Sivut kuvina
PDF
ePub

ANALYSES ET COMPTES RENDUS.

Albert Sorel, membre de l'Institut. L'Europe et la Révolution française, 3e partie, La Guerre aux Rois, 1792-1793. Paris, Plon, 1891. -- M. Albert Sorel, qui nous avait présenté, dans son premier volume, le tableau de l'Europe, de ses mœurs et de ses traditions, à la veille de la Révolution française, nous montrait, dans le tome II de son grand ouvrage, les origines de cette Révolution et nous conduisait jusqu'au moment où la guerre était déclarée à l'Europe et où la royauté disparaissait dans la tourmente; la 3e partie est le récit de la lutte.

Il ne s'agit pas ici assurément d'une histoire militaire: celle-ci a été entreprise par M. Chuquet et les cinq volumes qu'il a déjà fait paraître sont des modèles; ce n'est pas non plus, à proprement parler, seulement une histoire diplomatique de ces campagnes que M. Sorel a prétendu faire. La parție diplomatique tient certes une large place dans son livre et elle y est faite de main de maître, d'un style large et à la fois précis, où le document exact se sent toujours sans qu'il s'étale pourtant et fatigue le lecteur en lassant son attention. Les faits sont considérés de plus haut, et nous sommes bien en présence d'une histoire philosophique. Les têtes de chapitre seules le livre est merveilleusement composé suffiraient à montrer comment M. Sorel a envisagé son œuvre la guerre «< d'indépendance nationale », la guerre << d'affranchissement », la guerre « d'expansion », la guerre de « révolution », la guerre de « conquête », la guerre de « terreur », voilà ce qu'il nous montre; cette progression est le lien qui rattache les diverses parties les unes aux autres et c'est à la lumière de cette idée qu'il éclaire les événements jusque dans leurs moindres détails et qu'il nous les fait comprendre.

((

car

Au moment où nous entrons en matière, la France est envahie; les émigrés y sont entrés à la suite des Prussiens et ils déclarent bien haut qu'ils vont rétablir l'ancien régime et châtier de façon exemplaire les révoltés de la capitale. L'œuvre de la Révolution est tout entière en jeu : le patriotisme de la nation s'émeut; aux anciens régiments de l'armée royale se joignent les volontaires, et, malgré la faiblesse et les tiraillements intérieurs du gouvernement, l'armée de Dumouriez, qui est à ce moment l'âme même de la patrie, résiste victorieusement à l'assaut de Valmy et sauvegarde l'indépendance nationale. Mais la Convention vient de se réunir; Valmy l'a débarrassée de sa principale crainte, l'invasion étrangère, et la retraite des Prussiens d'abord, celle des Autrichiens ensuite, après Jemmapes, laissent le champ libre à son activité diplomatique et militaire: il s'agit de poursuivre ces premiers succès et tandis que Custine s'avance jusqu'à Mayence et que

Dumouriez conquiert la Belgique, Montesquiou entre en Savoie et Anselme à Nice. Mais la France s'épuise à supporter le poids de tant de victoires. Que faire? ce que la logique commande : le peuple français devenu libre apportera la liberté aux peuples que ses drapeaux visiteront, et comme il est juste que tout bienfait se paye, il leur ôtera leurs chaînes à condition qu'ils l'aident dans sa lutte contre les tyrans : c'est ce qu'on appellera la guerre d'affranchissement.

Et comme il n'est pas raisonnable que les seuls voisins de la République profitent de ses bienfaits, la Convention «< accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté » et ses généraux accourront les défendre au premier appel d'où la guerre d'expansion ou de propagande. Ces nouvelles guerres amènent de nouvelles et plus formidables dépenses, et la France continue de se ruiner; or n'est-ce pas peu qu'une simple alliance pour prix de la liberté et n'est-il pas convenable que les pays nouvellement affranchis supportent toutes les charges de leur libérateur et ne fassent qu'un avec lui? C'est pourquoi des agents se répandent de toutes parts dans les provinces limitrophes, excitant les populations à voter leur réunion à la grande République, et avant même que les comités soient organisés partout et les votes émis, l'Assemblée rend son décret sur les frontières naturelles et déclare le territoire de la République indivisible. C'est la guerre de révolution; elle devient guerre de conquête quand les peuples que l'on prétendait affranchir, opprimés par les clubs et pressurés par les collecteurs d'impôts, se refusent à recevoir de plein gré les onéreux bienfaits dont ils sont accablés.

