Sivut kuvina
PDF
ePub

que sur les raffinements; une broderie plus ouvragée, un velours plus éclatant, une plume plus gracieusement posée, c'est à cela que se réduisaient les audaces et les tentatives; la moindre incorrection, la disparate la plus légère eût choqué les yeux; on perfectionnait l'infiniment petit. Les lettrés faisaient comme ces coquettes pour qui les superbes déesses de Michel-Ange et de Rubens ne sont que des vachères, mais qui poussent un petit cri de plaisir à l'aspect d'un ruban à vingt francs l'aune.

Une coupe de vers, un rejet, une métaphore les ravissait, et c'était là tout ce qui pouvait les ravir encore. Ils allaient ainsi chaque jour brodant, pomponnant, étriquant le brillant habit classique, jusqu'à ce qu'enfin l'esprit humain, gêné, le déchira, le jeta, et se mit à courir. Maintenant qu'il est à terre, les critiques le ramassent, le pendent à la vue de tous dans leur musée de curiosités antiques, le secouent et tâchent de conjecturer d'après lui les sentiments des beaux seigneurs et des beaux parleurs qui le portaient.

H. TAINE.

291

TENNYSON.

LORSQUE Tennyson publia ses premiers poëmes, les critiques en dirent du mal. Il se tut; pendant dix ans personne ne vit son nom dans une revue, ni même dans un catalogue. Mais quand il parut de nouveau devant le public, ses livres avaient fait leur chemin tout seuls et sous terre, et du premier coup il passa pour le plus grand poëte de son pays et de son temps.

On se trouva surpris, et d'une surprise charmante. La puissante génération de poëtes qui venait de s'éteindre avait passé comme un orage. Ainsi que leurs devanciers du seizième siècle, ils avaient emporté et précipité tout jusqu'aux extrêmes. Les uns avaient ramassé les légendes gigantesques, accumulé les rêves, fouillé l'Orient, la Grèce, l'Arabie, le moyen âge, et surchargé l'imagination humaine des couleurs et des fantaisies de tous les climats. Les autres s'étaient guindés dans la métaphysique et la morale, avaient rêvé infatigablement sur la condition humaine, et passé leur vie dans le sublime et le monotone. Les autres, entrechoquant le crime et l'héroïsme, avaient promené parmi les ténèbres et sous les éclairs un cortége de figures contractées et terribles, désespérées par leurs remords, illuminées par leur grandeur. On voulait se reposer de tant d'efforts et de tant d'excès. Au sortir de l'école imaginative, sentimentale et satanique, Tennyson parut exquis. Toutes les formes et toutes les idées qui venaient de plaire se retrouvaient chez lui, mais épurées, modérées, encadrées dans un

style d'or. Il achevait un âge; il jouissait de ce qui avait agité les autres; sa poésie ressemblait aux beaux soirs d'été; les lignes du paysage y sont les mêmes que pendant le jour; mais l'éclat de la coupole éblouissante s'est émoussé; les plantes rafraîchies se relèvent, et le soleil calme au bord du ciel enveloppe harmonieusement dans un réseau de rayons roses les bois et les prairies que tout à l'heure il brûlait de sa clarté. Ce qui attira d'abord, ce furent ses portraits des femmes. Adeline, Eléonore, Lilian, la Reine de Mai, étaient des personnages de keepsake, sortis de la main d'un amoureux et d'un artiste. Ce keepsake est doré sur tranches, brodé de fleurs et d'ornements, paré, soyeux, rempli de délicates figures toujours fines et toujours correctes, qu'on dirait esquissées à la volée, et qui pourtant sont tracées avec réflexion sur le vélin blanc que leur contour effleure, toutes choisies pour reposer et pour occuper les molles mains blanches d'une jeune mariée ou d'une jeune fille. J'ai traduit bien des idées et bien des styles, je n'essaierai pas de traduire un seul de ces portraits-là. Chaque mot y est comme une teinte, curieusement rehaussée ou nuancée par la teinte voisine, avec toutes les hardiesses et les réussites du raffinement le plus heureux.

