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patible avec la préoccupation sombre de son esprit. Sa tête, inclinée sur sa poitrine, était couverte d'une espèce de casquette de velours bleu, doublée d'hermine; une agrafe de rubis y rassemblait sur le devant les tiges de plusieurs plumes de paon, dont le vent agitait l'autre extrémité comme une aigrette d'éméraude, de saphire et d'or. De son surtout de velours rouge, dont les manches pendaient garnies d'hermine comme son chapeau, sortaient, croisés sur sa poitrine, ses bras couverts d'une étoffe si brillante, qu'elle semblait un tissu de fil d'or. Ce costume était complété par un pantalon bleu collant, sur la cuisse gauche duquel étaient brodés un P et un G surmontés d'un casque de chevalier, et par des bottes de cuir noir doublées de peluche rouge, dont l'extrémité supérieure, en se rabattant, formait un retroussis auquel venait s'attacher par une chaîne d'or la pointe recourbée de la poulaine démesurée qu'on portait à cette époque.

De son côté, le peuple regardait avec une grande curiosité les apprêts de l'entrevue qui devait avoir lieu le lendemain entre le dauphin Charles et le duc Jean; et quoique le désir unanime fût pour la paix, les paroles qu'il murmurait étaient bien diverses: car il y avait dans tous les esprits plus de crainte que d'espoir; la dernière conférence qui avait eu lieu entre les chefs des partis dauphinois et bourguignon, malgré les promesses faites de part et d'autre, avait eu des suites si désastreuses que l'on ne comptait plus que sur un miracle pour la réconciliation des deux princes. Cependant, quelques esprits mieux disposés que les autres croyaient, ou paraissaient croire au succès de la négociation qui allait avoir lieu.

C'est bien heureux, disait un gros homme à figure épanouie, bourgeonnant comme un rosier au mois de mai; c'est bien heureux que monseigneur le dauphin, que Dieu conserve! et que monseigneur de Bourgogne, que tous les saints protégent! aient choisi la ville de Montereau pour y venir jurer la paix.

Oui, n'est-ce pas, tavernier ? répondit son voisin, moins enthousiaste que lui; oui, c'est fort heureux, car cela fera tomber quelques écus dans ton escarcelle, et la grêle sur la ville.

— Pourquoi cela, Pierre ? dirent plusieurs voix.

- Pourquoi cela est-il arrivé au Ponceau ? Pourquoi, l'entrevue à peine finie, un si terrible ouragan éclata-t-il dans un ciel où l'on ne voyait pas un nuage? Pourquoi, le tonnerre tomba-t-il sur l'un des deux arbres au pied desquels s'étaient embrassés le dauphin et le duc ? Pourquoi brisa-t-il cet arbre sans toucher l'autre, de telle manière que, quoiqu'ils partissent d'une même tige, l'un tomba foudroyé au pied de son frère resté debout? Et tiens, ajouta Pierre, en étendant la main, pourquoi, en ce moment, tombe-t-il la neige, quoique nous ne soyons qu'au 9 septembre ?

Chacun, à ces mots, leva la tête, et vit effectivement flotter sur un ciel gris les premiers flocons de cette neige précoce qui devait, pendant la nuit suivante, couvrir comme un linceul toutes les terres de la Bourgogne.

Tu as raison, Pierre, dit une voix; c'est de mauvais augure, et cela annonce de terribles choses.

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Savez-vous ce que cela annonce? reprit Pierre ; c'est que Dieu se lasse à la fin des faux serments que font les hommes.

Oui, oui, cela est vrai, répondit la même voix, mais pourquoi n'est-ce pas sur ceux-là qui se parjurent que le tonnerre tombe, plutôt que sur un pauvre arbre qui n'y peut rien?

Cette exclamation fit lever la tête au plus jeune des deux seigneurs, et dans ce mouvement ses yeux se portèrent sur la loge en construction. Un des ouvriers établissait, au milieu de cette loge, la barrière qui devait, pour la sûreté de chacun, séparer les deux partis. Il paraît que cette mesure de précaution n'obtint pas l'approbation du oble assistant, car son visage pâle devint pourpre; et,

sortant de l'apathie apparente dans laquelle il était plongé, il bondit jusqu'à la loge, et tomba au milieu des ouvriers avec un blasphème si sacrilége, que le charpentier qui commençait à ajuster la barrière la laissa tomber et se signa.

Qui t'a ordonné de mettre cette barrière, misérable? lui dit le chevalier.

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Personne, monseigneur, reprit l'ouvrier, tremblant et courbé sous ces paroles; personne, mais c'est l'habitude.

L'habitude est une sotte, entends-tu?

Envoie-moi

ce morceau de bois à la rivière. Et se retournant vers son compagnon plus âgé :—A quoi donc, dit-il, pensiezvous, messire Tanneguy, que vous le laissiez faire ?

Mais j'étais comme vous, messire de Giac, répondit Duchâtel, si préoccupé, à ce qu'il paraît, de l'événement, que j'en oubliais les préparatifs.