Chacune de ces grandes mesures a été prise par un décret et chacun de ces décrets avait été préparé par un homme Isnard et Condorcet avaient donné le manifeste de la guerre d'affranchissement, Grégoire, celui de la guerre de propagande, et Cambon, celui de la guerre de révolution et de conquête. Il y a pourtant, en tout cela, un enchaînement fatal, et l'on ne voit pas comment, le premier de ces décrets adopté, les autres eussent pu ne pas suivre; la logique des choses et celle des passions humaines l'exigeaient; aucune volonté, fût-elle la plus énergique, n'y eût rien fait c'est ce qui ressort avec une évidence absolue du livre de M. Sorel. Il semble même que les hommes de ce temps aient eu vaguement conscience de cette sorte de fatalité qui pesait sur eux. On nous en présente quelques-uns comme des àmes étonnamment trempées. Danton, par exemple, aurait été un colosse : il avait le sentiment merveilleusement juste des nécessités du moment, le tact politique le plus fin et il se sentait la force de dominer l'État. Quel usage fait-il de ces rares qualités? Il commence d'ordinaire par donner à l'Assemblée l'avis le plus sensé, celui que le jugement de l'histoire doit approuver; mais peu à peu il se sent dépassé, le courant l'entraîne et pour ne pas se perdre, pour garder cette influence qu'il espère toujours pouvoir faire servir plus tard au triomphe d'idées justes, il cède et consent à tout. Il avait compris où la guerre de révolution devait mener la France; il savait qu'elle devait aussitôt nous aliéner les dernières puissances qui demeuraient neutres, cette Angleterre surtout dont il aurait tant voulu acquérir l'amitié, et il

laissait faire, il se taisait, s'il ne poussait pas la République dans la voie où elle était précipitée. Peu d'hommes avaient l'intelligence des choses aussi nette que Danton; mais ceux mêmes qui en avaient quelque lueur n'en laissaient pas moins le torrent couler, et c'est ainsi que l'on arrive peu à peu à l'extrême conséquence des principes précédemment posés, à la rupture de parti pris avec tous les royaumes de l'Europe, indignes désormais d'entrer en négociation avec les républicains, et à la guerre de terreur : c'était là l'unique idée diplomatique qu'avait su enfanter l'esprit de Robespierre, et c'était aussi le terme logique et fatal des événements.

