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HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

JEAN JOUVENET.

Si l'école française se glorifie de compter parmi ses peintres Nicolas Poussin, Eustache Le Sueur et Charles Le Brun, elle peut encore s'enorgueillir du talent de Jean Jouvenet. Cet artiste qui, comme Le Sueur, ne vit jamais l'Italie, naquit à Rouen en 1647, et non en 1644 comme l'ont écrit plusieurs auteurs. Élève de son oncle Laurent Jouvenet, il le surpassa bientôt, ainsi que son aïeul Noël Jouvenet, qui avait donné les premières leçons à Poussin. Jean Jouvenet vint à Paris à l'âge de 17 ans, et ne prit alors d'autres leçons que celles qu'il puisa dans l'étude de la nature; aussi son talent, entièrement original, ne tient-il en rien de ceux des autres maîtres.

On ne connaît rien de ce qu'il fit d'abord à Paris; le premier ouvrage dont on ait conservé le souvenir est la guérison du paralytique. Ce tableau, l'un des Mais de Notre-Dame, fut présenté à l'église en 1673, par les orfèvres Delafosse et Duhamel. Le peintre n'avait que 25 ans, et l'on trouve dans son tableau une composition hardie et une couleur vigoureuse. Un semblable début frappa tous les esprits et fit appeler l'auteur, en 1675, à l'Académie royale, où il fut présenté par Charles Le Brun. Jouvenet fit alors pour sa réception un tableau représentant Esther devant Assuérus.

Chargé ensuite de décorer les appartemens de l'hôtel de Saint-Pouange, Jouvenet y fit trois plafonds et deux tableaux. Dans le premier, on voyait Vénus recevant la déesse Flore; dans l'autre, Apollon et les Muses avec Hercule; le troisième représentait Diane disparaissant au lever du Soleil et regardant Endymion, prêt à se réveiller au point du jour. Il entreprit ensuite, pour l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs à Paris, les grands tableaux qui firent connaître toute la force de son talent. Désignés habituellement sous la dénomination des quatre Jouvenet, ces vastes compositions, publiées dans ce Musée, représentent la Résurrection de Lazare, no. 394; le Repas de Simon, no. 406; les Vendeurs chassés du Temple, no. 410 et la Pêche miraculeuse, no. 411. Ces tableaux, justement admirés, donnèrent cependant lieu à un procès entre le peintre et les religieux. Ceux-ci, peu flattés d'avoir de si beaux tableaux dans leur abbaye, se prétendaient en droit de ne pas les recevoir, parce qu'ils avaient chargé l'artiste de représenter la vie de saint Benoît, leur patron. Jouvenet, dans sa défense en présence des juges, dit ingénument au procureur du couvent : « J'ai dessiné sur une grande toile plusieurs scènes de l'illustre saint Benoît entouré de ses religieux, mais cela ne pouvait réussir en peinture. Que pouvais-je faire, dans une composition, de trente sacs à charbon comme celui que vous portez. » Les juges ne purent s'empêcher de rire de cette repartie, et Jouvenet gagna sa cause. Louis XIV, curieux de savoir si en effet les - religieux avaient raison de refuser les tableaux de Jouvenet, les fit apporter à Trianon; il en fut si content qu'ilordonna au peintre d'en faire des copies pour servir de modėles à la manufacture des Gobelins.

En 1690 l'abbé de Saint-Riquier voulut faire faire un tableau du roi touchant les écrouelles au moment de son sacre. Il ouvrit entre les meilleurs peintres de cette époque un concours dont le prix était une médaille de 200 fr. Jou

venet ayant remporté le prix, fut chargé de l'exécution.

