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FONTE DE LA CORNÉE DANS LES FIÈVRES PUTRIDES;

Par A. TROUSSEAU, professeur à la Faculté de Médecine de Paris, etc.

Il est un accident bien grave, que l'on observe assez fréquemment dans le cours des maladies qui s'accompagnent de troubles cérébraux; nous voulons parler du ramollissement de la cornée lucide. J'ai été longtemps à comprendre le mécanisme de cette maladie. Je crois l'avoir découvert; je crois surtout avoir trouvé le moyen trèssimple d'y remédier. Il ne serait pas impossible que d'autres que moi eussent le droit de revendiquer l'honneur de cette petite découverte. J'en prends facilement mon parti, et s'il se trouve que d'autres aient observé avant moi ce que je vais exposer en peu de mots, je m'en applaudirai; ce sera une sanction que j'aurai donnée à un fait pratique peu connu. Je vois tous les jours des confrères réclamer l'honneur de la priorité avec un zèle qui ne me donne guère l'envie de suivre leur exemple; il est donc bien entendu que j'abandonne, s'il en est besoin, tous mes droits sur le ramollissement de la cornée dans les fièvres graves et sur le traitement facile de ce ramollissement.

Dans le cours des fièvres putrides, on voit souvent les malades dormir les paupières entr'ouvertes; il arrive alors presque toujours que le globe de l'œil s'est porté en haut et que la cornée lucide reste entièrement cachée. Dans ce cas, l'absence de clignement n'a d'autre inconvénient que de causer une phlegmasie de la membrane muqueuse oculaire, et si cette inflammation est, comme je l'admets volontiers, sous la dépendance de l'état général au même titre que la phlegmasie des bronches, de l'arrière-bouche, etc. etc., je ne puis ne pas admettre qu'elle est aggravée par le défaut de clignement, comme on le voit chez ceux qui ont une paralysie de la septième paire. Nous savons tous, en effet, que les malades atteints de paralysie de la septième paire de nerfs, ne pouvant fermer l'œil ni cligner, ont tous une irritation plus ou moins considérable de la membrane muqueuse oculaire, et cette irritation va, chez certains malades, jusqu'à l'inflammation et jusqu'au ramollissement de la cornée lucide. Les malades eux-mêmes savent parer à cet inconvé

nient, en faisant mouvoir leur paupière à l'aide de la main, assez souvent pour suppléer au clignement qui manque. Mais pendant le sommeil, s'ils ne prennent pas des précautions particulières, ils laissent le globe de l'œil exposé au contact de l'air, et le lendemain matin ils se réveillent avec de la congestion irritative, de la douleur, de la lippitude.

Dans les fièvres graves, quelle que soit d'ailleurs leur nature, les yeux, comme je le disais plus haut, restent ordinairement entr'ouverts, et si la stupeur dure assez longtemps, si elle est portée trop loin, ils sont, nuit et jour, dans des conditions analogues à celles où se trouvent les individus atteints de paralysie de la septième paire.

Ajoutez à cela que la sensibilité est émoussée dans le cours des fièvres putrides, et que l'irritation causée par le contact de l'œil sur la conjonctive n'est pas sentie, de telle sorte que le besoin de cligner n'existe plus. Il se passe pour l'œil ce qui se passe pour les narines, qui deviennent pulvérulentes, s'emplissent des corps étrangers qui voltigent dans l'air, parce que le malade n'a pas conscience de l'irritation que ces corps étrangers causent ordinairement, et qu'il ne fait rien par conséquent pour s'en débarrasser.

Il suffit de réfléchir à la théorie du clignement pour comprendre que les accidents dont je parle doivent être assez fréquents. Trois paires de nerfs concourent au clignement :

1o La cinquième paire (paire sensitive), qui transmet au cerveau l'impression douloureuse produite par le contact continu de l'air et par la dessiccation de la cornée, impression qui donne le besoin de cligner;

2o La septième paire de nerfs (paire motrice), qui transmet au sphincter des paupières l'ordre de se contracter;

3o La troisième paire de nerfs (paire motrice), qui envoie un filet au releveur de la paupière supérieure, et qui préside par conséquent à l'élévation de cette paupière.

