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de constater ce qui arriverait en telles ou telles circonstances, sans aucune conjecture sur le résultat, cependant, en fait, les opérations si laborieuses, si délicates, et souvent si ennuyeuses et fatigantes, qui ont jeté le plus de lumière sur la constitution générale de la nature, n'auraient probablement été entreprises ni par les hommes qui s'y livrèrent, ni au temps où elles ont été faites, si l'on n'avait pas cru pouvoir, par leur moyen, décider de la vérité ou de la fausseté de quelque théorie mise en avant, mais non prouvée. Or, s'il en est ainsi pour les recherches purement expérimentales, à plus forte raison la conversion des vérités expérimentales en vérités déductives n'aurait pu se passer du secours temporaire des hypothèses. Ce n'est nécessairement qu'en talonnant qu'on peut entreprendre de mettre de l'ordre dans un assemblage compliqué et, à première vue, confus, de phénomènes. On commence par faire une supposition, souvent. fausse, pour voir quelles conséquences s'ensuivraient; et en observant en quoi elles diffèrent des phénomènes réels, on est averti des corrections à faire à l'hypothèse. La supposition la plus simple qui s'accorde avec les faits les plus apparents est la meilleure pour commencer, parce que ses conséquences sont faciles à déterminer. Cette hypothèse brute est alors corrigée grossièrement, et l'on répète l'opération. La comparaison des conséquences déductibles de l'hypothèse rectifiée avec les faits observés suggère encore une correction, jusqu'à ce qu'enfin les résultats déduits cadrent avec les phénomènes. « Un fait est encore mal saisi, une loi est inconnue; nous bâtissons une hypothèse aussi bien ajustée que possible à l'ensemble des données que nous possédons; et la science, mise ainsi à même de se mouvoir librement, finit toujours par conduire à de nouvelles conséquences observables, qui confirmeront ou infirmeront décidément la première supposition » ni l'induction ni la déduction ne nous feraient comprendre même les phénomènes les plus simples « si nous ne commencions pas par anticiper sur les résultats, en faisant une supposition provisoire, toute conjecturale d'abord, relativement à quelques-unes des no

tions mêmes qui constituent l'objet final de la recherche (1) » Observons la manière dont nous-mêmes démêlons une masse de circonstances compliquées; comment, par exemple, nous dégageons la vérité historique d'un événement des récits confus d'un ou de plusieurs témoins. Nous remarquerons que nous ne rassemblons pas tout à la fois dans notre esprit les divers éléments d'information et n'essayons pas de les combiner en masse. Nous improvisons, d'après un petit nombre de particularités, une théorie grossière de la manière dont les faits ont eu lieu, et nous passons ensuite aux autres témoignages un par un, pour voir s'ils peuvent se concilier avec la théorie provisoire ou quelles modifications il faudrait faire à cette théorie pour qu'elle cadre avec. De cette manière, qu'on a justement comparée aux Méthodes d'approximation des mathématiciens, on arrive par des hypothèses à des conclusions qui ne sont pas hypothétiques (2). (1) Philosophie positive, II, p. 434.

(2) On a justement cité comme exemple d'une hypothèse légitime au titre ici indiqué, celle de Broussais qui, partant du principe très-rationnel que toute maladie doit commencer sur un point déterminé de l'organisme, suppose hardiment que certaines fièvres, qu'on appelait, ne connaissant pas leur localisation, constitutionnelles, avaient leur origine dans la membrane muqueuse du canal intestinal. La supposition était fausse, comme c'est aujourd'hui reconnu généralement ; mais il était autorisé à la faire, puisqu'en en déduisant les conséquences et les comparant avec les phénomènes de ces maladies, il était certain de vérifier son hypothèse et de la rejeter si elle était mal fondée, et pouvait espérer que la comparaison l'aiderait beaucoup à en trouver une autre plus conforme aux phénomènes.

