LE MANUSCRIT Le manuscrit n:o 6447, fonds français, de la Bibliothèque nationale a été décrit en détail, en 1897, par M. Paul Meyer 1. C'est un livre en parchemin de grand format. Li Vie et li martyres mon signeur saint Quentin y occupe les feuillets 308 v°— 322, les seuls qui soient écrits à trois colonnes, tous les autres feuillets étant divisés en deux colonnes par page. Les annales transcrites en tête du volume permettent de conclure qu'il a été exécuté en 1275 ou peu après. Le contenu principal de ce manuscrit est formé par la traduction de divers livres de la Bible et par des légendes de saints 2. Sur ces dernières on peut aujourd'hui voir la magistrale étude de M. P. Meyer dans l'Histoire littéraire, t. XXXIII o Quant à la patrie de notre manuscrit, M. P. Meyer écrit: „Le copiste appartenait à la région septentrionale de la France et très probablement à la Flandre. Non seulement les formes de langage sont celles du français du Nord; mais, en outre, on observe que dans les annales qui occupent les premiers feuillets les faits concernant la Flandre et ses seigneurs ont été relevés avec une prédilection marquée. L'un des ouvrages que renferme ce volume, la Vie de sainte Marthe ', a été composé à la demande d'une comtesse de Flandre" 66 5 4 1 Notices et extraits des manuscrits, t. XXXV, 2, p. 435–510. Notre manuscrit est mentionné dans quelques anciens inventaires de 1467 (ou 1469), 1487 et 1536 (sur lesquels v. P. Meyer, l. c., p. 436-7). C'est d'un tout autre manuscrit qu'il s'agit dans l'inventaire des manuscrits de l'ancienne „librairie“ du Louvre, dressé en 1373 par Gilles Mallet et publié par Barrois dans sa Bibliothèque protypographique (et depuis réédité plusieurs fois). On y trouve la mention d'un volume (n:o 40) contenant „La Vie saint Eloy, saint Quentin, saint Julien, rymées, escriptes de lettre de forme, en françois": Barrois dit à l'index, au sujet de la Vie de saint Quentin: „par Roix (sic) de Cambrai“ ce qui n'est pas du tout certain, puisqu'il existe d'autres Vies versifiées de ce saint (v. Hist. litt., XXXIII, 374). Le volume en question figure dans les catalogues des manuscrits des rois de France jusqu'à 1424, mais on ne sait rien du sort postérieur de ce manuscrit (comp. L. Delisle, Recherches sur la librairie de Charles V, t. II, Paris, 1907, p. 152, n:o 928). 2M. Rudolf Tobler a récemment publié d'après ce manuscrit la rédaction en prose de la légende de saint Julien l'Hospitalier (Archiv de Herrig, t. CVII, 1901, p. 80-102). • Notamment les pages 279, 416, 420, 432. • Dans le manuscrit elle précède immédiatement la Vie de saint Quentin. On verra tout à l'heure que l'étude de la graphie donne à peu près le même résultat auquel est arrivé M. P. Meyer par l'étude du contenu de ce manuscrit. DIALECTE ET GRAPHIE DU MANUSCRIT METATHÈSE. La métathèse de e et rest fréquente: d'une part confremee 1040, d'autre part aoërrai 879, aoërrons 1846, duërra 4084, duërrons 1875, onoërra 2160, oneerront 4041 (comp. l'introduction au Regret Nostre Dame, p. LXXXIV). VOYELLES TONIQUES. A l'imparfait du subjonctif le copiste écrit souvent un i „parasite" alaisse 3468, blasmaissent 2827, enduraisses 1114, reportaisses 3777. Comp. plus loin ce qui est dit sur fuisse (au chapitre sur la langue de l'auteur). Aqua donne une fois ewe 1640, mais plus souvent aige 1645, 1669, etc. (Regr., p. LXXXIV, note 3). Il y a des traces peu nombreuses de la diphtongaison (wallonne et, sporadiquement, picarde) de : apieles 365, apiele 33, 1169, apielés 109, apiela 3461, apielé 3212, apielee 2085, iestes 746, sierjant 2604. „Dans le Hainaut, à Cambrai, Maubeuge, Namur, Liège et au nord de la ligne formée par ces villes (comp. le Grundriss de Gröber, I, p. 602 [= I2, p 764]), e (ě lat.) passe à ie" (Suchier, Auc.5, p. 