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THE NEW YORK PUBLIC LIBRARY

45589

ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS.

DEUX PARTIES D'ÉCHECS SANS VOIR.

O Philidor! tes mânes doivent tressaillir! Voici le dernier bulletin du Club des Echecs.

C'était un soir de la semaine dernière; tous les sectateurs du culte de l'échiquier, résidant à Paris, avaient été convoqués par lettres closes; il s'agissait d'assister à un tournoi d'intelligence, un tournoi créé par Philidor, d'harmonieuse et palamédique mémoire. Personne n'a fait défaut à l'appel. Il y avait des pairs, des députés, des généraux, des colonels, des artistes, des hommes de lettres, des industriels; c'était un congrès social.

On savait que naguère M. de La Bourdonnais avait joué une mémorable partie avec M. de Jouy, le dos tourné à l'échiquier, et que l'académicien avait été glorieusement vaincu. Cette fois, M. de La Bourdonnais avait jeté le gant à deux adversaires redoutables, MM. Bonfil et Lécrivain, et il s'était engagé à les vaincre sans regarder les deux échiquiers, par le seul secours de son incomparable mémoire et de sa merveilleuse puissance de calcul. Si pareil spectacle avait été payé quelques pièces d'or le billet, et annoncé à l'Europe, et surtout à l'Angleterre, un mois à l'avance, M. de La Bourdonnais aurait eu la plus belle, la plus opulente représentation à bénéfice qui ait jamais rémunéré à Drury-Lane un artiste européen. M. de La Bourdonnais s'est montré plus grand : il a ouvert gratuitement le cercle à tous les

amateurs.

La bataille phénoménale s'est livrée dans le salon de billard. Deux échiquiers ont été placés aux extrémités du tapis vert. M. Bonfil et M. Lécrivain se sont mis à leur poste. M. de La Bourdonnais s'est assis bien à l'écart, dans un angle, le visage collé contre le mur, le dos tourné aux deux échiquiers. Les spectateurs ont entouré le billard; les derniers arrivés se sont étagés sur une triple rangée de fauteuils.

Les parties ont duré une heure et demie. Rien n'a pu distraire M. de La Bourdonnais dans les inextricables calculs, un million de fois croisés, qui jaillissaient de tant de pièces entremêlées sur deux échiquiers. Il faut même dire que l'assemblée ne gardait pas ce silence rigoureux qu'un pareil jeu semblait recommander. L'assemblée était excusable d'oublier ainsi son devoir d'impassibilité muette: elle s'abandonnait involontairement à l'admiration, et les murmures d'enthousiasme, tout comprimés qu'ils s'efforçaient d'être, formaient un accompagnement assez désagréable aux oreilles de M. de La Bourdonnais. Joignez à cela l'inévitable concert des grippes expirantes qui se formulaient en toux saccadées et en expectorations convulsives. Rien n'a pu distraire l'imperturbable méditation de l'athlète de l'échiquier. Il n'a pas même pris la peine de s'en plaindre une scule fois. Mais il faut convenir qu'il était fort difficile de comprimer une explosion d'enthousiasme lorsqu'on entendait M. de La Bourdonnais élever la voix dans son coin obscur pour reprocher en riant à ses adversaires de ne pas lui annoncer l'échec à la dame, et cela lorsque les pièces étaient dans un tel pêlemêle sur l'échiquier qu'il semblait que tous les antécédents des deux parties devaient être brouillés à ne pas s'y reconnaître dans le souvenir de M. de La Bourdonnais.

L'une de ces parties a été gagnée (1), l'autre a été remise. Nos lecteurs trouveront ici ces deux parties.

Pour ceux qui connaissent combien le jeu des échecs est difficile, jouer plusieurs parties à la fois sans voir l'échiquier paraît presque incroyable, et c'est sans contredit un des exemples les plus extraordinaires de la force de la mémoire et de l'imagination.

