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M. le comte de Tréveneuc.

Ce modus vivendi est outrageant!

M. le président. - La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. M. Ribot, ministre des affaires étrangères. Messieurs, j'ai accepté avec empressement la question que l'honorable amiral Véron a bien voulu m'adresser, parce qu'elle me fournit l'occasion de faire connaitre aux armateurs et à nos braves marins la situation qui résultera pour eux, durant cette campagne de 1890, des arrangements provisoires conclus par le cabinet précédent.

M. l'amiral Véron a parfaitement expliqué les droits qui résultent pour nous du traité de 1713 et des traités postérieurs de 1783 et de 1815. Ces traités nous ont donné un droit absolu et exclusif de pèche sur le rivage qui est déterminé par le cap Raye et par le cap Saint-Jean et qui s'appelle, vous le savez, le french shore.

Je n'hésite pas à affirmer, comme l'ont fait mes prédécesseurs à cette tribune, que ce droit de pèche inscrit dans les traités est absolu, exclusif, qu'il ne comporte aucune distinction. (Très bien ! très bien! sur un grand nombre de bancs.)

Jusqu'à ces dernières années aucune difficulté ne s'était élevée, mais depuis que la morue est devenue moins abondante dans ces parages, on a dù faire appel à une nouvelle source de produits; des homarderies se sont établies, et les Anglais, usant alors d'une distinction, d'une interprétation, ont prétendu que le homard n'était pas un poisson (Sourires); ils nous ont contesté le droit de le capturer au moyen de casiers et d'établir sur le rivage des chaudières pour préparer les conserves.

Je n'ai pas besoin de déclarer que le Gouvernement français n'a jamais accepté cette distinction, qu'il la repousse de toutes ses forces; il prétend et il se croit fondé à prétendre que non seulement on ne peut pas nous contester le droit de pècher sur cette partie réservée, sur le french shore, parce que, comme l'a très bien expliqué l'honorable amiral Véron, ils peuvent par là non seulement faire concurrence à nos homarderies, mais troubler la pèche de la morue qui nous appartient incontestablement. (Très bien ! très bien ! et nombreuses marques d'approbation.)

Messieurs, je dois dire que les vues du gouvernement francais n'ont pas été acceptées par le gouvernement anglais, qu'à nos affirmations très précises et très fermes il a opposé une contradiction non moins énergique.

Je n'ai pas besoin non plus de rappeler au Sénat combien la contradiction, le conflit de prétentions qui s'est élevé entre les deux nations tendait à devenir aigu dans ces derniers temps. Il suffirait de se reporter, pour s'en rendre compte, à l'interpellation qui a eu lieu le 20 janvier à la Chambre des députés.

C'est dans ces circonstances que mon honorable prédécesseur a cru qu'il était impossible d'aborder la campagne de 1890 sans être arrivé au moins à un arrangement de fait.

Vous comprenez, sans que j'aie besoin d'insister davantage, quels inconvénients et quels troubles pouvaient résulter d'instructions absolument contradictoires données par les deux gouvernements aux commandants des deux flottilles.

Les cabinets des deux puissances se sont donc entendus, et, à la suite de courtes négociations, ils ont conclu un arrangement provisoire dont le Sénat voudra bien me permettre de lui donner lecture.

En voici le texte :

«Les questions de principe et les droits respectifs étant entièrement réservés de part et d'autre, on peut convenir pour la saison prochaine du maintien du statu quo sur les bases suivantes :

« Sans que la France ou la Grande-Bretagne demandent dès aujourd'hui un nouvel examen de la légalité de l'installation des homarderies anglaises

ou françaises sur les côtes de Terre-Neuve, où les Francais jouissent des droits de pèche conférés par les traités, il sera entendu qu'aucune modification ne sera apportée aux emplacements occupés par les établissements appartenant aux nationaux des deux pays au 1er juillet 1889. Par exception, les nationaux de l'un ou l'autre pays pourront transporter leurs établissements susdits à tout endroit au sujet duquel les commandants des deux stations navales seront préalablement tombés d'accord.

Aucune homardèrie ne fonctionnant pas antérieurement au 1er juillet 1889 ne sera admise, à moins que les commandants des stations navales anglaise et française n'en tombent simultanément d'accord.

En considération de chaque homarderie nouvelle autorisée dans ces conditions, il sera loisible aux pécheurs appartenant à l'autre nationalité d'établir une nouvelle homarderie sur un point que lesdits commandants devront déterminer de mème d'un commun accord.

« Toutes les fois qu'un fait de concurrence concernant la pèche du homard se produira entre les pêcheurs des deux pays, les commandants des deux stations navales procederont sur les lieux à une délimitation provisoire du fonds de pèche des homards, en tenant compte des situations acquises par les deux parties.

