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Éloi et les reliques de saint Quentin, qui ne se trouve pas chez l'évêque de Tours, bien que le texte latin cite le chapitre même où elle serait racontée (notre édition, p. 45). Huon le Roi nomme Grégoire quand il traduit la dernière histoire, où cet auteur n'a rien à voir, mais il ne le cite pas quand il traduit le seul miracle de saint Quentin dont il soit question dans les œuvres de Grégoire, et duquel il est affirmé avec raison dans les Actes de notre saint que Grégoire le donne „hisdem verbis eisdemque syllabis". De l'autre côté, nous trouvons dans le poème une assertion qui ne laisse pas de surprendre; v. 3977 et suiv., tout à la fin de son poème, Huon fait entendre que c'est Grégoire de Tours qui a raconté tous ces miracles et qu'il a voué à saint Quentin une adoration spéciale. Notre auteur a été induit en erreur par l'indication déjà fautive dont le texte latin accompagne le récit de saint Éloi et les reliques: „Gregorius . . . ita de nostris affatus est martyris miraculis", et il a peut-être voulu revendiquer à son saint le même honneur dont jouissait saint Martin, c'est à dire d'avoir été objet de l'attention spéciale du célèbre historiographe des Francs.

Les miracles sont racontés dans un ordre très différent de celui où ils sont rangés dans le Liber miraculorum, imprimé par les Bollandistes; Huon le Roi n'a pas reproduit toutes les histoires qui se trouvent dans sa source latine.

Quant à la manière dont il s'est servi de ces sources, elle ne diffère guère du traitement que subissent en général les hagiographies latines sous les mains des versificateurs français: presque rien d'indépendant ou de poétique, rarement un grain de vivacité ajouté à la monotonie du récit latin, délayage souvent démesuré, obtenu au moyen de réflexions banales, de répétitions inutiles, de chevilles connues. Tout le récit du martyre de saint Quentin suit presque mot à mot le texte latin, avec des enrichissements de détail et des exceptions insignifiantes, comme p. ex. l'oratio recta au lieu du récit simple, une épithète placée dans une autre réplique (lupe rapax etc. p. 15 se trouve dans le texte français un peu plus tard, au vers 910) etc. Il est rare que quelque chose qui se trouve dans l'original ait été omis, comme p. ex. les noms des dieux que Rictiovaire appelle (texte lat., éd. p. 19; cf. v. 1108 et suiv.). Une fois, v. 620 et suiv., le poème diffère sensiblement du texte latin; il s'agit d'une allocution de saint Quentin, qui dans l'original ne contient que la confession de foi, tandis que le poète met dans la bouche du saint des louanges de Dieu adressées spécialement aux païens. Détail caractéristique à annoter à propos des rapports entre l'auteur et son modèle: les vers 3692-3:

Al tans l'empereor Pepin
Et l'empereour Loëys

seraient incompréhensibles, si l'on ne savait pas que l'Authentique et un autre manuscrit donnent „in diebus namque Pipini, strenui regis, aut nobilissimi imperatoris Ludovici",

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Helsingfors, se rattache par son contenu très étroitement à celui de Huon le Roi et il ne serait peut-être pas téméraire de dire que l'auteur de ce poème, qui paraît être de l'extrême fin du XIII:e ou du commencement du XIV:e siècle, a eu sous les yeux, ou du moins a connu l'œuvre de Huon. Voici les indices qui permettent de le supposer: le poème en alexandrins introduit, comme l'autre, Gencien parmi les compagnons de saint Quentin; il intercale l'épisode de la vie de saint Victorien et saint Fuscien, où figure ce vieillard; il raconte le miracle du comte de Riale (sans toutefois mentionner ce nom); en rapportant le miracle du lépreux qui guérit par la chemise, il fait mettre cette chemise sur saint Quentin, ce qui correspond à la version de notre poème; il fait revenir encore une fois ce Bai (strophe 54) tout à fait dans la même connexion où il apparaît pour la seconde fois chez Huon le Roi. Toutes ces ressemblances ne sauraient être fortuites à moins qu'on ne suppose un modèle latin commun qui aurait offert les mêmes traits caractéristiques, mais l'existence d'une telle compilation est plus que douteuse - et une comparation minutieuse des textes y ajoute encore des analogies dans la forme, des expressions identiques etc. qu'on ne saurait négliger non plus. Nous nous bornerons à signaler ici une seule concordance de détail entre ces deux textes français. Presque au début de la Vie latine (v. ci-dessous, p. 5) on lit ceci: „Igitur praefati duo sanctissimi viri, scilicet Quintinus et Lucianus, Ambianis Galliae civitatem venientes, loca in quibus commorari deberent, elegerunt Sanctus namque Quintinus Ambianis resedit, beatus vero Lucianus Belvacos adiit". La traduction en prose française, conservée dans le manuscrit de St-Pétersbourg n:o 35 et dans celui de Bruxelles n:o 10295-304 (comp. plus loin) rend fidèlement ce passage: Li dui saint home, sainz Quentins et sainz Luciens, alerent tant qu'il vindrent en une cité de France qui Amiens est apelee. La esgarderent il et porpenserent entr'aus deus en quel lieu il vodroient demorer ne arester por servir Nostre Seigneur. Donc se departirent, si s'en ala messires sainz Luciens a la cité de Biauvez et sainz Quentins demora en la cité d'Amiens, qui dès adonc estoit bien pueplee et renomee. Mais le poème de Huon le Roi s'écarte ici un peu du mo

dèle latin:

Cil ki erent en Deu creant
Vinrent a Biauvais la cité.
Sains Luciiens ot volenté
165 Qu'il prenderoit la demorance,

Et sains Quentins sans atendance
S'en vint en le cité d'Amiens,
U dont avoit poi de crestiens,

Ains i erent paien gaignon.
170 Et li autre .IX. compaignon,
Si com Damedex lor aprist,
Cascuns son liu ama et prist
Par la terre en maintes contrees,
Ki par iaus furent amendees.

