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part d'Albéroni: le prélude en quelque sorte du vaste plan qu'il avait formé et qui comportait encore l'occupation de Naples et de la Sicile, l'expulsion des Impériaux, le retour des Espagnols en Italie. Il fut sur le point d'exécuter cette année même la première partie de ce programme, en tentant une descente en Sicile, mais sa flotte était partie trop tard d'Espagne et l'armée avait rencontré en Sardaigne plus de résistance qu'on ne croyait d'abord.

De plus, la situation de l'Europe avait changé. Le prince Eugène, après avoir battu Khalil-pacha sous les murs de Belgrade, venait de s'emparer de cette ville et de chasser définitivement les Turcs de la Hongrie. Or, comme le remarquait fort judicieusement Pastor, l'agent du roi de Suède à la cour de Vienne, cette victoire rendait la liberté aux armées de Charles VI, et la crainte d'avoir ces mêmes soldats sur les bras allait forcer Albéroni à plus de circonspection 1. En second lieu, les grandes puissances, qui s'étaient données pour mission de maintenir la paix, étaient décidées à s'entremettre de nouveau, et une conférence, où se rendaient Dubois et Penterrieder, s'ouvrait en ce moment même à Londres, afin de chercher une combinaison qui, en donnant satisfaction à l'Espagne et à l'empereur, éviterait une guerre à l'Europe. Ces deux événements, joints à la saison avancée, retinrent l'armée espagnole à Cagliari; ils donnèrent aussi à réfléchir au roi de Sicile et aux autres princes italiens qui, tranquilles jusqu'alors, auraient pu à un moment quelconque se laisser séduire par les succès de Philippe V, et saisir l'occasion qu'il leur offrait de secouer le joug de l'empereur et de s'agrandir à ses dépens 2. Malheureusement Philippe V ne devait écouter aucun conseil, ni ceux de la raison, ni ceux de la prudence. Il avait une femme trop ambitieuse et un ministre trop remuant. En outre l'Espagne était trop engagée dans sa voie pour pouvoir reculer. La question entre dès lors dans une nouvelle phase. Albéroni, qui poursuit toujours son plan de reconstituer l'empire des Rois catholiques, et qui sait que l'Europe a l'éveil depuis l'attaque de la Sardaigne, s'apprête à résister par tous les moyens. Il va adroitement tirer parti des bonnes dispositions de la France et de l'Angleterre pour compléter ses armements; il va essayer aussi de se faire des alliés dans les cours italiennes, à Turin principalement, afin d'être en état, au printemps suivant, de tenter la fortune dans de meilleures conditions. Seulement, cette fois, Victor-Amédée fera tous les frais.

(A suivre.)

1. Arneth, Prinz Eugen.

A. BARAUDON,

Membre du Groupe d'histoire et de diplomatie.

2. Pastor à d'Huxelles, 28 août 1717, Vienne; - Torcy, Mém. diplom., t. II.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS.

Antonin Deloume. Les manieurs d'argent à Rome, ouvrage couronné par l'Académie française et par l'Académie des sciences morales et politiques. Paris, Thorin, 1890. Le livre de M. Deloume est une étude d'histoire financière fondée sur des textes littéraires ou juridiques, que le savant professeur de la Faculté de droit de Toulouse a interprétés avec une remarquable sagacité et dont il a mis merveilleusement en lumière la signification longtemps ignorée. Ces textes, au moyen desquels M. D. fait revivre sous nos yeux les grandes sociétés par actions de la fin de la République romaine, sont, en effet, connus depuis bien longtemps, mais les anciens commentateurs n'en avaient soupçonné ni la portée, ni même le sens. L'un d'eux, Burmann, dont le livre sur les Vectigalia fait encore autorité, l'avouait sans détour, à la fin du xvme siècle, pour lui et pour tous ses prédécesseurs il se déclarait impuissant à comprendre ce que pouvaient bien signifier les mots partes carissimas, actions ou parts d'intérêt très chères. M. D. remarque avec justesse que si, pour nous, ces mots sont aussi clairs que possible, c'est qu'aujourd'hui presque tout le monde possède des obligations ou des actions, que chacun connaît l'existence du marché où on peut les vendre et les acheter et que les fluctuations en hausse ou en baisse du cours de ces titres sont familières à tous les esprits.

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Ce n'est pas ce marché lui-même dont M. Deloume a entrepris de décrire le fonctionnement. Il n'entre pas dans le détail des opérations qui s'y traitaient les textes sans doute ont manqué à sa sagacité. Mais il ressuscite pour nous, avec une intensité de vie étonnante, les hommes qui pratiquent ce marché, le personnel très mêlé du forum : banquiers, prêteurs à intérêt, agents d'affaires de tout ordre et de toute réputation, hommes de plaisir avec leur cortège de femmes galantes et d'usuriers, scorta exsoleta, quique stipulari solent, qui s'agitent dans les basiliques, sous les portiques, entre les deux Janus où tant de naufrages financiers ont eu lieu. Il nous montre quel est le principal objet des spéculations sur ce marché romain des fonds publics et autres marchandises la part d'intérêt dans les sociétés de publicains. Il recherche la nature juridique de ces partes, décrit l'organisation des sociétés de publicains, dénombre leurs membres et affiliés, fait l'histoire de leurs exactions dans les provinces, de leurs entreprises, à Rome, sur le pouvoir judiciaire qu'ils arrachent au Sénat et grâce à la possession duquel ils peuvent impunément soumettre les provinciaux à la plus incroyable et la plus effrayante tyrannie fiscale. L'auteur montre, notam