En ce sens ce troisième volume de M. Sorel est triste, car les hommes, pour grands qu'ils soient, y sont toujours dominés par la force supérieure des choses. On en peut déduire heureusement certaines autres conclusions propres à détruire une telle impression. Un des thèmes favoris de déclamation de quelques-uns de nos rhéteurs modernes est que ce régime de la Terreur était nécessaire et que c'est à lui que la France dut son salut rien de plus dangereux pour l'avenir qu'une semblable théorie et, M. Sorel nous le prouve victorieusement, rien de plus faux. La Terreur n'a rien sauvé; elle a tout gâté et elle a failli tout perdre. Tant que les terroristes furent les maîtres de l'armée, devenus tyrans pour masquer leur faiblesse, ils y brouillè rent tout; en envoyant aux officiers et aux généraux, en place d'instructions, des mandats d'amener et des ordres à comparaître devant le tribunal révolutionnaire, ils ne surent que préparer la défaite; il fallut qu'un homme se trouvât, résolu à séparer les opérations militaires de la politique, assez habile administrateur pour créer à nouveau des ressources que de longs mois de faiblesse et de fautes avaient dilapidées, assez energique pour évincer les généraux incapables à qui le favoritisme terroriste avait confié le commandement des armées, pour choisir de nouveaux chefs et pour leur rendre confiance, capable en un mot d'organiser la victoire. Dans l'ordre civil, la Terreur n'a pas fait davantage : si la Convention a fait les grandes choses qui l'ont immortalisée, ce n'est pas les terroristes qui prirent aucune part à son travail : tandis que ceux-ci ne songeaient qu'aux mesquines mais sanglantes querelles de la politique journalière, un groupe d'hommes qui s'abstenait avec soin des stériles discussions de la tribune, s'occupait dans le silence des comités de la rédaction des grands décrets organiques qui constituèrent la nouvelle société, et c'est à peine si les brouillons qui gouvernaient, avaient connaissance des nouveautés qui s'élaboraient, loin de les défendre de l'autorité attribuée à leur parole, dans les séances d'affaires, d'ordinaire écourtées, de la Convention. Et l'on peut dire presque que le peuple français imitait l'exemple que lui donnaient ces modestes mais utiles travailleurs. Les passions malsaines et terroristes qui lui firent tant de mal ne l'agitèrent véritablement qu'à la surface et tandis que les médiocrités d'en haut se remuaient, lui-même continuait sourdement et sans s'en apercevoir la grande œuvre de 1789, ne puisant, dans la crise formidable où on l'avait précipité, qu'un plus ardent amour d'une patrie qui avait plus besoin de son dévouement.

R. K.

Lefèvre-Pontalis, membre de l'Institut. Notice sur M. Hippolyte Carnot. La notice de M. Lefèvre-Pontalis sur son prédécesseur à l'Académie des Sciences morales et politiques est plus qu'une étude biographique; elle touche, de la manière la plus intéressante et la plus heureuse, à l'histoire des idées et des institutions en France. Le sujet y prêtait, car Hippolyte Carnot fut mêlé à la plupart des mouvements littéraires et politiques de notre époque. Dans sa première jeunesse, à peine revenu de l'exil où l'avait conduit la piété filiale, il s'éprend d'une vive passion pour les doctrines du saint-simonisme. Il figure parmi les initiés, fréquente les maîtres; il est admis dans leur intimité, et c'est l'occasion pour l'auteur d'évoquer en quelques mots ce milieu plein d'idées et d'illusions, cette réunion d'où sortirent tant d'hommes appelés à marquer dans l'histoire du siècle, cette école qui eut le tort de vouloir devenir une église. M. Carnot avait assez d'enthousiasme pour partager les illusions du saint-simonisme, il avait trop de raison pour y persévérer, et nous assistons bientôt à une évolution de ses idées, à un retour marqué vers des sentiments religieux qui furent l'une des forces de sa vie. Puis, c'est l'homme politique qui nous apparaît, entré tout jeune dans ces assemblées délibérantes dont il devait devenir l'un des doyens. Député de Paris en 1839, réélu plusieurs fois, il prend au parlement un rôle secondaire, mais laborieux et utile: il se spécialise en quelque sorte dans les questions qui intéressent le plus directement le progrès matériel et moral de l'humanité, l'affranchissement des esclaves, l'amélioration du régime pénitentiaire, les conditions du travail des enfants dans les manufactures, et l'on retrouvera en lui, jusqu'à la fin de sa longue existence, le philanthrope ardent et convaincu. En 1848, ministre d'une république prématurée, il sut parfois, au milieu de collègues quelque peu effarés de leur triomphe, réagir contre des tendances excessives: son passage au département de l'instruction publique fut signalé par des intentions droites et quelques efforts heureux on doit lui savoir gré de ce qu'il fit et surtout de ce qu'il s'abstint de faire. Plus tard, dans nos différentes assemblées, il se contenta d'exercer sur son parti l'autorité que lui donnaient la dignité de sa vie, l'élévation de son caractère et la constance de ses principes. Républicain de naissance, inébranlable dans sa foi politique, son sens droit le portait naturellement à se placer parmi les modérés, à prendre le parti de la tolérance politique et religieuse, à ne point séparer la cause de la République de celle de la liberté.

