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par tous les degrés de l'atrophie, jusqu'à la transformation graisseuse. Voici cette observation :

Legrand, berger, âgé de 18 ans, est porté le 30 mars 1848 à l'hôpital de la Charité, et couché dans mon service; voici quel était son état :

Amaigrissement extrême; membres supérieurs et inférieurs extrêmement grêles. Cette gracilité tient non-seulement à l'absence complète de graisse sous-cutanée, mais bien plus encore à l'atrophie du système musculaire, qui est générale.

Cette atrophie s'accompagne d'une paralysie générale du mouvement, complète pour un grand nombre de muscles, incomplète pour d'autres. Les muscles de la face participent à cette atrophie : aussi la face est-elle sans aucune expression, ce qui donne à Legrand un air hébété. Un seul muscle de la face avait été respecté ; c'était l'orbiculaire des paupières. Le malade est condamné à garder le lit, en supination, dans une immobilité presque absolue. Les membres supérieurs sont incomplétement paralysés ; il peut encore s'en servir pour prendre ses repas en saisissant avec les dents, par un mouvement brusque d'inclinaison de la tête à droite, les aliments préalablement placés dans la main de ce côté.

Les membres inférieurs partagent à un degré presque égal la paralysie et l'atrophie des membres supérieurs. Je voulus voir si le malade pourrait se soutenir dans la position verticale. En conséquence, deux infirmiers le lèvent et le soutiennent par les épaules; mais, à peine essayent-ils de l'abandonner à lui-même, que ses membres inférieurs fléchissent sous lui, que le tronc et la tête s'inclinent en avant, absolument comme sur un cadavre.

Et, de même que dans l'observation précédente, au milieu de cette altération si profonde, si générale, de l'appareil de la locomotion, tous les organes de la sensibilité avaient conservé la plénitude de leur action; l'intelligence était pleine et entière et les fonctions nutritives s'exerçaient avec la plus grande régularité.

Malgré l'observation précédente, qui m'avait démontré l'intégrité parfaite du centre nerveux céphalo- rachidien, observation dont je ne pouvais méconnaître l'identité avec le fait actuel, je ne pus me défendre de la pensée que nous avions affaire à une altération profonde de la moelle épinière, et nommément de ses fais

ceaux antérieurs; je ne pouvais me résigner à admettre qu'une lésion aussi générale du système locomoteur s'expliquât autrement que par une lésion centrale du système nerveux. En conséquence: application de deux cautères à la nuque; emploi successif de frictions sur la colonne vertébrale et sur les membres, de ventouses sèches et scarifiées le long du rachis, et de l'électricité.

Les choses en étaient là lorsque, onze jours après son entrée, ce malade fut pris d'une variole des plus confluentes, à laquelle il succomba le dixième jour, dans la période de suppuration.

Ouverture du cadavre. Rien, absolument rien à la masse encéphalique et à la moelle, comme dans le cas précédent.

Dès lors, ayant acquis pour la seconde fois la certitude que la source de cette paralysie musculaire était ailleurs qu'au centre céphalo-rachidien, je compris que j'avais à en chercher la cause ou dans les nerfs musculaires ou dans les muscles eux-mêmes.

Dans ce but, je fis transporter le sujet à la Faculté, dans mon laboratoire particulier, où je fis disséquer par plusieurs aides tous les muscles des membres et du tronc; je reconnus que tous les muscles étaient atrophiés à des degrés divers; que les uns avaient encore leur coloration naturelle, c'étaient ceux que l'observation clinique nous avait démontrés jouissant encore de leur contractilité ; que d'autres étaient d'une couleur rose pâle, jaune peau de daim, mais qu'un très-grand nombre avait passé à l'état graisseux.

On pouvait donc admettre deux degrés dans l'atrophie musculaire de ce sujet.

1er DEGRÉ. L'atrophie par macilence, qui réduit le muscle au 5o, au 10o, et même au 20o de son poids et de son volume ordinaires, sans altération de sa structure, mais seulement avec diminution notable dans l'intensité de la coloration rouge.

2o DEGRÉ. L'atrophie par transformation graisseuse. Un degré intermédiaire était la décoloration du muscle, qui présentait une teinte rose pâle, à la manière des muscles de la vie organique.

Après avoir étudié le système musculaire chez ce sujet, je m'étais proposé d'étudier à fond le système nerveux, et plus particulièrement les nerfs musculaires, que j'étais porté à considérer comme le point de départ de l'atrophie.

Je voulais suivre les nerfs, d'une part, depuis leur origine à la moelle jusqu'aux grands plexus nerveux de chaque membre; d'une autre part, de ces plexus jusqu'au moment de leur pénétration dans les muscles, jusque dans l'épaisseur des muscles eux-mêmes; je voulais, pour cet objet, soumettre les cordons nerveux à l'action de l'acide nitrique étendu, afin de bien distinguer le névrilème de la fibre nerveuse proprement dite, que je soupçonnais devoir être atrophiée.

L'entraînement de mes occupations ne m'ayant pas permis de mettre de suite ce projet à exécution, à mon grand regret le sujet fut enlevé.

Tel est, Messieurs, le résultat de cette seconde autopsie, confirmative de la première, pour ce qui est de l'intégrité du cerveau et de la moelle, et démontrant en outre que c'était non au centre nerveux céphalo-rachidien, mais dans les muscles eux-mêmes, qu'était la cause de la paralysie, que cette cause était l'atrophie musculaire, dont les degrés divers mesuraient exactement les degrés de la paralysie.

Qu'il me soit permis de le dire, c'est de l'époque de cette dernière autopsie (avril 1848) que date la détermination de cette paralysie et sa séparation définitive d'avec les paralysies qui ont leur principe au cerveau et à la moelle épinière.