La doctrine, universellement admise aujourd'hui, que la terre est un aimant naturel, fut originairement une hypothèse du célèbre Gilbert.

Une autre hypothèse dont la légitimité ne saurait être contestée et qui est de nature à éclairer la route de la recherche est celle, récemment proposée par quelques écrivains, que le cerveau est une pile voltaïque et que chacune de ses pulsations est une décharge d'électricité. On a remarqué que la sensation produite sur la main par le battement du cerveau ressemble extrêmement à un choc électrique. L'hypothèse, suivie dans ses conséquences, pourrait fournir une explication plausible de plusieurs faits physiologiques; et rien, en outre, n'empêche d'espérer qu'on arrivera un jour à connaître assez bien les conditions des phénomènes voltaïques pour rendre l'hypothèse vérifiable par l'observation et l'expérimentation.

La localisation dans différentes régions du cerveau des organes des facultés

§6. Il est parfaitement dans l'esprit de la méthode d'établir ainsi provisoirement, non-seulement une hypothèse relative à la loi de ce qui est déjà reconnu être la cause, mais encore une hypothèse sur la cause elle-même. Il est permis, il est utile, et parfois même nécessaire, de commencer par se demander quelle cause peut avoir produit tel effet, pour savoir dans quelle direction il faut chercher la preuve qu'elle l'a produit. Les tourbillons de Descartes auraient été une hypothèse parfaitement légitime, s'il eût été possible, par un mode d'exploration qu'on pût espérer posséder un jour, de soumettre la réalité des tourbillons au témoignage décisif de l'observation. L'hypothèse était vicieuse, simplement parce qu'elle ne pouvait conduire à aucune recherche propre à convertir la supposition en un fait

mentales et des penchants était une hypothèse scientifique légitime; et il n'y avait pas à reprocher à son premier auteur d'avoir souvent procédé d'une manière extrêmement légère dans une opération qui ne pouvait être qu'un essai; quoique on puisse regretter que des matériaux tout au plus suffisants pour une grossière ébauche d'hypothèse aient été hâtivement façonnés par ses successeurs en un vain simulacre de science. S'il existe réellement une connexion entre l'échelle des qualités intellectuelles et morales et des degrés divers de complication dans le système cérébral, il n'y avait guère rien de mieux, pour mettre en lumière la nature de cette connexion, que de forger en débutant une hypothèse semblable à celle de Gall. Mais la vérification d'une telle hypothèse est, par la nature particulière des phénomènes, entourée de difficultés que les phrénologistes ont paru ne pas pouvoir comprendre, et moins encore surmonter.

La remarquable spéculation de M. Darwin sur l'Origine des Espèces est encore un exemple irréprochable d'une hypothèse légitime. Ce qu'il appelle « la sélection naturelle, » n'est pas seulement une vera causa; c'est une cause capable de produire des effets de la même espèce que ceux que l'hypothèse lui attribue. Il n'est pas juste d'accuser, comme on l'a fait, M. Darwin de violer les règles de l'induction. Les règles de l'induction sont relatives aux conditions de la Preuve. M. Darwin n'a jamais prétendu que sa théorie était prouvée. Il n'était pas lié par les Règles de l'Induction, mais par celles de l'Hypothèse ; et celles-ci ont rarement été plus complétement observées. Il a ouvert une voie de recherches pleine de promesses, dont personne ne peut prévoir les résultats. Et n'est-ce pas une merveilleuse prouesse de talent et de science d'avoir rendu admissible et discutable une opinion tellement hardie que le premier mouvement était, pour tout le monde, de la rejeter immédiatement, même comme simple conjecture?

réel. Elle courait le risque d'être infirmée, soit par quelque défaut de correspondance avec les phénomènes qu'elle devait expliquer, soit (comme cela arriva en effet) par l'intervention de quelque fait étranger. « Le fait du libre passage des comètes dans les régions du ciel où auraient été des tourbillons donna la conviction que ces tourbillons n'existaient pas (1). » Mais l'hypothèse eût encore été fausse, quand même on n'aurait pas pu trouver une preuve directe, comme celle-ci, de sa fausseté. La preuve directe de sa vérité était impossible.