ment avec un texte de Polybe, dont la lecture devrait être recommandée aux commentateurs des constitutions modernes, enclins trop souvent à décrire minutieusement les rouages constitutionnels et à négliger l'étude des forces qui les font mouvoir, qu'à la fin de la République tous les citoyens sont intéressés dans les affaires des publicains, à ce point que ces affaires sont le centre de toute la politique intérieure et même extérieure de la République.

Les analogies sont évidentes, entre l'organisation des sociétés et du forum romains et celles de nos grandes compagnies et de nos bourses de valeurs mobilières. Un esprit moins avisé n'aurait pas résisté à la tentation de les mettre toutes en lumière, au risque de quitter le terrain solide de l'interprétation des textes pour édifier d'ingénieuses mais vaines hypothèses. M. D. ne l'a pas fait, est-il besoin de le dire? Il se borne aux rapprochements qui s'imposent. La série en est déjà intéressante: multiplication extraordinaire des sociétés; transmissibilité des parts; diffusion incroyable, on est tenté de dire : démocratisation de ces parts; existence d'un marché régulier, d'une sorte de bourse des valeurs mobilières; fortunes rapides et ruines retentissantes dues aux fluctuations des cours. Une seule conclusion nous paraît un peu douteuse. M. D. suppose que le plus grand nombre des associés s'engageaient jusqu'à concurrence seulement de leur part les sociétés de publicains ressembleraient, en conséquence, à nos commandites par actions. Les arguments de texte invoqués par M. D. ont une valeur certaine. Peut-être attache-t-il trop d'importance à un argument, qu'il appelle de bon sens. La responsabilité limitée lui paraît être un caractère normal de l'action. Il nous semble que c'est là une conception très moderne. On sait qu'en Écosse, à une époque toute récente, des banques par actions existaient dont les associés étaient responsables in infinitum. La limitation du risque était-elle bien nécessaire pour attirer dans les sociétés de publicains le capital du citoyen romain? Rien ne semble avoir été plus étranger à ce peuple que l'esprit d'épargne et de prudence de notre bourgeoisie.

Après la chute de la République, les sociétés de publicains perdent de leur importance bientôt elles disparaissent; le souvenir même paraît s'en effacer. C'est là un fait très remarquable, qui permet de constater une différence essentielle entre les spéculations de notre époque et celles de la Répu blique romaine. De prime abord, tout paraît semblable: voici la bourse, son agitation, son tumulte, sa foule de spéculateurs, d'intermédiaires, de capitalistes; les valeurs cotées sur le marché romain sont de même nature que les nôtres; les cours en sont variables comme aujourd'hui; ils subissent aussi l'influence des nouvelles, qu'apportent du fond des provinces les courriers des publicains. Mais allons au fond des choses. Quel est l'objet des sociétés dont les titres haussent ou baissent? Quelles affaires en dépendent? Il s'agit du pillage des provinciaux. Le peuple romain s'est organisé en société pour pressurer l'Asie. Il n'est pas question de produire des richesses, mais de se partager les dépouilles des vaincus. Il faut bien comprendre que la matière même des spéculations de notre époque manquait à Rome. Le commerce ne pouvait avoir quelque activité que dans les villes maritimes. Dès

que l'on s'éloignait des rivages de la mer ou des bords des grands fleuves, la cherté des transports devait entraver les opérations sur marchandises: c'est un état de choses qui a duré jusqu'au milieu de ce siècle. Les opérations sur capitaux ne pouvaient prendre plus de développement, car elles dépendent essentiellement des opérations sur marchandises. On voit ce qu'il y avait d'artificiel dans l'activité du forum romain. Peut-on s'étonner de l'oubli profond dans lequel sont tombés ses spéculateurs et leurs procédés de spéculation, lorsque vint à disparaître la matière de leurs transactions, c'est-à-dire l'exploitation des impôts?

A. A.

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Recueil des Instructions données aux Ambassadeurs et Ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu'à la Révolution française: André Lebon, Bavière, Palatinat, Deux Ponts; Rambaud, Russie. Plus on pénètre dans l'étude de notre ancienne diplomatie, plus on est frappé de sa prodigieuse activité, en même temps que de sa logique admirable, au moins pendant toute la période que l'on pourrait appeler la période classique, celle qui s'étend de 1648 au traité du 1er mai 1756, car si le renversement des alliances peut se justifier à certains points de vue, il fut la cause de bien des incohérences. Ce sont là les idées qui se dégagent de la lecture des deux derniers volumes parus du Recueil des Instructions.