73). A côté de amaint 184, ensaint (subj.) 2267 on est étonné de trouver une fois deignes 2709. De même la graphie De même la graphie ensegne (subst.): ensegne 831 doit sans doute être mise sur le compte du copiste (on s'attendrait à ensaigne). Le copiste écrit souvent o pour oi, sans que les rimes prouvent que les formes sans i appartiennent à l'auteur: estore 2912, 3297, Grigore 3084, memore 3298, 4080, victore 1509 (comp. Regr., p. LXXXV). VOYELLES DEVANT LE TON. Pour les voyelles devant le ton, le manuscrit présente quelques traits qui sont fréquents dans les dialectes du Nord: cudoient 2369; desconissance 615, orisons 179; genillons 3246 (à côté de geneillons 2303); l'atr'ier 1782. (Comp. Regr., p. LXXXVI). La graphie ciunglans 3347 est-elle une faute du copiste ou serait-ce une forme que l'on peut mettre en rapport avec chiunck (charte du Ponthieu), chiunk (ch. d'Aire, Pas de Calais), chiunkante (Chronique de Phil. Mousket) que signale M. Meyer-Lübke (Rom. Gr., I, § 340)? o latin devant une nasale est trois fois rendu par ou devant le ton (jamais en 1 Dans une charte originale écrite à Cambrai en 1260, cette diphtongaison est attestée p. ex. par apiertienra (Dubrulle, Cambrai à la fin du moyen âge, Lille, 1904, p. 353). syllabe accentuée): avirouner 1149, dounee 2567, soumelloit 3494 (comp. Regr., p. La chute de l'l (comp. Regr., p. LXXXVIII) est attestée par Les mots suivants serviront d'exemples de la manière dont le copiste exprime 7 mouillé: essellier 419, mellor 1978, 2672, vellece 1757, vellierent 178, mervelle: parelle 703 (à côté de la graphie avec i, p. e. esveille: esmervelle 2721). Le groupe bl est souvent traité à la manière picarde (comp. Auc.5, p. 71; Regr., p. LXXXVIII): parmenaules 925 (à côté de parmenable 18), triuler 1072, pules 2159, peule 255, 280, 962, 3382 (à côté de puplés 1870). Un west intercalé, sans doute pour faciliter la prononciation, dans piuwe: aiuwe 1183, liuwes 2473, 2480. V. à ce propos quelques remarques intéressantes de M. Bechmann dans la Zeitschr. f. rom. Phil., XIII, p. 45 suiv. m devant une labiale devient quelquefois n: desronpus 3282, ramenbrance 4003, sanbloit 3654 (à côté de sanloit et sambloit, qui sont fréquents). Comp. Regr., p. LXXXVIII. Le copiste conserve parfois le t non appuyé: huciet atiriet 507-8. Ce t peut appartenir à l'auteur (comp. Regr., p. LXX et LXXXIX). Le signe est rarement employé: creez 685, mart(y)riiez 2398, nez (natus) 2510, 2690, nez (nasus) 3506, 3525, poez 1572, 3123, 3239, 3615, sez 1015, veez 3938. Quelquefois il désigne l's sonore à l'intérieur des mots: baptizement 686, baptiziés 1989, 1992, lizans 2100, 3810, mezelerie 1200, sarrazines 1239. Sur le z dans cette dernière fonction, v. Schneegans, Villard de Honnecourt, dans Zeitschr., XXV, p. 63, note 5. Un g latin non précédé de voyelle et placé devant un a latin reste inaltéré: gambes 1011 (Suchier, Auc.5, p. 66). Un g analogique (au lieu de jou ge) se trouve dans bourgois 3022. Un c suivi (dans le latin) de i ou e devient ch derrière une consonne: cauch (< calcem) 3544 (mais tierc 1827). Comp. Auc., p. 69. Pour le reste, le c latin est traité tantôt comme dans le français central, tantôt comme dans le picard. Ainsi nous avons d'une part: chars (carrus) 2401, chars (de carnem) 2030, chartre 1997, riche 3705, aprochoie 3950, chemin 2225, chemise 1269, chevalier 35, chief 1987, chiers 2355; anoncier 4002, avançoient 204, ensauciés 2894, garçons 3566, etc.; d'autre part: cars (carrus) 2424, cartre 455, acaté 3172, caaines 272, caance 1281, caoir 3936, caviaus 3088, rice 3720, rikece 1409, aprociés 3608, atoucie 1270, marcié 2669, takie 2719, ceminant 2603, cemise 1265, ceval 3187, cief 3089, cier 1464, ciet (de cadere) 3605, këus 3281, meskeance 2735, blan |