L'hypothèse d'un éther lumineux, aujourd'hui dominante. et qui sous d'autres rapports n'est pas sans analogie avec celle de Descartes, n'offre pas une absolue impossibilité de preuve directe. Il est bien connu que la différence entre les temps calculés et les temps observés du retour périodique de la comète de Encke avait fait conjecturer qu'un milieu capable de résister au mouvement remplissait l'espace. Si cette supposition était confirmée dans le cours des siècles par l'accumulation de cas semblables de variation dans les autres corps du système solaire, l'éther lumineux se rapprocherait considérablement du caractère de vera causa, puisque l'existence d'un grand agent cosmique possédant quelque-uns des attributs assignés par l'hypothèse serait confirmée; bien qu'il restât encore beaucoup de difficultés, et que même l'identification de l'éther avec le milieu résistant en fit, ce me semble, naître de nouvelles. Quant à préprésent cette hypothèse ne peut être prise que pour une conjecture. L'existence de l'éther repose toujours sur la possibilité de déduire de ses lois supposées un nombre considérable des phénomènes de la lumière; et cette espèce de preuve ne peut, à mon sens, être considérée comme concluante, parce qu'on ne peut pas avoir l'assurance que si l'hypothèse était fausse elle conduirait à des résultats contraires aux faits réels.

En conséquence, les penseurs un peu circonspects s'accor

(1) Whewell, Philos. de la découv., p. 275-6.

dent à dire qu'une hypothèse de ce genre ne doit pas être jugée probable par cela seulement qu'elle rend compte de tous les phénomènes connus, car c'est là une condition à laquelle souvent deux hypothèses contraires satisfont également, et il y en a probablement mille autres tout aussi possibles, mais que, faute d'analogie avec notre expérience, notre esprit ne saurait concevoir. Cependant, on semble croire qu'une hypothèse de cette nature mérite d'être plus favorablement accueillie lorsque, tout en rendant compte des faits connus, elle a conduit en même temps à l'anticipation et à la prédiction d'autres faits que l'expérience a ensuite vėrifiés; comme la théorie des ondulations qui suggéra la prévision, réalisée ensuite expérimentalement, que deux rayons lumineux peuvent se rencontrer de telle sorte que leur rencontre produit l'obscurité. Ces prévisions et leur accomplissement sont, assurément, faits pour impressionner les personnes étrangères à ces matières, dont la foi à la science ne se fonde que sur ces sortes de coïncidences entre les prédictions et l'événement; mais il est étrange que des hommes de science y attachent tant d'importance. Si les lois de la propagation de la lumière, concordent avec celles des vibrations d'un fluide élastique en assez de points pour que l'hypothèse soit l'expression exacte de tous les phénomènes connus ou du plus grand nombre, il n'y a rien d'étonnant qu'elles concordent encore en ce point-là. Ces coïncidences se produiraient cent fois qu'elles ne prouveraient pas la réalité de l'éther. Il ne s'ensuivrait pas que les phénomènes sont les résultats des lois des fluides élastiques, mais tout au plus qu'ils sont régis par des lois partiellement identiques; ce qui, remarquons-le, est déjà rendu certain par cela seul que l'hypothèse en question est soutenable un moment (1). On peut, même avec le peu que nous savons de la nature, citer

(1) Ce qui a le plus contribué à accréditer l'hypothèse d'un milieu physique pour la transmission de la lumière, c'est le fait certain que la lumière voyage (ce qui ne peut pas être prouvé de la gravitation); que sa communication n'est pas instantanée, mais exige du temps, et qu'elle est interceptée (ce qui n'arrive pas à la gravitation) par l'interposition des corps. Ce sont là autant d'analogies

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