1 Voy. Söderhjelm, dans l'édition, p. 492-3, P. Meyer dans la Romania, t. XXXI, p. 644.

La version en quatrains s'écarte également du texte latin, pour suivre le poème de Huon le Roi:

Les sains, qui s'entretindrent certaine compaignie,
Firent tant qu'a Biauvais vindrent une nuitie.

81 La terre de paiens estoit toute pueplee.

A saint Lucïen vint en cuer et en pensee
Qu'a Biauvès demouroit, que ainssi li agree.
Saint Quentin a Amiens a sa voie tournee.

Il n'y a dans le texte latin rien qui corresponde directement aux vers 170-4 de Huon, cités ci-dessus. Mais le rimeur des quatrains continue immédiatement, toujours d'accord avec Huon le Roi:

85 Les autres .IX. tantost de Biauvès se partirent,

Li un ça, l'autre la, ou Dieu plot leurs lieus prirent,
A la foy crestïenne maint paien convertirent, etc.

Il est donc très probable que la version en quatrains n'est qu'un mauvais remaniement abrégé du poème de Huon le Roi.

Un rouleau de parchemin de dix mètres de longueur, aujourd'hui conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles, où il est entré en 1904 de la Fabrique de l'église Saint-Quentin à Louvain', nous a conservé une Vie de ce saint composée de 139 vers octosyllabiques. Ces vers très médiocres ont été écrits, au XIV:e siècle ou au commencement du XV:e, pour servir de légende à une série d'images qui se trouvent sur le même rouleau 2. Le texte et les miniatures ont été publiées par Adolphe Everaerts, en 1874 3. La dernière illustration ainsi que le texte qui s'y rapporte représente saint Louis portant la tête de saint Quentin.

3

Ajoutons encore qu'un des miracles du saint, celui rapporté par Grégoire de Tours, a été mis en quatrains de huit syllabes au XVIe siècle pour servir de légende à un beau gobelin, actuellement au Louvre 1:

Pour coeurs en devocion mettre,
Nottez ce miracle loable

D'ung larron le quel a ung prestre
Robba son cheval en l'estable.

Ce prectre, adverty du larcin,
S'en vint plaindre par mos exprez
Au prevost lors de Saint-Quentin,
Qui ses gens envoia aprez.

'Le P. J. Van den Gheyn, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, t. V (Hist.Hagiographie), p. 362.

'P. Meyer dans l'Histoire littéraire, t. XXXIII, p. 374.

Vie de saint Quentin, d'après un manuscrit conservé aux archives de l'église Saint-Quentin, à Louvain. La transcription de l'éditeur laisse souvent à désirer.

+ Salle XXI. Ce gobelin, acquis en 1828, a fait partie de la collection Revoil.

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Au XVe siècle, la légende de saint Quentin a été dramatisée deux fois. Le premier en date de ces ouvrages, un mystère joué à Abbeville, en 1451, ne nous est pas parvenu. L'autre, représenté un demi-siècle plus tard, est celui qui a probablement pour auteur Jean Molinet et dont les 24115 vers ont été publiés tout récemment par M. Henri Chatelain dans un volume magnifique '. Ce texte, qui comprend la passion et les deux inventions, suit la troisième version des Actes, sauf pour la seconde invention, où il s'est servi de traités spéciaux sur la vie de saint Éloi 2. Il est enrichi, bien entendu, de tout le fatras habituel des mystères.

Quant aux versions en prose, il n'y en a qu'une seule qui mérite l'attention. Elle est contenue dans deux manuscrits, un à S:t-Pétersbourg, de la seconde moitié du XIII:e siècle, et l'autre, du commencement du XV:e s., à Bruxelles 1. Elle contient la passion et la première invention, ce qui ferait penser à la version Surius comme source; cependant les compagnons de saint Quentin y sont nommés, et il est plus probable que c'est encore ici la version de l'Authentique qui a servi de modèle. Peut-être y a-t-il eu une rédaction antérieure en français; le manuscrit de Bruxelles, malgré sa date, semble représenter une reproduction plus fidèle que l'autre, où il y a une lacune et qui a traduit les citations bibliques, données en latin par le ms du XV:e siècle. Une de ces citations („Deus, ne derelinquas me" etc. 5) coïncide mot à mot avec celle de la troisième version (et avec la Vulgate, Ps. 70, 4-5), mais diffère un peu du texte des

1 Saint-Quentin, 1908.

2 V. l'Introduction au Mystère, passim.

3 Publiée à la suite de l'édition du poème en alexandrins, Mémoires de la Société néo-philologique à Helsingfors, t. III, p. 512 et suiv. - V. P. Meyer, Notices et extraits, t. XXXVI, tirage à part, p. 17-18; Histoire littéraire, t. XXXIII, p. 396, 398.

P. Meyer dans Romania, t. XXX, p. 296, 298.

3 AA. SS., 1. c., p. 794 E.

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