui la Russie n'ait pas fait la guerre, c'est l'Autriche.

Après cette introduction commence le recueil des Instructions; mais avant de publier les Instructions adressées au premier envoyé officiel que la France ait eu en Russie, M. Rambaud a étudié les origines de la diplomatie russe; c'est un des chapitres les plus curieux de son livre. Élevée à l'école des empereurs byzantins (dont M. Rambaud a étudié depuis longtemps le système de gouvernement), la Russie a eu de bonne heure une diplomatie et une chancellerie politique; elle a attaché une importance extraordinaire aux formes de la courtoisie internationale, et ses ambassadeurs ont paru aux

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