Mais il existe encore une branche nerveuse, c'est le nerf lacrymal, provenant de la branche ophthalmique de la cinquième paire, et qui préside à la sécrétion des larmes, lesquelles servent plus encore que le mucus oculaire à la lubréfaction de la conjonctive, but final du clignement.

Il existe encore, dans les fièvres graves, des conditions parti

culières, parfaitement indépendantes des circonstances, en quelque sorte physiques, dont je viens de faire mention.

En vertu de causes qui ne nous sont que très-imparfaitement révélées, les membranes muqueuses deviennent le siége de congestions demi-actives, demi-passives, mais qui arrivent facilement à l'inflammation et même au sphacèle; aussi les ophthalmies, les coryzas, les angines, les laryngites, les phlegmasies des parties génitales, surtout chez les jeunes filles, sont-ils le cortége assez habituel des pyrexies à forme septique. Si bien que l'on conçoit mieux que la cornée lucide, quand elle vient alors à s'enflammer par l'absence du clignement, arrive aisément au ramollissement, sorte de gangrène de la membrane.

Je donnais des soins, conjointement avec M. le D' Grenat, à un jeune homme qui était atteint d'une maladie nerveuse mal déterminée, qui formait la chaîne entre la fièvre cérébrale et la fièvre putride ou typhoïde ordinaire. Il survint un peu de congestion de la conjonctive, autant sous l'influence de la fièvre elle-même que du défaut de clignement; l'une des cornées se ramollit, et le malade perdit l'œil.

Ce triste accident me donna à réfléchir, et je pensai que, si la plus grande part du mal devait être mise sur le compte de la pyrexie, l'exposition continuelle de l'œil au contact de l'air, par défaut de clignement, avait été une cause importante et peut-être principale, et, dès ce moment, je me préparai à faire ce que je fis en effet un peu plus tard avec un grand succès.

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Une femme entrait dans mon service de l'Hôtel-Dieu, salle Saint Bernard, no 8, atteinte d'une fièvre putride fort grave. Quand, dans le cours de la troisième semaine, les accidents nerveux prirent de l'intensité, les yeux, pendant le sommeil, ne se fermèrent plus qu'incomplétement, et le segment inférieur des deux cornées transparentes restait exposé au contact de l'air. Après quelques jours, la conjonctive s'injecta, et les yeux devinrent chassieux; vingt-quatre heures plus tard, ou constatait l'existence d'une véritable ophthalmie catarrhale. En examinant les yeux avec soin, il était facile de reconnaitre que le segment inférieur de la cornée lucide était gonflé, blanchâtre, comme macéré; il y avait en mème temps photophobie très-violente, et la malade, bien que dans la stupeur, se plaignait de ses yeux, lors même qu'on ne l'o

bligeait pas à relever la paupière. La vue était profondément troublée. Il me parut évident, il parut évident à tous ceux qui suivirent la visite, que les cornées se ramolliraient complétement, et que la vue était inévitablement perdue. Je n'avais pas plus d'espérance que les autres, mais je m'étais promis d'essayer un mode de traitement que je mis immédiatement en usage. Je fermai les yeux complétement; je plaçai, par-dessus les paupières, deux tampons de coton cardé, et je maintins ces deux tampons avec un bandeau médiocrement serré. Le petit appareil fut placé pendant la visite du matin; dans la journée, les douleurs furent moindres, elles disparurent pendant la nuit. Le lendemain matin, à ma grande satisfaction, lorsque j'examinai les yeux, je trouvai les cornées avec leur couleur normale, et, à cela près d'une injection notable de la conjonctive, tout était rentré dans l'ordre; la vue était encore un peu troublée, et il n'y avait plus de photophobie. Le traitement fut continué pendant trois jours, et alors l'appareil fut enlevé. Cependant les accidents nerveux généraux avaient un peu cédé, la stupeur avait presque entièrement disparu, et désormais les yeux se fermaient pendant le sommeil.