Philidor, trois fois dans sa vie, a osé conduire jusqu'à trois parties simultanément, et il a parfaitement réussi. Mais chaque fois il sortit la tête tellement fatiguée qu'il fut quelque temps sans pouvoir rassembler ses idées. Diderot, lié d'amitié avec Philidor, lui écrivit à cet égard la lettre qui suit, qui renferme d'excellents conseils :

« Je ne suis pas surpris, monsieur, qu'en Angleterre toutes

(1) La partie gagnée avait été d'abord commencée avec M. Lécrivain, l'un de nos plus forts amateurs, mais elle a été achevée par M. Pelletier, notre célebre chimiste.

les portes soient fermées au grand musicien et soient ouvertes à un savant joueur d'échecs; nous ne sommes guère plus raisonnables iei que là. Vous conviendrez cependant que la réputation du Calabrois n'égalera jamais celle de Pergolèse. Si vous avez fait trois parties sans voir, sans que l'intérêt s'en mêlât, tant pis; je serais plus disposé à vous pardonner si vous eussiez gagné, à le faire, cinq à six cents guinées; mais risquer sa raison et son talent pour rien, cela ne se conçoit pas. Il y a de la folie à courir le risque de devenir imbécille par vanité. Et quand vous aurez perdu votre talent, les Anglais viendront-ils au secours de votre famille ? Et ne croyez pas, monsieur, que ce qui ne vous est pas encore arrivé ne vous arrivera pas. Croyez-moi, faites-nous d'excellente musique, faites-nous-en pendant long-temps, et ne vous exposez pas à devenir ce que tant de gens sont nés. Encore, si l'on mourait au sortir d'un pareil effort! Mais songez que vous seriez peut-être une vingtaine d'années un objet de pitié, et ne vaut-il pas mieux être pendant le même intervalle de temps un objet d'admiration?

« Je suis, avec l'estime et l'amitié que vous me connaissez, votre, etc. « DIDEROT. >>>

PREMIÈRE PARTIE.

(M. de La Bourdonnais avait les blancs, et M. Lécrivain les noirs.)

BLANCS.

1 Le P du R 2 c.

2 Le P du F du R 2 c.

3 Le P du R une c.

4 Le C du R à la 3 c. de son F.
5 Le P du F de la D une c.
6 Le F du R à la 3 c. de sa D.

7 Le F du R à la 2 c. du F de la D).

8 Le P de la D 2 c.

9 Le P prend le P.

10 Le C de la D à la 3 c. de son F. 11 Le R roque.

NOIRS.

1 Le P du R une c.

2 Le P de la D 2 c.

3 Le P du F de la D 2 c.

4 Le C de la D à la 3 c. de son F.
5 La D à la 3 c. de son C.

6 Le P de la T de la D une c.
7 Le F de la D à la 2 c. de sa D.
8 Le P prend le P.

9 Le F du R donne échec.
10 Le C du R à la 2 c. de son R.
11 Le R roque avec sa T.

12 Le F du R prend le P de la T. 12 Le R prend le F.

Échec (a).

(a) Ce coup, dont l'invention est due au Calabrois, est fort ingénieux.

BLANGS.

13 Le C du R donne échec.

14 La D à la 5 c. de la T du R.
15 La D prend le P du F du R. Éch.
16 La D à la 5 c. de la T du R. É. (b)
17 La D à la 7 c. de la T du R. Éc.
18 La D à la 8 c. de la T du R. Éc.
19
Le C du R à la 7 c. de la T du R. É.
20 Le C du R à sa 5 c. Échec.
21 Le P du F du R une c.
22 La D prend le P du C du R. Éc.
23 Le P prend le P.

24 La T du R à la 8 c. du F du R. É.
25 Le C de la D prend le P de la D.
Échec (c).

26 La D prend le F. Échec. 27 La D prend la T. Échec.

28 La D prend la T. Échec et mat.

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DEUXIÈME PARTIE.

(M. Bonfil avait les noirs, et M. de La Bourdonnais les blancs.)

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(a) Le R à la 3 c. de son C était préférable.

(b) Nous ne doutons pas que si M. de La Bourdonnais n'eût pas joué sans voir il aurait place, au lieu de ce coup, la T du R à la 3 c. de son F, donnant le mat en peu de coups.

(c) Sur ce coup l'on gagne la D ou l'on fait mat.

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