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chancres qui n'ont déterminé aucun symptôme de la syphilis générale ont puisé leur maladie chez des individus atteints aussi de chancres non infectants. La propagation successive du mal s'opérerait suivant le même ordre; jamais un chancre infectant ne donnerait lieu à un chancre qui resterait purement local, et réciproquement. Fort de ces coïncidences, M. Bassereau en conclut que le chancre simple est tout à fait étranger à la syphilis et n'a de commun avec le chancre vénérien infectant que sa propriété contagieuse; ce serait là l'ulcère contagieux des organes génitaux, connu et décrit par Gelse, Galien, etc., tandis que le chancre induré ou infectant serait d'origine moderne, comme la syphilis elle-même.

M. Clerc reproduit à peu près l'opinion de M. Bassereau, mais il y ajoute une théorie étiologique du chancre simple: selon lui, il existe deux variétés distinctes de chancres syphilitiques, dont l'une est le chancre induré ou infectant, et l'autre le chancre non induré, non infectant, ou chancre simple. Chacune de ces variétés de l'ulcère syphilitique primitif se transmet comme espèce pathologique. Le chancre simple, ou non infectant, serait le résultat de l'inoculation d'un chancre infectant à un sujet qui a ou qui a eu la syphilis constitutionnelle, et il serait l'analogue de la varioloïde ou de la fausse vaccine. Ainsi serait justifiée l'expression de chancroïde que propose notre confrère.

On voit maintenant ce qui sépare M. Bassereau de M. Clerc : l'un admet que le chancre simple a toujours existé, sans produire d'accidents généraux, et que le chancre induré, né de l'épidémie du xve siècle, est le seul chancre syphilitique; l'autre, partisan aussi de l'origine moderne de la syphilis, prétend que le chancre simple est le résultat de l'inoculation d'un chancre infectant à un sujet qui a ou qui a eu la syphilis constitutionnelle.

Disons, en passant, que cette petite théorie historique de la syphilis ne trouvera peut-être pas de crédit auprès de ceux qui ont de bonnes raisons de penser que la syphilis constitutionnelle a existé de tout temps, qui la retrouvent chez les écrivains de l'antiquité, dans les livres des médecins comme dans ceux des poëtes et des comiques, qui la voient enfin dans Horace désignée presque par ce nom de mal napolitain, qui a fait fortune plus tard. Que voudraient donc dire ces vers plaisants d'Horace, s'ils ne se rapportaient aux traces laissées par la vérole sur le visage de Messius:

At illi fœda cicatrix

Setosam lævi fi ontem turpaverat oris.

Campanum in morbum, in faciem permulta jocatus.

(Sat., lib. 1.)

Mais ce coup d'œil rétrospectif est plus curieux que probant, et ce n'est point avec des arguments de cette sorte qu'il faut combattre ceux qui admettent l'existence des deux virus.

C'est en recherchant la valeur symptomatologique de l'induration du chancre qu'on arrivera plus sûrement à démontrer que rien ne prouve jusqu'alors l'existence d'un double virus; ainsi la question de l'unité du virus est solidaire de celle qui a trait à la valeur séméiologique de l'induration dans le pronostic de la syphilis constitutionnelle.

M. Ricord, dans la première édition de ses Lettres sur la syphilis (1851), écrivait que le chancre induré seul détermine infailliblement l'adénopathie et surtout l'infection syphilitique, qu'il n'y a pas de chancre induré qui ne soit suivi d'accidents constitutionnels; que le véritable chancre non induré, sans retentissement ganglionnaire ou avec adénile spécifiquement suppurée, n'infecte jamais l'économie. Malgré le positivisme de ces formules, il croyait devoir ajouter Ces propositions sont absolues. Si elles sont absolues, elles sont déjà en contradiction formelle avec ce que M. Ricord écrivait dans ses additions à l'ouvrage de Hunter. Il disait en effet, en 1839 : « L'induration de la base et des bords du chancre n'a d'importance réelle dans le diagnostic que lorsqu'elle existe; car, je le répète, des chancres privés de ce caractère n'en conservent pas moins toutes leurs propriétés tant sous le rapport de la contagion que sous celui de la production des accidents consécutifs.» Mais nous n'avons point l'intention de mettre M. Ricord en contradiction avec lui-même, et c'est la marche qu'ont suivie les doctrines syphiliographiques que nous voulons retracer.

Depuis longtemps déjà on avait remarqué que les chancres de l'anus chez l'homme et ceux de la vulve chez la femme ne sont que rarement indurés. Il aurait donc fallu, dans la doctrine de M. Ricord, supposer que l'homme par l'anus, et la femme par la vulve, sont moins aptes que par toute autre région à contracter la syphilis constitutionnelle. Il y avait bien là de quoi jeter quelque doute sur l'absolutisme des propositions précédentes; mais la négation de la valeur symptomatologique de l'induration n'avait jamais été aussi nettement établie qu'elle vient de l'être, dans ces derniers temps, par un assez bon nombre de syphiliographes, au nombre desquels nous placerons surtout MM. Cullerier el Diday.