«Nota bene.

--

Il sera bien entendu que cet arrangement tout provisoire ne sera valable que pour la durée de la campagne qui va s'ouvrir. »

Les termes mèmes de cet arrangement permettent au Sénat d'en saisir exactement la portée.

M. le marquis de l'Angle-Beaumanoir.

Il consacre l'usurpation! M. le ministre. D'abord, il ne s'agit que de dispositions essentiellement provisoires, puisqu'il est dit que l'arrangement prendra fin avec la campagne de pêche de 1890.

Il est dit en outre que tous les droits des deux pays sont expressément réservés. Ce n'est donc pas un abandon des droits de la France. Une réserve formelle est inscrite en tête mème de cet arrangement.

Le statu quo est maintenu provisoirement; on prend pour base de transaction la date du 1er juillet 1889; toutes les homarderies anglaises établies postérieurement à cette date devront disparaitre, et les commandants des flottilles sont chargés de faire respecter l'arrangement, et de s'entendre pour toutes les modifications auxquelles pourraient donner lieu des nécessités qu'ils auraient à apprécier.

Tels sont, messieurs, les termes, la portée de l'arrangement.

Je n'ai pas besoin de dire que les instructions les plus précises ont été données au commandant de notre station navale pour le faire respecter dans sa lettre et dans son esprit; le Sénat peut se reposer sur la fermeté et sur le tact de l'officier que M. le ministre de la marine a désigné pour en assurer l'exécution.

Le Gouvernement anglais, de son côté, malgré l'émotion qui parait s'ètre produite au Parlement de Terre-Neuve, et qui s'est traduite en dehors du Parlement par des manifestations extra-parlementaires, le gouvernement anglais, dis-je, tiendra assurément à honneur de faire respecter un arrangement au bas duquel il a apposé sa signature. (Interruptions à droite.)

Quant à l'avenir, je fais remarquer que l'arrangement par ses termes mèmes, ne l'engage pas. Il est évident que nous serons obligés de reprendre des négociations avec l'Angleterre. Nous ne pourrons pas laisser tomber cet arrangement sans le remplacer par un autre qui, nous l'espérons, sera plus favorable aux revendications, aux droits de la France.

Le Sénat ne voudrait pas que j'entrasse en ce moment dans des explications plus détaillées. Je me borne à lui donner l'assurance que le Gouvernement qui a l'honneur de siéger sur ces banes saura défendré, là comme ailleurs, les droits et la dignité de la France. (Vive approbation sur un grand nombre de bancs.)

M. Bozérian demande à transformer la question en interpellation. Le ministre des affaires étrangères declarant qu'il se tenait à la disposition du Sénat, mais qu'il aurait pu de chose à ajouter à ses déclarations, le Senat repousse la discussion immédiate et fixe à un mois la date des débats.

Les rapports commerciaux de la France avec la Turquie.

Ils ont donné lieu, au Sénat, dans la séance du 13 mars, à une importante discussion qui a eu pour conséquence la chute du ministère préside par M. Tirard.

M. Foucher de Careil. Plusieurs de nos collègues ont manifesté des inquiétudes au sujet de la situation qui sera faite à la France à l'expiration du traité de 1861 qui nous lie avec la Turquie.

Vous reconnaitrez, messieurs, l'urgence de ma question en vous rappelant que ce traite prend fin ce soir. Il est donc interessant de savoir sous quel regime la France sera demain. On m'a fait l'honneur de me déléguer, avec deux autres de nos collègues, auprès de M. le ministre des atlaires étrangères. Nous nous sommes rendus auprès de lui et nous lui avons exprime nos craintes, nos inquietudes. Nous lui avons demande s'il pouvait, avee la discretion diplomatique qui lui était imposée, répondre à notre question. Je dois dire que M. le ministre des affaires étrangères a emis, en principe, une doctrine prudente : c'est que cette question etait surtout de la competence du ministre du commerce, et que, par conséquent, il ne pouvait s'engager dans le debat avant d'en avoir référé à son collègue.

J'ajoute que, M. le ministre du commerce étant président du conseil, nous avons parfaitement compris cette deference. Toutefois, j'ai dù rendre compte de cet entretien au groupe qui nous avait délégués. Plusieurs sénateurs. Quel est ce groupe?