L'électeur palatin, le duc des Deux-Ponts, voire même l'électeur de Bavière, n'étant assurément pas des souverains qui fissent grande figure en Europe, on pourrait considérer l'étude de leurs rapports avec la cour de France comme de médiocre intérêt. Il n'en est rien. Ainsi que le dit fort justement M. Lebon, dans son Introduction à la fois si claire et si substantielle, <«< c'est dans les petites cours que se préparaient jadis les éléments de la grande politique; si le fil des intrigues qui s'y nouaient parait parfois ténu, ce fil, uni à d'autres, formait les liens solides qui ont si puissamment contribué à assurer à l'ancienne diplomatie française cette cohésion qu'on admire aujourd'hui ». Et c'est ainsi que l'histoire de nos rapports avec les différents princes de la maison de Wittelsbach fait ressortir l'activité de notre diplomatie. Nous voyons le roi intervenir dans des questions qui pourraient sembler sans importance, se mêler à des affaires qui paraissent concerner simplement les princes de l'Empire et ne l'intéresser en rien, ménager même parfois un électeur de Bavière à l'égal d'un prince puissant; mais c'est toujours dans le but unique que nous poursuivions alors trouver des alliés pour abaisser plus aisément la maison d'Autriche. La Bavière se laissa parfois entraîner. Maximilien II fut même pendant un temps dépouillé de ses États pour avoir été trop fidèle à la France dans la guerre de la succession d'Espagne. Mais souvent aussi l'électeur se montrait moins docile. En effet, si la situation de ses États, voisins de l'Autriche, faisait de lui un allié précieux pour nous, elle l'obligeait aussi à beaucoup de prudence, car il était certain de les voir immédiatement envahis en cas de défaite. Au moment de la guerre de Hollande, l'entente

entre Versailles et Munich est complète, la Bavière signe en outre un traité avec la Suède, mais elle s'en tient là et ses troupes ne marchent pas. Lors de la succession de Pologne, elle s'arrange pour être à la fois avec les deux parties, s'alliant à l'Autriche et nous vendant sa neutralité. Il est vrai toutefois que si sa situation géographique la forçait à de grands ménagements envers l'Empereur, elle la mettait du moins à l'abri de la colère du roi de France, colère.dont l'électeur palatin eut à supporter les terribles effets.

Tandis que notre diplomatie s'efforçait de maintenir tout un faisceau d'alliances dirigées contre la maison d'Autriche, à l'autre extrémité du continent une puissance travaillait en sa faveur, il est vrai, sans le savoir. Le tzar ne peut étendre ses États et se frayer un chemin vers l'Europe qu'au détriment de nos fidèles alliés, les Suédois et les Polonais. Il est donc naturel qu'il les combatte, mais cela est tout à fait contraire à notre système politique. Aussi voyons-nous dès 1654 Louis XIV lui exprimer le déplaisir que lui causent ses guerres avec la Pologne et lui offrir sa médiation. Au début du règne de Louis XV, en 1721, Campredon est envoyé en Russie pour «< exercer la médiation dans la paix du Nord » et défendre les intérêts de la Suède vaincue. Mais déjà la situation était tout autre. La Russie de Pierre le Grand était devenue sinon une véritable puissance européenne, tout au moins une puissance avec laquelle tout le monde devait compter. Une question délicate se posait pour la France. Le tzar, plein de sympathie pour elle, offrait son alliance et proposait de remplacer à lui seul la Suède amoindrie et la Pologne affaiblie. Le Régent et Dubois refusèrent. Ils eurent tort, les événements l'ont prouvé. Il est difficile néanmoins de leur en faire un reproche. Ils ne pouvaient vraiment prévoir l'avenir et on comprend leur hésitation à abandonner des alliances peu avantageuses peut-être, mais au moins relativement sûres et consacrées par la tradition, pour se lancer dans l'inconnu à la suite d'un pays dont il leur était impossible de deviner la grandeur future. Repoussée par nous, la Russie se tourna bientôt du côté de notre adversaire et ce fut en qualité d'alliée de l'Autriche qu'elle envoya un plénipotentiaire à Soissons, en 1729, et se trouva ainsi représentée pour la première fois à un congrès européen. Alors commence une nouvelle période de l'histoire de nos rapports avec la Russie : jusqu'à présent elle nous a nui indirectement, en affaiblissant nos alliés, elle nous nuit maintenant directement, en s'unissant à notre ennemie.

Les choses demeurèrent ainsi jusqu'au traité du 1er mai 1756. Il y eut bien, un moment, un rapprochement entre les deux cours, à la suite de la médiation du marquis de Villeneuve et de la paix de Belgrade; La Chétardie, notre ambassadeur, devint un favori d'Élisabeth. Mais ce ne fut là qu'un intermède. Au moment de la paix d'Aix-la-Chapelle, les relations étaient devenues si peu cordiales que notre chargé d'affaires, M. de SaintSauveur, fut rappelé et les rapports diplomatiques rompus.

C'est à cette date que s'arrêtent les documents composant le premier volume publié par M. Rambaud; mais dans la magistrale introduction qu'il y a mise, le savant professeur nous présente un tableau complet des relations entre les deux puissances. Il y fait ressortir la situation singulière dans

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