[ocr errors]

Le poëte revenait avec complaisance sur toutes les choses fines et exquises. Il les caressait si soigneusement que ses vers parfois semblaient recherchés, affectés, presque précieux. Il y mettait trop d'ornement et de ciselures; il avait l'air d'être épicurien en fait de style et aussi en fait de beauté. Il composait de jolies scènes rustiques, de touchants souvenirs, des sentiments curieux ou purs. Il en faisait des élégies, des pastorales et des idylles. Il composait dans tous les tons et se plaisait à éprouver les émotions de tous les siècles. Il écrivait sainte Agnès, Siméon Stylite, Ulysse, Enone, sir Galahad, lady Clare, Fatima, la Belle au bois dormant. Il imitait tour à tour Homère et Chaucer, Théocrite et

Spenser, les vieux poëtes anglais et les anciens poëtes arabes. Il animait tour à tour les petits événements réels de la vie anglaise et les grandes aventures fantastiques de la chevalerie éteinte. Il était comme ces musiciens qui mettent leur archet au service de tous les maîtres. Il se promenait dans la nature et dans l'histoire, sans parti pris, sans passion âpre, occupé à sentir, à goûter, à jouir, à cueillir partout, dans les jardinières des salons comme sur la haie des cottages, les fleurs rares ou champêtres dont le parfum ou l'éclat pouvait le charmer ou l'amuser. On en jouissait avec lui; on respirait les gracieux bouquets qu'il savait si bien faire; on acceptait de préférence ceux qu'il prenait dans la campagne; on trouvait que nulle part son talent n'était plus à l'aise. On admirait combien ce regard minutieux et ce sentiment délicat savaient en saisir et en interpréter les aspects mobiles. On oubliait dans le Cygne mourant que le sujet était presque usé et l'intérêt un peu faible, pour savourer des vers comme ceux-ci :

Some blue peaks in the distance rose,
And white against the cold white sky,
Shone out their crowning snows.

One willow over the river wept,

And shook the wave as the wind did sigh;

Above in the wind was the swallow,

Chasing himself at its own wild will,

And far thro' the marish green and still

The tangled watercourses slept,

Shot over with purple, and green, and yellow.

Mais ces peintures mélancoliques ne le montraient point tout entier; on allait avec lui dans le pays du soleil, vers les molles voluptés des mers méridionales; on revenait par un attrait insensible aux vers où il peint les compagnons d'Ulysse qui, assoupis sur la terre des Lotos, rêveurs heureux comme lui-meme, oubliaient la patrie et renonçaient à l'action.

A land of streams! some, like a downward smoke,
Slow-dropping veils of the thinnest lawn, did go.
And some thro' wavering lights and shadows broke.
Rolling a slumbrous sheet of foam below.

They saw the gleaming river seaward flow

From the inner land: far off, three mountain tops,
Three silent pinnacles of aged snow,

Stood sunset-flushed: and dewed with showery drops,
Up-clomb the shadowy pine above the woven copse.

Ce charmant rêveur n'était-il qu'un dilettante? On aimait à se le figurer ainsi; on le trouvait trop heureux pour lui permettre les passions violentes. La gloire lui était venue aisément et vite : il en avait joui dès trente ans. La reine avait consacré la faveur publique en le nommant poëte lauréat. Un grand romancier l'avait déclaré plus véritablement poëte que lord Byron, et soutenait qu'on n'avait rien vu d'aussi parfait depuis Shakspeare. L'étudiant logeait ses livres dans sa chambre d'Oxford, entre un Euripide annoté et un manuel de philosophie scolastique. Les jeunes dames les trouvaient dans leur corbeille de mariage. On le disait riche, adoré des siens, admiré de ses amis, aimable, exempt d'affectation, naïf même. Il vivait à la campagne, principalement dans l'île de Wight, parmi des livres et des fleurs, à l'abri des tracasseries, des rivalités et des assujettissements du monde, et l'on imaginait volontiers sa vie comme un beau songe, aussi doux que ceux qu'il nous avait donnés.

On regarda de plus près cependant, et l'on vit qu'il y avait un foyer de passion sous cette surface unie. Un vrai tempérament poétique n'en manque jamais. Il sent trop vivement pour être paisible. Quand on vibre an moindre attouchement, on palpite et on frémit sous les grands chocs. Déjà çà et là, dans ses peintures de la campagne et de l'amour, un vers éclatant traversait de sa couleur ardente le dessein correct et calme. Il avait

« EdellinenJatka »