N'est-il pas évident que l'observation clinique toute seule ne pouvait établir que la forme symptomatique de la maladie? Sans doute elle pouvait, elle l'avait déjà fait, tracer avec une grande fidélité les caractères propres à cette espèce de paralysie, établir sa marche progressive, sa localisation, dans quelques cas, comme aussi sa généralisation, qui n'a, pour ainsi dire, d'autres limites que celles de l'appareil de la locomotion; elle pouvait encore établir l'émaciation atrophique des muscles, qui marche d'un pas égal avec la paralysie, au lieu d'en être la conséquence éloignée, comme dans les paralysies ordinaires. D'une autre part, l'électricité, la galvanisation localisée, employées avec tant de talent par M. Duchenne, pouvaient constater que la contractilité électrique diminuait dans la même progression que la contractilité volontaire et s'éteignait avec elle.

Mais, seule, l'anatomie pathologique pouvait donner un corps cette forme symptomatique, elle pouvait déjà dire au pathologiste;

«Cette paralysie progressive du mouvement qui simule les paralysies par lésion de la moelle a pour point de départ non la moelle épinière, non l'encéphale, mais l'atrophie musculaire. »

Aussi, Messieurs, est-ce depuis le 17 avril 1848, époque de la dernière autopsie dont je viens de faire la description, autopsie dont je me plaisais à exposer les résultats, toutes les fois que j'en trouvais l'occasion, que les faits de même genre ont été interprétés, que j'ai pu parler dans mes leçons, à mon cours d'été de 1848, à l'occasion de la classe des atrophies, de l'atrophie musculaire primitive ou idiopathique, comme cause d'une espèce particulière de paralysie;

Que M. Duchenne, de Boulogne, qui avait observé le malade dans mes salles, mais qui n'avait pas asisté à l'autopsie, a pu présenter à l'Académie des sciences, au commencement de 1849, un mémoire intitulé Atrophie musculaire avec transformation graisseuse, en reconnaissant loyalement, à la tête de son travail, que c'était à une autopsie dont je lui avais communiqué les résultats qu'il devait la connaissance de ce fait d'anatomie pathologique.

C'est encore par suite de cette autopsie qu'en septembre 1850, M. Aran a pu résumer, dans un excellent travail sous le titre d'Atrophie musculaire progressive, un grand nombre de faits du même genre, recueillis pour la plupart à l'hôpital de la Charité.

Mais je ne pouvais me dissimuler qu'une lacune grave n'existât dans l'anatomie pathologique de cette maladie : c'était la connaissance de l'état anatomique de la portion périphérique du système

nerveux.

Je voyais bien, dans l'atrophie graduelle des muscles, une cause suffisante de la paralysie graduelle du mouvement; mais que sont les muscles sans les nerfs qui les animent! Aussi ne cessais-je de répéter que nous n'avions pas encore le dernier mot de cette paralysie; que j'avais bien la certitude que le centre nerveux céphalo-rachidien y était étranger, mais que je n'avais pas la même certitude quant à l'état des cordons nerveux intermédiaires à la moelle épinière et aux muscles (1).

(1) J'avais souvent exprimé ma pensée à un interne, M. Thouvenet, aujourd'hui médecin distingué à Limoges, à qui je donnai cette maladie comme sujet de sa dissertation inaugurale, et c'est sans doute cette pensée qui l'a inspiré lorsqu'il a sou

Eh bien, c'est cette lacune que deux observations, avec autopsie, que j'ai eu occasion de recueillir dans mon service à l'hôpital de la Charité, sont destinées à combler.

Je n'abuserai pas des moments de l'Académie en lui donnant lecture de ces deux observations, dont le résumé restera annexé à ce mémoire. La première de ces observations a d'ailleurs fait partie d'un travail présenté à l'Académie de médecine. Les deux pièces anatomiques sont déposées au musée Dupuytren (1).

Je me contenterai de dire que l'autopsie de ces deux sujets, qui avaient présenté pendant leur vie tous les caractères de la paralysie musculaire atrophique portée au plus haut degré, m'a permis de constater: 1o ainsi que dans les deux observations précédentes, l'intégrité parfaite de la masse encéphalique et de la moelle épinière; 2o ainsi que chez le berger Legrand, tous les degrés de l'atrophie musculaire, depuis l'amaigrissement simple jusqu'à son dernier terme, la transformation graisseuse; 3o qu'elle a démontré, en outre, que l'atrophie musculaire n'était pas la cause première de la maladie; que cette atrophie musculaire n'était elle-même que l'effet de l'atrophie des racines antérieures des nerfs rachidiens atrophie nerveuse qui m'a paru dans un rapport rigoureux avec l'atrophie musculaire. Ainsi le rapport en volume des racines postérieures aux racines antérieures, qui, dans l'état sain, est :: 3:1 à la région cervicale, était, chez ces deux sujets, :: 10: 1. Ce même rapport, qui, dans l'état normal, est de 1 12 : 1 à la région dorsale, et de 2:1 à la région lombaire, était :: 5:1; et, à côté de cette exténuation des racines antérieures des nerfs spinaux, les racines postérieures respectées conservaient tous les caractères de l'état le plus normal.

Conclusions.

Il résulte des faits exposés dans ce travail :

1° Qu'il existe une espèce de paralysie musculaire tantôt partielle, tantôt générale, qui envahit successivement et graduellement, faisceau par faisceau, fibre par fibre, les muscles soumis à la

tenu que cette maladie était une paralysie qu'il a décrite, comme moi, sous le nom de paralysie musculaire atrophique.

(1) On trouvera ces deux observations à la fin de ce travail.

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