Bien que pendant la convalescence, il soit survenu un choléra violent, et plus tard, une colite qui avait quelques-uns des caractères de la dysenterie épidémique, les accidents que nous avions observés du côté des yeux ne se renouvelèrent plus.

Je vais rapporter un autre fait, qui a été observé par mon collègue et ami M. Tardieu.

Un homme prit une scarlatine qui, dès l'abord, se compliqua d'accidents septiques. Les paupières restaient entr'ouvertes, et le segment inférieur de la cornée lucide se ramollit, exactement comme chez la femme dont je viens de raconter l'histoire. Déjà survenaient des douleurs extrêmement vives, de la photophobie, un trouble considérable de la vue: tout à coup survint un érysipèle du visage, qui envahit d'emblée les deux paupières, dont l'occlusion fut complète pendant quatre jours. Lorsque l'érysipèle céda et que les yeux se rouvrirent, M. Tardieu vit avec bonheur que les yeux qu'il avait cru perdus étaient parfaitement guéris.

Je livre ces faits à mes confrères. On voit que nos malades ont été guéris par cette méthode d'occlusion dont on parle tant aujourd'hui et dont on se dispute la priorité. Je n'ai pas envie d'intervenir

dans ce débat, et surtout de réclamer le moins du monde en ma faveur une priorité à laquelle je n'ai d'ailleurs aucun droit; mais enfin, si cette communication peut être utile à quelques malades, j'aurai obtenu ce que je désire.

REVUE CRITIQUE.

DE L'EMPLOI DES INSTRUMENTS DE PRÉCISION EN MÉDECINE; DE LA
SPIROMÉTRIE;

Par le D' Ch. LASÈGUE.

HUTCHINSON, On the spirometer, 1846 (analysé Arch. gên. de méd., 1847). -HUTCHINSON, Spirometer observations, 1849 ( 4o report of the hospital of consomption).— HUTCHINSON, Cycloped. of anat. and physiol., t. IV, art. Thorax.-WINTRICH, Krankheiten der Respirations-Organe (Maladies des organes respiratoires); in VIRCHOW, Handbuch der speciellen Pathologie, t. V; 1854.- Schneevogt, Ueber den praktischen Werth des Spirometers (De la valeur pratique du spiromètre); Journal de Henle, 1854. – HECHT, Essai sur le spirometre (Thèses de la Faculté de Strasbourg, 1855).

Il serait bien difficile de définir ce qu'on doit entendre par l'exactitude en médecine; depuis qu'on recommande de recueillir des observations exactes, chacune des écoles qui ont insisté sur cette recommandation l'a interprétée à sa manière.

Pour les uns, le médecin se conforme au principe quand il a dressé, dans le procès-verbal de son examen, l'inventaire le plus minutieux; ne négligeant aucun des détails insignifiants en apparence, photographiant pour ainsi dire le malade, et surtout se gardant de l'art qui altérerait la sécheresse de la vérité. Dans cette doctrine toute clinique, l'exactitude consiste à ne rien oublier de ce que révèle une attentive inspection; on consigne tout ce qu'on a vu, mais la méthode n'exige pas qu'on poursuive plus loin sa recherche.

En suivant les tendances où la science paraît aujourd'hui s'engager de plus en plus, cette exactitude superficielle n'est qu'un leurre. Le médecin vraiment exact appelle à son aide tous les moyens auxiliaires qui lui permettent de pénétrer plus avant dans les profondeurs de l'organisme. La chimie, le microscope, les instruments de toute sorte, ne sont pas de trop pour une pareille tâche. Le malade, au lieu d'être représenté dans un portrait toujours infidèle, se résout dans une série de

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