--

A droite. C'est le groupe agricole. M. Foucher de Careil. Je ne tiens pas à le dénommer devant vous, messieurs, je prends parfaitement la responsabilité de ma question (Très bien! très bien au centre et à droite), mais je crois que lorsque l'agriculture s'inquiète, lorsqu'elle n'est pas fixée sur le régime de politique générale économique qui a les préférences du cabinet, lorsqu'elle croit voir même que Torientation de cette politique générale économique pourrait aller à Fencontre des vœux du pays (Nouvel assentiment sur les mêmes banes), nous avons bien le droit de nous abriter ici derrière l'intérêt agricole et derrière nos mandants qui nous ont délégués auprès de M. le ministre des affaires étrangères. Quoi qu'il en soit, messieurs, nous avons rendu compte de notre mandat, et nos mandants n'ont pas été très satisfaits des explications que nous leur rapportions.

J'ai done aujourd'hui la mission de demander à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien nous éclairer dans la mesure où il le jugera convenable, avec toute la réserve que lui imposent — je ne dirai pas les négociations - il a bien voulu me dire qu'il n'y en avait pas... (Murmures ironiques à droite), mais les pourparlers qui ont été engagés. En effet, M. Tirard, président du conseil et ministre du commerce, répondant, devant la Chambre des députés, à l'interpellation de M. Turrel, s'est servi de cette expression: il a dit qu'il n'y avait que des pourparlers et non pas des négociations. M. Tirard, ministre du commerce, de l'industrie et des colonies, président du conseil. -- Il y en a eu.

M. Foucher de Careil.

tions.

Aujourd'hui, ils se sont transformés en négocia

M. le président du conseil. C'est une erreur absolue.

M. Foucher de Careil. — C'est précisément sur ce point, et sur ce point d'abord, que nous tenons à interroger le Gouvernement et notamment M. le ministre des affaires étrangères.

Nous avons été émus par la discussion qui a eu lieu devant la Chambre des députés par M. le ministre du commerce, et je vous demande, messieurs, la permission de la mettre sous vos yeux. (Lisez! à droite.)

C'était, du reste, avec l'agrément de M. le ministre des affaires étrangères que ces documents avaient été rendus publics.

M. le président du conseil. C'est par lui. Ils émanent de ses agents.
M. Foucher de Careil. C'est ce que je dis.

Je vais citer textuellement ces deux pièces; mais, auparavant, je fais remarquer au Sénat que je ne les aurais certainement pas apportées à la tribune si elles n'étaient pas publiées; car elles ont paru au Journal officiel. C'est là ce qui me permettra de dire à M. le ministre des affaires étrangères qu'il n'y a pas d'indiscrétion de ma part à lui demander s'il a d'autres documents à communiquer au Sénat, puisqu'il a bien voulu faire communiquer à la Chambre des députés, par M. le ministre du commerce, ceux dont je vais donner lecture:

« Constantinople, le 17 janvier 1890.

« Votre Excellence », dit M. le chargé d'affaires de France à M. le ministre des affaires étrangères de Turquie, «a bien voulu constater avec moi... » - j'appelle l'attention du Sénat sur les termes de ces deux dépêches, car la question est là, monsieur le ministre, et nous voulons ètre fixés sur le point précis que j'ai indiqué et qui est de savoir s'il y a des négociations pendantes, jusqu'où ces négociations ont été, et si cet échange de notes, précisement, ne fait pas pas partie de ces négociations. Votre Excellence a bien voulu constater avec moi qu'il y avait lieu, pour nos deux gouvernements, de définir le régime auquel seront soumises les importations francaises en Turquie, à partir de l'expiration prochaine du traité spécial et additionnel du 29 avril 1861 et jusqu'à la mise en vigueur des nouveaux arrangements commerciaux destinés à le remplacer.

« Dans l'entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir hier, à ce sujet, avec elle, Votre Excellence a reconnu que, conformément aux anciens traités... >> T'appelle l'attention du Sénat sur ce point — « ... les produits français importés dans l'Empire ottoman continueront, pendant la période ci-dessus ndiquée, à bénéficier du traitement de la nation la plus favorisée. La communauté de vues qui existe, à cet égard, entre le gouvernement de la République et celui de S. M. I. le sultan se trouve ainsi explicitement établie.

« Comme nous en étions convenus avee Votre Excellence, je me suis empressé de donner connaissance de cette déclaration à S. Exe. M. Spuller, en ajoutant qu'il ne restait plus qu'à consacrer, par un échange de notes, l'entente de l'ambassade et de la Sublime Porte sur la question. » Signe: IMBERT.