Pendant ce temps, l'ouvrier, pour obéir à l'ordre du sire de Giac, avait dressé la barrière contre le parapet du mur, et se préparait à la faire passer par dessus, lorsqu'une voix sortit de la foule qui regardait cette scène ; c'était celle de Pierre.

C'est égal, disait-il, en s'adressant au charpentier, tu avais raison, André; et c'est ce seigneur qui a tort. Hein! dit De Giac, en se retournant.

Oui, monseigneur, continua tranquillement Pierre, en se croisant les bras, vous avez beau dire; une barrière, c'est la sûreté de chacun; c'est chose de bonne précaution lorsqu'une entrevue doit avoir lieu entre deux ennemis; et cela se fait toujours.

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Oui, oui, toujours! crièrent tumultueusement les hommes qui l'entouraient.

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Et qui donc es-tu, dit De Giac, pour oser avoir un avis qui n'est pas le mien ?

-Je suis, reprit froidement Pierre, un bourgeois de la commune de Montereau, libre de corps et de bien, et

ayant pris, tout jeune, l'habitude de dire tout haut mon avis sur chaque chose, sans m'inquiéter s'il choque l'opinion d'un plus puissant que moi.

De Giac fit un geste pour porter la main à son épée ; Tanneguy l'arrêta par le bras.

Vous êtes insensé, messire, lui dit-il, en haussant les épaules. Archers! continua Tanneguy, faites évacuer le pont, et si ces drôles font quelque résistance, je vous permets de vous souvenir que vous avez une arbalète à la main et des viretons plein votre trousse.

- C'est bien, c'est bien, messeigneurs, dit Pierre, qui, placé le dernier, avait l'air de soutenir la retraite; c'est bien, on se retire; mais puisque je vous ai dit mon premier avis, il faut que je vous dise le second; c'est qu'il se prépare à cette place quelque bonne trahison. Dieu reçoive en grâce la victime, et en miséricorde les meurtriers!

Pendant que les ordres donnés par Tanneguy s'exécutaient, les charpentiers avaient abandonné la loge achevée, et garnissaient de barrières, fermées par de fortes portes, les deux extrémités du pont, afin que les personnes seules qui étaient de la suite du dauphin et du duc pussent entrer; les personnes devaient être au nombre de dix de chaque côté; et, pour la sûreté personnelle de chacun des chefs, le reste des gens du duc devait occuper la rive gauche de la Seine et le château de Surville; et les partisans du dauphin, la ville de Montereau et la rive droite de l'Yonne. Quant à la langue de terre dont nous avons parlé, et qui se trouve entre les deux rivières, c'était un terrain neutre, qui ne devait appartenir à personne; et comme à cette époque, à l'exception d'un moulin isolé qui s'élevait au bord de l'Yonne, cette presqu'île était complétement inhabitée, on pouvait facilement s'assurer qu'on n'y avait préparé aucune surprise.

Lorsque les ouvriers eurent achevé les barrières,

deux troupes d'hommes armés, comme si elles n'avaient attendu que ce moment, s'avancèrent simultanément pour prendre leurs positions respectives: l'une de ces troupes, composée d'arbalétriers portant la croix rouge de Bourgogne sur l'épaule, vint, commandée par Jacques de la Lime, son grand-maître, s'emparer du faubourg de Montereau, et placer des sentinelles à l'extrémité du pont par laquelle devait arriver le duc Jean; l'autre, formée d'hommes d'armes dauphinois, se répandit dans la ville, et vint mettre des gardes à la barrière par laquelle devait entrer le dauphin.

Pendant ce temps, Tanneguy et De Giac avaient continué leur entretien; mais dès qu'ils virent ces dispositions prises, ils se séparèrent: De Giac pour reprendre la route de Bray-sur-Seine, où l'attendait le duc de Bourgogne, et Tanneguy Duchâtel pour se rendre auprès du dauphin de France.

La nuit fut horrible: malgré la saison peu avancée, six pouces de neige couvrirent le sol. Tous les biens de la terre furent perdus.

Le lendemain, 10 septembre, à une heure après midi, le duc monta à cheval dans la cour de la maison où il s'était logé. Il avait à sa droite le sire de Giac, et à sa gauche le seigneur de Noailles. Son chien favori avait hurlé lamentablement toute la nuit; et, voyant son maître prêt à partir, il s'élançait hors de la niche où il était attaché, les yeux ardents et le poil hérissé; enfin, lorsque le duc se mit en marche, le chien fit un violent effort, rompit sa double chaîne de fer, et, au moment où le cheval allait franchir le seuil de la porte, il se jeta à son poitrail et le mordit si cruellement, que le cheval se cabra et faillit faire perdre les arçons à son cavalier. De Giac, impatient, voulut l'écarter avec un fouet qu'il portait, mais le chien ne tint aucun compte des coups qu'il recevait, et se jeta de nouveau à la gorge du cheval du duc; celui-ci, le croyant enragé, prit une petite hache d'armes qu'il

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