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qu'avec une peine extrême, et les liquides sont seuls ingérés. La langue demeure immobile dans la bouche ; la pupille droite est un peu plus dilatée que la pupille gauche. les yeux sont expressifs; ce sont de tous les organes les seuls qui témoignent de la persistance de l'intelligence.

Le lendemain, 12 septembre, léger progrès du côté de la motilité. Les bras exécutent quelques mouvements, accompagnés de tremblements, qui n'existent pas au repos. Soulevé et soutenu, le malade exécute quelques pas en chancelant. Insensibilité toujours absolue; parole toujours impossible.

13 septembre. - Le malade semble comprendre ce qu'on lui dit, et prié d'écrire son nom, après un assez long temps de réflexion, trace d'une façon très inhabile et très incorrecte ces trois lettres : « Geo».

Traitement pilules d'aloès et cautérisation à la nuque avec le thermo-cautère.

16 septembre. Le malade écrit entièrement le mot Georges. Parole impossible, anesthésie absolue, marche un peu plus facile, mais toujours titubante. L'intelligence doit ètre très gravement atteinte: le malade a mis près d'un quart d'heure pour écrire le mot Georges, et encore après avoir consulté un alphabet placé sous ses yeux; chaque fois qu'il lisait sur cet alphabet la lettre qu'il devait écrire, il poussait un cri de joie guttural et la traçait aussitôt. Après avoir écrit le mot Georges, il retombe harassé, épuisé, sur son lit, en versant des pleurs.

17 septembre. Après une séance très longue, le malade écrit Georges V... (c'est le nom de son beau-frère), puis Georges G..., qui est réellement le sien. A l'aide d'un Bottin et d'un plan de Paris, on parvient au bout d'une heure à lui faire écrire le nom de la rue et le numéro du domicile de sa famille. - Parole toujours impossible. Il sent les pointes de feu du thermo-cautère. La marche est un peu plus facile, l'anesthésie toujours absolue.

Nous avons écrit aux noms et adresse indiqués par le malade. Dès le lendemain son père et sa soeur se rendent à notre appel, et voici les renseignements qu'ils nous fournissent.

Père bien portant, 63 ans. Mère morte à 48 ans d'une paralysie (hémiplégie du côté droit avec aphasie et agraphie).

Une soeur bien portante.

Le malade a été très difficile à élever. Il a eu la danse de Saint-Guy jusqu'à 20 ans. Intelligent et assez instruit, il jouit d'une assez bonne santé, malgré quelques légères incommodités.

Il y a trois ans, traité à Saint-Louis pour accidents syphilitiques (langue tuméfiée, salivation mercurielle).

Céphalalgies depuis un an, intermittentes, plus fortes dans ces derniers temps. Depuis deux ans, humeurs noires ; depuis 6 mois, ennui, toelium vitæ, idées de suicide. Excès de boisson, mais seulement pendant les périodes de mélancolie.

Dans les derniers temps, chagrins plus profonds, scènes avec sa maitresse qui a fini par le quitter. Le 6 septembre, dépression mélancolique très prononcée; un peu excité par la boisson, G... va chez sa sœur, et dit, en lui donnant une pièce d'argent à changer: « C'est la dernière. » Il va chez son patron qui le trouve étrange, puis le quitte aussitôt après. A partir de cet instant, le 6 au soir, on ne sait ce qu'il est devenu jusqu'au 9, jour où il a été arrêté dans la rue, pour outrage public à la pudeur. Dix-huit mois auparavant, il avait subi une condamnation à six mois de prison pour le même délit.

19 septembre. Le malade écrit mieux et répond ainsi aux questions qu'on lui adresse. Seule, la période du 6 au 9 septembre a disparu de sa mémoire. Langue toujours paralysée. Marche moins chancelante. Parole toujours impossible. La sensibilité commence à revenir; le malade est

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sensible à la piqûre sur toute la face des membres supérieurs et du tronc jusqu'au niveau du grand trochanter; la tète et les jambes sont toujours complètement insensibles. Iodure de potassium, 2 grammes.

20 septembre. Mème état. La zone de sensibilité, toujours très tranchée, descend un peu plus bas, jusqu'à la partie moyenne des cuisses.

28 septembre.

noux.

La sensibilité s'étend jusqu'aux ge

4 octobre. La sensibilité est complètement revenue depuis le cou jusqu'aux pieds, la tête seule reste entièrement insensible. La langue est toujours paralysée, la parole toujours impossible. Les cinq voyelles sont grossièrement ébauchées. Le malade commence à marcher tout seul.