Voici maintenant la réponse de S. Exc. Saïd-Pacha, ministre des affaires étrangères de Turquie, en date du 30 janvier 1890 :

Monsieur le chargé d'affaires,

«En réponse à la note que vous avez bien voulu m'adresser le 17 janvier, j'ai l'honneur de vous déclarer qu'à l'expiration du traite de 4861 le commerce français bénéficiera du traitement appliqué aux autres nations les plus favorisées, en attendant la conclusion d'un nouvel acte qui aura lieu, nous aimons à l'espérer, dans le plus bref délai. »

Si vous rapprochez ces deux textes, messieurs, vous verrez qu'ils diffèrent par cette nuance, qui a bien son importance en diplomatie, que le chargé Taffaires de France vise les anciens traités et déclaré que ce qu'il propose n'est que la continuation du traitement de la nation la plus favorisée dont on n'avait cessé de jouir jusqu'alors...

M. Spuller, ministre des affaires étrangères.

Mais non!

M. Foucher de Careil. Mais M. le ministre des affaires étrangères de

Turquie reste sur le terrain des faits, ne vise pas les anciens traités et ne dit nullement qu'il s'agisse de la continuation d'un régime précédemment adopté.

M. le ministre des affaires étrangères. Il ne le conteste pas.

M. Foucher de Careil. - se borne à dire : « J'ai l'honneur de vous déclarer qu'à l'expiration du traité de 1861, le commerce français bénéficiera du traitement appliqué aux autres nations les plus favorisées. »

C'est sur ce point, messieurs, que je demanderai une explication à M. le ministre des affaires étrangères. Qu'est-ce que cet acte? Est-ce une convention provisoire? Est-ce, comme on l'a dit, au contraire, la mise en vigueur d'un ancien traité existant, le traité de paix de 1802? Nous avons besoin de savoir laquelle de ces deux hypothèses est la vraie. Nous avons bien entendu, à la Chambre des députés, en réponse à l'interpellation de M. Turrel, M. le ministre du commerce s'appuyer sur ce traité de 1802; mais enfin il me permettra de lui dire, avec toute la déférence que je lui dois, que M. le ministre des affaires étrangères, dans cette même séance, n'a pas pris position, qu'l est resté à son bane, qu'il n'a pas paru à la tribune, qu'il n'a pas contirme, par conséquent, ni infirmé...

M. le ministre des affaires étrangères.

M. le président du conseil a parlé au nom du Gouvernement, en sa qualité de chef du ministère; j'étais et je suis encore d'accord avec lui!

M. Foucher de Careil. - Je le pense bien, monsieur le ministre des affaires étrangères, mais il était bon que le Sénat le sût.

M. le président du conseil. Je vous remercie, monsieur!

M. Foucher de Careil. Eh bien, il est donc entendu, messieurs, que c'est sur le traité de 1802 que repose toute la négociation.

On a fait revivre une clause, l'article 9 de ce traité; je ne veux pas entamer de discussion, mais il me sera facile de répondre à M. le ministre, sil persiste à se placer sur ce terrain, que ce traité de 1802 nous parait avoir singulièrement perdu de sa valeur...

M. le ministre. Pas aux yeux de tous!

M. Foucher de Careil.

dans sa partie politique.

En effet, l'article 5 porte que la France et la Sublime Porte se garantissent réciproquement l'intégrité de leurs possessions.

Eh bien, quoique je reconnaissé absolument le droit d'interprétation de M. le ministre des affaires étrangères en matière de traités existants, je ne crois pas cependant que lui-même, si absolu que ce droit puisse être, veuille le revendiquer en ce qui concerne l'article 5 d'un traité de paix qui, vous le savez, a subi le sort de tant d'autres traités de grands faits internationaux sont survenus depuis, en ont modifié les conditions, en ont aboli les articles, et je n'ai pas besoin de rappeler que la guerre elle-mème s'est produite dans l'intervalle, en 1827, enire la France et la Turquie.

Mais si la partie politique de ce traité est abolie, la partie économique, nous dit-on, revit ; nous la faisons revivre. De là, cette interprétation de l'article 9 du traité, concernant la clause de la nation la plus favorisée.

Mais, messieurs, il me semble que depuis lors, d'autres conventions ont été faites avec la Turquie. Il y en a eu une en 1838, il y a eu le grand acte international de 1856, le congrès de Paris; il y a eu le traité de commerce de 1861, qui a fait entrer la Turquie dans le droit commun des traites de commerce. C'était, vous le savez, au lendemain de 1860, c'est-à-dire de l'inaugu ration par l'empire du régime des traités de commerce.

C'est dans ces conditions qu'a été conclu avec la Turquie le traité de commerce de 1861 avec les tarifs annexes et avec la clause de la nation la plus favorisée dans l'article 13.

Eh bien! si ce traité de 1861 a visé cette clause de la nation la plus favori sée, elle a date certaine, et elle doit finir avec lui ce soir, à moins que, par ce que j'appellerai un abus du droit d'interprétation, vous n'entendiez la faire

revivre.

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