M. Cullerier ne veut laisser aucune incertitude sur sa pensée quand il écrit la phrase suivante: «Je crois que le chancre le plus simple, le plus exempt d'induration locale, peut être suivi d'accidents constitutionnels; je ne lui demande que d'être contagieux, afin de ne pas confondre des ulcérations accidentelles et nullement spécifiques avec l'ulcération virulente. J'ai vu, chez des hommes de ma pratique particulière, de ces ulcérations virulentes simples être parfaitement infectantes, et j'ai été dupe, au détriment de mon pronostic, d'une croyance que j'avais pu partager.›

Pour cesser d'être dupe de la doctrine qui veut que le chancre simple n'infecte jamais l'économie, M. Cullerier a cherché un nouvel élément

de diagnostic dans l'engorgement ganglionnaire; c'est là, selon lui, une ressource précieuse qui peut éclairer le chirurgien lorsque l'induration chancreuse fait défaut. Mais, tout en accordant à cet engorgement spécifique des ganglions une incontestable valeur, il ne veut point en faire la seule base de son diagnostic: «Je vais plus loin, dit M. Cullerier, et j'affirme que j'ai vu bon nombre de fois la vérole constitutionnelle paraître après une ulcération des plus simples, des plus passagères, quelques jours à peine, sans aucune espèce de retentissement dans les ganglions, dans ceux du moins accessibles au toucher. >>

M. Diday, dans un remarquable article sur cette question: Existet-il un seul ou deux virus chancreux ? se refuse également à admettre l'induration comme le critérium de l'infection. Son expérience lui a appris que ce curieux phénomène reconnaît souvent pour cause des conditions de localité désespérantes pour une théorie générale de l'évolution de la syphilis. Comme tous les observateurs, il a vu le chancre induré bien plus rare chez la femme que chez l'homme, et il ajoute que la production de l'induration est tellement favorisée par la structure de certaines régions, qu'on voit fort peu de chancres de la lèvre inférieure qui ne soient pas indurés. Ces remarques et d'autres encore l'engagent à conseiller un peu de défiance à ceux qui veulent affirmer, par cela seul qu'il y a induration à la base d'un chancre, que ce chancre doit compter pour infectant. J'en ai assez dit, ajoute-t-il, pour montrer que l'induration ne saurait justifier ces prétentions à être le seul critérium de la valeur des nouvelles doctrines sur la pathogénie de la syphilis.

L'observation journalière confirme donc cette opinion, que la syphilis constitutionnelle peut succéder à un chancre simple.

M. Vidal, pour simplifier encore les choses, professe que tous les chancres sont plus ou moins indurés; mais cette tentative de conciliation ne paraît point réunir d'adhérents. Il est impossible, en effet, de méconnattre ce qu'a d'anatomiquement caractéristique l'induration élastique de certains chancres; elle diffère essentiellement de cette induration superficielle qu'on a désignée sous le nom de parcheminée; enfin l'on doit avouer que certains chancres n'ont aucune base dure; bref, la loi de M. Vidal est destinée encore à souffrir de très-nombreuses exceptions. Quoi qu'il en soit, MM. Vidal, Cullerier et Diday, s'accordent aujourd'hui sur ce point, que tous les chancres peuvent être suivis de la vérole constitutionnelle; ils ajoutent que le chancre induré peut être la seule expression locale de la diathèse; enfin ils sont unanimes pour soutenir que le chancre induré ne donne véritablement pas lieu à la vérole constitutionnelle, car déjà, quand il existe, la maladie est faite. Le chancre induré n'est donc point une cause, effet de la syphilis constitutionnelle. Ces idées sont loin de celles qu'admettent M. Ricord et quelques-uns de ses élèves, MM. Bassereau et Clerc.

c'est un

Revenons maintenant à la question du double virus; le problème est désormais plus facile, car avoir démontré que l'induration n'est pas le seul signe de l'infection, c'est mettre à néant la dualité du virus. Entrons un peu dans le détail des faits avancés par MM. Bassereau et Clerc.

