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mique comparable à celle des colonies anglaises et françaises qui ont la capacité de faire des dettes. Une métropole met en valeur ses colonies; plus tard si les circonstances le permettent, elle exploite les richesses accumulées; espérer exploiter sans avoir mis en valeur est une chimère mal couverte par les mots de protectorats, de territoires protégés.

Ces formules sont peut-être trop absolues. Une des prétentions jamais oubliée de la politique coloniale allemande est de pourvoir de la manière la plus stricte aux dépenses des territoires avec leurs recettes propres; le gouvernement y est assez enclin de lui-même; les sentiments d'économie parcimonieuse du Reichstag en matière coloniale ne peuvent que l'encourager. Voilà pourquoi sans doute le nouveau système des colonies de la couronne et les systèmes précédents comparés entre eux, ont un certain air de famille. Il est facile de s'en convaincre d'après le programme publié par le baron de Soden à son arrivée dans l'Est africain 1:

... Plus de faits de guerre à moins qu'ils ne soient définitifs et forcés. Toutes les économies de ce fait et celles réalisées par la réduction des troupes seront employées à des constructions de routes....

... Le gouverneur général s'engage à encourager de toutes ses forces et de tous ses moyens les explorateurs, pionniers et colons, mais il a l'intention de les laisser dans leurs opérations entièrement livrés à eux-mêmes, de manière à développer le plus possible l'initiative privée....

... Le gouverneur espère, grâce à l'application de ce programme, décharger l'État allemand de toute contribution.

Il serait, croyons-nous, prématuré de chercher à tirer des conclusions de cette étude des protectorats allemands. Il s'agit d'un début, et malgré la rapidité des opérations de la politique coloniale allemande, nul ne sait l'avenir que lui réserve l'Angleterre, particulièrement en Afrique. Néanmoins, cette expansion d'outre-mer n'est pas vide de tout enseignement. Le plus grand danger pour une puissance. militaire est de transformer son domaine colonial en champs de manœuvres. L'Allemagne sans doute a dû faire des conquêtes, mais elle n'est pas encore tombée dans les excès. Elle a même un peu trop compté au commencement sur le prestige des opérations agricoles et commerciales pour obtenir le respect des indigènes. La force allemande, le génie allemand devaient trouver des formules de colonisation si nouvelles que non seulement les méthodes françaises, mais les

1. Traduction du journal La Géographie, 1891. Voir sur la question, Deutsche Kolonialzeitung, 7 mars 1891.

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méthodes anglaises elles-mêmes tomberaient dans le plus complet discrédit. Les climats tropicaux, les indigènes des territoires protégés ont eu vite raison de cette excessive confiance en soi-même, si répandue chez les peuples de l'Europe. Le chancelier de Bismarck ne voulait << aucune colonie dans le sens français 1». Le chancelier de Caprivi a inauguré le système des « colonies de la couronne »>, c'est-à-dire la colonie dans l'un des sens anglais du mot. Les Allemands l'imiteront avec leurs habitudes et leurs préjugés; ce sera le sens allemand du mot. Voilà des distinctions bien puériles, au regard des intérêts généraux de l'humanité, qui devraient servir plus souvent de motifs que de prétextes aux rivalités coloniales.

PIERRE D'ORGEVAL,

Membre du Groupe de droit public et privé.

1. Séance du Reichstag du 28 novembre 1885. 2. Séance du Reichstag du 5 février 1891.

LA QUESTION NÈGRE AUX ÉTATS-UNIS.

Le quinzième amendement à la constitution américaine proclame que « le droit de vote des citoyens des États-Unis ne peut être supprimé ou restreint par les États-Unis ou par un État quelconque à raison de la couleur, de la race ou de la condition antérieure des citoyens »>.

Telle est la charte des libertés des noirs et gens de couleur en Amérique. Rien ne les avait préparés à bénéficier de cette législation égalitaire; et dans les États à esclaves du Sud où une loi punissait d'amende et d'emprisonnement l'homme blanc coupable d'avoir appris au nègre à lire ou à écrire, ce brusque passage de la servitude et de l'ignorance à la liberté d'agir et de penser créa la plus périlleuse des situations sociales.

Avant d'examiner cette « question nègre » assez peu connue en France, il est intéressant d'en fixer par quelques chiffres le sens et la portée.

Un correspondant anonyme de Washington envoie au journal anglais le Times des extraits du recensement officiel de 1880, le dernier qui ait été publié.

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Dans plusieurs des quinze États dont il est ici question, les nègres possèdent donc aujourd'hui la majorité, faible, il est vrai, incapable encore d'écraser sous son poids la prépondérance intellectuelle et morale de l'élément blanc, mais pleine de menaces, grosse de dangers, à brève échéance peut-être, si l'on juge des progrès que lui réserve l'avenir par ceux que lui a vu faire le passé en moins d'un siècle.