Quelques années après, en 1694, Jouvenet alla à Rennes pour peindre le plafond de la chambre du conseil, au parlement : cette grande composition représente l'Innocence poursuivie par le Mensonge, et se réfugiant dans les bras de la Justice. Le roi, pour récompenser le mérite du peintre, lui accorda une pension de 1200 fr. L'année suivante Jouvenet peignit en quarante-cinq jours le plafond d'une galerie de 40 pieds, dans l'appartement de M. de La Motte-Piquet, greffier du parlement de Bretagne.

De retour à Paris il s'occupa de faire pour le maître-autel de l'église des Jésuites à Rennes, une adoration des Mages; une annonciation pour l'une des chapelles de la même église ; un Christ au Jardin des Oliviers pour la paroisse de SaintÉtienne. Vers le même temps il peignit, pour le couvent des Capucines à Paris, cette célèbre descente de croix qui peut être mise en parallèle avec celles de Daniel de Volterre et de Rubens. Il fit aussi pour le chœur des Chartreux un tableau représentant Jésus-Christ au bord du lac de Génésareth.

Jouvenet fut chargé en 1702 de peindre à fresque les douze apôtres dans le bas de la coupole des Invalides; ces figures ont 14 pieds de proportion. On en voit les esquisses au Musée de Rouen. La manière dont il s'acquitta de ce travail engagea le roi à le charger de refaire les peintures de la chapelle Saint-Ambroise, mal exécutées par le peintre Poërson, mais Jouvenet ne voulut pas faire cette peine à un confrère ; il eut en place la voûte de la tribune du roi, à la chapelle de Versailles, où il peignit la descente du Saint-Esprit sur les apôtres. Le roi, voulant donner à l'artiste une nouvelle preuve de sa satisfaction, augmenta sa pension de 500 fr. et donna ordre, en 1709, au duc d'Antin d'envoyer Jouvenet en Italie; mais une attaque de goutte retint alors le peintre à Paris, et, la vieillesse arrivant, il ne put exécuter ce projet.

Le Musée de Rouen possède le portrait de Jouvenet, peint

VILIETE LYON

Buonoth. de Palais des Arts

par lui-même. On admire aussi dans ce même Musée la mort de St. François, et l'on place ce tableau parmi les plus belles productions de l'artiste. En 1713 Jouvenet fut surpris par une terrible attaque d'apoplexie, et resta paralysé du bras droit jusqu'à la fin de ses jours; cependant, toujours actif, il essaya de prendre le pinceau de la main gauche, et fit le plafond de la chambre des enquêtes au parlement de Rouen. Cette composition allégorique ressemble à celle faite précédemment pour le parlement de Rennes. Il fit aussi pour l'église de Notre-Dame de Paris ce tableau du Maguificat, qui acquit tant de célébrité, par la singularité d'avoir été peint de la main gauche, et comme étant le dernier ouvrage de l'auteur. Jouvenet eut à peine le temps d'y mettre la dernière main, et mourut en 1717, âgé de 73 ans.

De mœurs douces et d'un esprit enjoué, Jouvenet fut aimé généralement : il perdit de bonne heure sa femme et n'eut pas de fils; mais il eut pour éleves ses neveux François Jouvenet et Restout.

Jean Jouvenet n'excite plus l'enthousiasme que l'on eut de son vivant; mais il mérite toujours d'être estimé. Ses ouvrages sont pleins d'énergie, l'exécution en est facile; ses compositions se font remarquer par un bel ensemble, de beaux contrastes et de grands effets de lumière; mais son dessin manque de noblesse, sa couleur, quoique vigoureuse, n'a pas assez de variété, et tombe souvent dans le jaunâtre. Sa manière de draper est originale, et ses compositions sont enrichies ordinairement d'une belle architecture. Taillasson, en parlant de Jouvenet, dit avec raison qu'il est à Poussin, et à Le Sueur, ce que Crébillon est à Corneille et à Racine.

Les tableaux de Jouvenet sont au nombre de plus de 80; les graveurs qui ont travaillé d'après ses tableaux sont Drevet, Deplaces, J. Audran, Duchange, Thomassin et Cochin.

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