La partie de la notice consacrée aux œuvres littéraires et historiques de M. Carnot est et devait être particulièrement développée, s'adressant aux confrères qui avaient pu apprécier en lui le penseur et l'écrivain. M. LefèvrePontalis rappelle les nombreuses brochures de son prédécesseur, consacre une mention spéciale à l'étude sur Lakanal les travaux sur l'abbé Grégoire et Barère lui fournissent matière à un ingénieux parallèle entre une vie toute de principe, celle du premier, et une vie toute d'expédient, celle du second. Il insiste spécialement sur l'œuvre maîtresse de M. Carnot, sur le monument consacré par lui à la gloire de son père, ces Mémoires sur Carnot, qui demeurent un document d'incontestable valeur. Nous touchons

ici aux événements les plus dramatiques, les plus glorieux et les plus atroces de la crise révolutionnaire. M. Lefèvre-Pontalis parle d'eux en historien qui a fait ses preuves, et les juge de leur véritable point de vue, sans y mêler aucun souvenir des luttes et des passions contemporaines. Il sait relever dans les mémoires sur Carnot ce qui y figure de véritablement neuf et curieux, à savoir les détails donnés sur le fonctionnement intime du redoutable Comité. D'après l'ouvrage, il fait voir ce qu'était le Comité de Salut public, «< comment le travail s'y répartissait et s'y divisait, sans qu'il y eût délibération en commun, et par une solidarité plus apparente que réelle ». Il en démonte les ressorts et les fait jouer devant nous : il évoque Carnot dans son bureau, au milieu de ses cartes et de ses plans, entouré de collaborateurs auxquels se communique sa féconde activité. Il rend pleinement justice et sur ce point les données les plus récentes, les plus impartiales de la science ne sont point pour le contredire à Carnot ministre de la guerre, âme de la défense nationale, administrateur incomparable, créant les quatorze armées de la République, assurant la victoire que d'autres se bornaient à décréter, poussant jusqu'au génie l'esprit d'organisation et de méthode, échauffé constamment et élevé au-dessus de lui-même par la passion de la patrie. Le rôle politique de Carnot appelait d'expresses réserves : M. LefèvrePontalis s'est gardé de les omettre. En somme, placé en présence d'un double modèle, car on ne pouvait parler du fils sans s'occuper du père, il a su tracer d'eux un portrait véridique, ressemblant, d'une équité bienveillante, sans jamais abdiquer la liberté de ses opinions et de ses jugements. Il a pu tout dire, sachant dire avec tact, avec esprit et avec art. Son étude, écrite d'une plume élégante et fine, est un morceau achevé du genre académique, et on nous saura gré de reproduire le trait final, qui marque si bien la place de M. Hippolyte Carnot dans la dynastie républicaine dont il fait partie : << Il avait toujours été fier de son père; il se sentait fier de son fils, et s'il avait connu l'heureuse satisfaction d'être un descendant, une satisfaction plus douce encore et à laquelle il ne pouvait s'attendre lui était réservée : il devenait un ancêtre ».

A. V.

Paul Jaccottey et Mabyre. Album des services maritimes postaux français et étrangers avec notices commerciales sur les principaux ports français et étrangers (sous la direction de M. E. Levasseur, de l'Institut), Paris, Delagrave, 1891. La première carte de cet important album, qui vient de paraître, est relative aux services maritimes postaux français dans toutes les parties du globe. Les autres cartes de l'album, qui paraîtront dans quelques mois, contiendront les cartes des services étrangers et des cartes de détail relatives à l'ensemble des services postaux et télégraphiques.

Ce sera le document géographique le plus précieux pour les agents des postes, les négociants, les industriels, en un mot, pour toutes les personnes qui ont des relations avec les pays lointains.

« EdellinenJatka »