En 1790, la Virginie comptait 442,117 blancs contre 305,493 noirs; la Caroline du Nord: 288,204 blancs et 105,547 gens de couleur; la Caroline du Sud: 140,178 des premiers et 108,895 des seconds; la Géorgie, enfin, respectivement 52,886 et 29,662 habitants de l'une et l'autre race. En quatre-vingt-dix années, par conséquent, comme il résulte de la comparaison de ces chiffres avec ceux du recensement de 1880, ces quatre États ont vu leur population blanche s'accroître seulement de 220.1 p. 0/0, tandis que leur population noire s'augmentait dans la proportion de 353.4 p. 0/0.

La statistique de l'Alabama, de la Louisiane, du Mississipi, de la Floride, révèle une situation analogue. En cent ans, l'élément noir s'y est développé de telle façon qu'il atteint aujourd'hui la majorité numérique, ou qu'il l'atteindra demain.

Bref, les noirs, qui ne formaient jadis que les 28 centièmes de la population totale de ces États pris ensemble, en représentent actuellement plus des 48 centièmes; en 1860 encore leur nombre était inférieur de 1/2 million à celui des blancs; dès 1880 il devient à peu près égal; et la répartition en est telle que, dans plusieurs États, ils sont d'ores et déjà les maîtres d'une majorité considérable et toujours grossissante. C'est particulièrement dans ces derniers que ce que nous avons appelé la « question nègre », se présente sous la forme du problème social le plus sérieux et le plus compliqué de l'époque.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement dans la Louisiane, le Mississipi et la Caroline du Sud que le développement de la race noire constitue un danger; de la baie de Chesapeake à la Floride, de la Floride au Mexique, on retrouve les noirs; mais ici leur groupement n'est plus le même, et si la campagne tout entière leur appartient, les blancs restent les maîtres dans les villes. A ceux-ci le commerce, l'industrie, les mines; à ceux-là l'agriculture, les durs travaux de la terre. Le blanc est intelligent, instruit; il est aussi ambitieux, mais sa constitution nerveuse s'accommode mal du climat des terres basses auquel résiste mieux la complexion robuste du noir. Qu'importe que celui-ci n'ait pour diriger ses bras qu'une conception lente, une ignorance profonde? Il se contente de peu et n'a pas d'aspirations plus vastes

que ses besoins. La nature qui a créé les deux races si différentes l'une de l'autre a assigné à chacune d'elles une sphère d'action distincte; c'est ce qui explique pourquoi la démarcation territoriale est aussi nette entre elles. Le mépris, d'une part, l'indifférence et l'apathie, de l'autre, s'ajoutent à ces phénomènes économiques et physiologiques pour empêcher toute fusion véritable.

Le noir est électeur, aux termes de la constitution; aucune capacité intellectuelle, aucune condition de fortune n'est exigée de lui; et la constitution reconnaît à la majorité, quelle qu'elle soit, le droit de

gouverner.

L'observateur étranger doit donc s'attendre à voir le gouvernement de ces États entre les mains d'une majorité noire; et pourtant, à son arrivée dans le Sud, il ne trouve rien de tel! Au contraire, il constate que l'homme blanc exerce encore sa suprématie comme au temps de l'esclavage; qu'une crise politique surgisse : « C'est l'affaire des blancs! >> s'écrie cette audacieuse minorité, et elle le fait sur un ton qui dissuade les noirs de s'en occuper.

Comment, par quelle méthode, les blancs arrivent-ils à ces résultats? Quels souvenirs ou quelles craintes leur conseillent de tenir les noirs dans cette sujétion? Par quel miracle, enfin, cette situation illogique pourrait-elle se prolonger indéfiniment; ou bien quels sont les remèdes à y apporter pour prévenir les désastres qu'entraînerait avec elle la ruine de la suprématie blanche!

Traiter ces questions, c'est examiner dans ses origines et son étendue actuelle le problème nègre; c'est aussi en étudier les diverses solutions, possibles, sans doute, mais qui constituent à leur tour autant questions» auxquelles l'avenir pourrait seul se charger de

de « répondre.

I

La guerre civile se termina en 1865, et avec elle prit fin l'esclavage qui avait été le motif ou le prétexte de la guerre, mais non la seule source de conflits entre le Nord et le Sud. Aucun parti ne regrette aujourd'hui l'abolition de l'esclavage; aucun ne voudrait le rétablir, même s'il en avait les moyens; mais bien des gens, en Amérique, estiment que l'esclave émancipé, le nègre inculte, ne devrait pas être l'égal du blanc, et jouir, comme lui, de tous les droits civils et politiques. Ceux-là ne voient dans l'émancipation du noir et son privilège électoral qu'une de ces folies généreuses que dicte le sentiment, que la raison condamne; en réalité, ce ne fut qu'une mesure militaire et une spéculation politique. Rien n'était plus propre, en

A. TOME VI. - 1891.

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