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15 octobre. Marche de plus en plus facile. La sensibilité est revenue sur le crâne de tout le corps, la face seule est insensible: la langue est toujours paralysée, immobile et insensible aux saveurs (sel, sucre, etc.). Les mouvements de déglutition s'exécutent mieux.

25 octobre. La sensibilité, l'intelligence, la motilité sont revenues complètement, De tous les symptômes présentés au début par le malade, il ne reste que la glossoplégie.

Les cinq voyelles sont seules émises. On pratique l'électrisation de la langue par des courants intermittents.

L'intelligence a reparu tout entière; mais la période des deux jours qui ont précédé l'entrée du malade est restée dans l'oubli; c'est la seule lacune que présente la mémoire. Le malade est capable de s'occuper: on lui confie les fonctions de concierge, dont il s'acquitte à merveille.

A partir de ce jour, et probablement sous l'influence de l'électrisation, la glossoplégie s'est améliorée progressivement. A l'heure actuelle, la langue peut être tirée hors de la bouche jusqu'un peu en avant des lèvres; elle est également mobile en haut et latéralement. La parole est beau

coup plus distincte, quelques consonnes sont émises, et certains mots prononcés en entier. La sensibilité gustativer est complètement revenue.

Les progrès de la parole articulée sont sensibles du jour au lendemain.

A l'heure actuelle, il est facile de comprendre tout ce que dit le sujet; encore quelques jours et il parlera très librement, de sorte qu'il ne restera bientôt plus rien de tous les symptômes qu'il présentait à son arrivée.

Le malade est sorti complètement guéri à la fin du mois de janvier 1881.

Dans cette observation très remarquable, nous voyons un homme déjà frappé d'un trouble intellectuel être pris subitement d'accidents généraux affectant toutes les fonctions encéphaliques à la suite d'un délire des plus manifestes et qui a mis quelques jours à se développer. Au moment de son admission dans le service, l'intelligence était presque nulle, la motilité gravement compromise, la sensibilité complètement abolie. Le malade semblait en quelque sorte réduit à la vie purement végétative.

Puis, sous l'influence d'un retour graduel de l'activité cérébro-spinale, nous avons vu successivement renaître la faculté de penser, celle de s'exprimer, celle de se mouvoir, et la sensibilité, l'une des fonctions les plus profondément atteintes, a été la dernière à se rétablir ou plutôt l'avantdernière, car la glossoplégie a persisté plus longtemps encore que l'anesthésie, et, au moment où le malade est sorti, on saisissait encore, dans l'articulation de certains mots, un léger embarras de la parole, dernier vestige d'un orage depuis longtemps dissipé.

On ne saurait imaginer, à première vue, un état plus grave que celui d'un homme dont toutes les fonctions de relation sont absolument suspendues; il ne reste plus, semble-t-il, qu'un seul pas à franchir pour arriver à la mort ;

et cependant, ce pas n'a point été franchi et le retour à l'état normal s'est opéré avec une régularité presque mathématique. Chaque jour réveillait pour ainsi dire une fonction nouvelle, et lorsque le malade a quitté le service, aucune trace des accidents antérieurs ne subsistait chez lui.

Une lésion organique de l'encéphale, au sens où nous entendons ordinairement ce mot, ne saurait se comporter ainsi.

Moins étendue dans ses manifestations, plus nettement limitée à certains points de la périphérie, elle se montrerait bien autrement rebelle à nos moyens d'action. Il est done impossible, en bonne logique, de songer à l'une de ces lésions grossières auxquelles nous sommes habitués à rapporter les phénomènes de ce genre, et tout nous porte à croire qu'une perturbation plus délicate dans son essence, plus mobile dans son évolution, a dù présider aux symptômes qui se sont annoncés avec tant d'éclat pour se dissiper ensuite avec tant de promptitude.

L'existence d'une syphilis antérieurement traitée à SaintLouis peut sans doute jeter quelque lumière sur ces accidents étranges, mais sans les expliquer complètement. On voit sans doute, dans quelques cas de syphilis cérébrale, un ictus soudain se produire, et frapper subitement les facultés intellectuelles. Mais, chez notre malade, les phénomènes si multiples et si graves qui ont signalé l'invasion de la maladie ne sauraient être attribués à l'existence d'une ou plusieurs tumeurs agissant par compression. Par quelle localisation, ou, si l'on veut, par quel ensemble de localisations pourrait-on expliquer une anesthésie généralisée, avec perte presque absolue de la motilité volontaire? Une lésion de cet ordre, assez étendue pour occasionner de tels phénomènes, aurait fatalement amené la mort en peu de temps. Or, nous voyons notre malade, d'abord presque complètement privé de toutes ses facultés, revenir en peu

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