M. Bassereau ne méconnaît pas les difficultés qu'on éprouve souvent à trouver la source d'un véritable chancre induré; mais, ces difficultés vaincues, il reste à lui adresser une objection capitale, qui n'a point échappé à la critique habile de M. Cullerier, et qui plane sur presque toutes les observations des partisans du double virus. M. Bassereau a vu, dit-il, des chancres simples reproduire des chancres simples sur un autre individu; mais qui prouve que ces chancres simples n'ont point donné lieu plus tard à des accidents constitutionnels? En vérité, nous roulons ici dans un cercle vicieux; car M. Bassereau et M. Clerc surtout acceptent, comme démontré, que le chancre simple ne produit jamais de chancre induré et d'accidents constitutionnels, tandis que c'est là ce qu'il faut établir. Ainsi, dans les observations 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 de M. Clerc, il s'agit d'individus atteints de chancres indurés, auxquels la maladie a été transmise par d'autres individus qu'on reconnaît seulement atteints d'accidents constitutionnels. On cherche, mais on ne trouve point de renseignements précis sur la nature des chancres observés chez ces derniers sujets; il était cependant indispensable d'établir que, des deux côtés, il s'agissait de chancres indurés, et de ne pas laisser les observations muettes à cet égard. Dans la première observation de M. Clerc, par exemple, on lit qu'un de ses amis le consulta pour un chancre induré du prépuce récemment cicatrisé, et un exanthème papuleux syphilitique. Ne pouvant, dit M. Clerc, l'amener à partager notre opinion sur la nature vénérienne de sa maladie, nous lui disons qu'il est infiniment probable que la femme avec laquelle il avait des relations depuis plusieurs mois portait actuellement une syphilide analogue à la sienne. Il nous conduisit auprès d'une jeune dame qui se refusa à un examen direct, mais consentit à nous montrer ses bras et sa poitrine, couverts d'un exanthème semblable à celui de notre ami. M. Glerc ajoute : L'un et l'autre avaient donc eu dans le même temps un chancre infectant. Sa conclusion paraît vraie, puisque tous deux sont infectés. Mais M. Glerc a-t-il donc oublié que cette observation est destinée à prouver qu'un chancre induré, suivi d'accidents constitutionnels, reproduit un chancre induré suivi aussi d'accidents constitutionnels?

Pour voir la contre-partie de cette histoire, il faut lire, dans l'intéressant rapport de M. Cullerier, un fait où la petite théorie dualiste de M. Clerc se trouve en déroute complète : Un ouvrier typographe est traité de chancres simples, non indurés, du prépuce et du gland, et de papules muqueuses de l'anus et des joues, consécutives à un chancre unique et infectant, contracté six mois avant cette époque, et dont il

portait la cicatrice; il communiqua des chancres simples à une jeune fille, qui s'empressa de les transmettre, dans toute leur simplicité, à un ami de son amant. Cette petite famille syphilitique semblait d'abord destinée à donner gain de cause aux doctrines de M. Clerc. La jeune fille entra à Lourcine, dans le service de M. Cullerier, qui constata cinq chancres disposés en croissant à l'entrée du vagin, chancres non indurés, etc. Ainsi, dit M. Clerc, le chancre simple se transmet dans sa variété.

Cette observation restait inachevée dans le travail de M. Clerc; elle a été heureusement complétée par M. Cullerier. Celui-ci a pu constater, contrairement aux prévisions de M. Clerc, que la malade a bientôt éprouvé les accidents généraux de la syphilis : alopécie, roséole, adénite cervicale, condylomes, angine spécifique. Un traitement mercuriel, même incomplet, a tout fait disparaître.

Notre savant collègue n'omet point de faire remarquer que chez cette malade, il existait un engorgement indolent des ganglions inguinaux, symptôme qui eût dû mettre sur la voie du diagnostic.

M. Clerc a récriminé contre cette observation, en supposant que cette malade pouvait avoir eu quelques rapports avec un homme qui lui aurait antérieurement communiqué un chancre infectant. Il y a véritablement mauvaise grâce à ne point accepter ce fait, qu'on a jadis donné comme si probant de la doctrine des deux virus, et il faudrait bien, une fois pour toutes, renoncer à tout expliquer par l'infidélité conjugale ou autre. Cette ressource, jadis puissante, des syphiliographes aux abois, n'est plus aujourd'hui qu'un argument usé.

Mais, Dieu merci ! les syphiliographes n'en sont plus à chercher péniblement quelques faits pour prouver que des chancres indurés peuvent provenir de chancres simples, et que ces derniers peuvent donner lieu à la syphilis constitutionnelle. La discussion récemment soulevée au sein de la Société de chirurgie a complétement éclairé les esprits à cet égard. M. Cullerier a cité deux faits, nous n'allons rappeler que le dernier. « Un jeune homme, dit-il, est affecté de chancre induré, puis de symplômes constitutionnels; un traitement rationnel cst suivi régulièrement et tout disparaît. Au bout de quelques années, cet homme gagne un nouveau chancre, qui reste à l'état simple, sans retentissement sur l'économie. Le malade, fort éclairé d'ailleurs, mais ayant mal compris la portée de ce qu'il avait entendu dire qu'on n'avait pas deux fois la vérole, n'attacha aucune importance à l'ulcération dont il était affecté et n'hésita pas à se marier, sans prendre aucun conseil médical; sa jeune femme, comme on peut le croire, fut bientôt elle-même affectée d'un chancre; mais celui-ci s'indura, se compliqua d'engorgements ganglionnaires, puis fut suivi, dans l'espace de temps habituel, d'une syphilide papulo-tuberculeuse générale, d'alopécie, d'impétigo du cuir chevelu, et plus tard, d'accidents tertiaires. Ce fait a eu pour témoins MM. Cullerier, Cazeaux et Goffin.

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