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le premier. Se prévalant de son avarice même, Lanfranc sut habilement lui procurer des amendes, arrêtant ainsi son bras déjà levé pour frapper, et qui alors laissait tomber le glaive. Jaloux au plus haut degré de son autorité, le monarque souffrait difficilement des réprimandes ou des conseils : il les aurait repoussés avec colère dans leur rude austérité; pour arriver à son oreille, il fallait quelquefois qu'ils prissent la forme d'une plaisanterie. Le Conquérant disposait à son gré des affaires civiles et ecclésiastiques, et n'admettait aucun légat apostolique qui ne lui plût. Pas un concile ne pouvait s'assembler sans sa permission; pas un grand ne pouvait être puni sans son ordre '. Le primat souffrait avec douleur tous ces abus, et s'efforcait d'y remédier, en choisissant le moment opportun3. Saisissant de sa main de fer et l'Eglise et l'Etat, Guillaume préludait à l'asservissement de toute liberté quelconque ; il voulait se faire pontife aussi bien que roi d'Angleterre. Ce fut là le germe de maux sans fin qui ne manquèrent pas d'éclater sous les règnes de ses perfides et cruels successeurs ; ce fut là la première, la grande source de cette apathie, qui finit par s'emparer du clergé anglais, et qui, gagnant de proche en proche, comme un poison fatal, le livra, tout endormi dans le sein de ses richesses, à l'action désorganisatrice de la réforme. L'œil pénétrant de Grégoire VII aperçut sans peine cette funeste tendance, et, dans une de ses lettres, il la signale à l'attention de Lanfranc. Il reproche à ce dernier sa faiblesse, la crainte qu'il a du roi, et se déclare résolu à ne point souffrir d'usurpations de ce genre 4.

Mais le pontife lui-même était trop occupé, il avait à lutter contre trop d'obstacles, pour suivre d'un regard attentif ce qui

1 Henric. de Knyghton. 2362.

'Id.—Gervase, dans ses imaginationes, dit ce qui suit: Defuncto autem Scothlando, Lanfrancus petivit regem ut sibi donationem abbatiæ concederet, sicut omnes prædecessores suos constat habuisse. Respondit rex et dixit se velle omnes baculos pastorales Angliæ in manų suâ tenere. Hæc est origo malorum. - Le vieux chroniqueur avait bien raison. Il ajoute : >>Lanfrancus ad hæc miratus est, sed propter majores ecclesiæ Christi >>utilitates quas sine rege perficere non potuit, ad tempus siluit.

3 Patiebatur ista invitus Lanfrancus. Knygthon.

4 Greg, vu. Epist. lib. v1, 30, ap. Labbe, x.

se passait en Angleterre. Guillaume, tout puissant, fit un grand pas en séparant les deux justices. Sous les Anglo-Saxons, les évêques présidaient les tribunaux avec les magistrats civils, et il en résulta souvent de grands biens. Le nouveau monarque supprima cet usage. « Dans tous les autres pays de l'Europe chré» tienne, dit un historien, les évêques avaient l'habitude de juger les causes ecclésiastiques dans leurs propres tribunaux : en An»gleterre, ils avaient toujours entendu ces causes, et prononcé » dessus dans les cours de centuries. Guillaume désapprouva cette » coutume, et, d'après l'avis de tous ses prélats et de ses barons, » défendit aux évêques et aux archidiacres de connaître doréna>> vant des causes spirituelles dans les cours séculières, les auto>> risa à établir des tribunaux particuliers, et ordonna aux shé>> riffs d'obliger les parties à comparaître devant le juge ecclé»siastique. Quelques auteurs ont attribué cette innovation à la » politique du clergé, qui cherchait, par l'établissement de >> tribunaux séparés, à se rendre indépendant du pouvoir civil ; » d'autres en ont accusé les barons, qui voulaient éloigner de la >> juridiction laïque la seule classe d'hommes qui osat s'élever >> contre leur rapacité et leurs injustices... Mais, quel qu'ait été >> le dessein du législateur, cette mesure cut des résultats impor>> tans. Cette scission créa entre les deux juridictions une grande » rivalité... ; et, en écartant des cours de centuries un magistrat >> aussi respectable que l'évêque, elles tombèrent peu à peu dans » le discrédit, et finirent même par s'éteindre '. »

Nous venons de parcourir un seul règne, mais un règne important et fécond en événemens; où en sommes-nous de l'influence du Catholicisme sur la constitution anglaise? Qu'avousnous en ce moment devant les yeux ? D'un côté la main d'un despote et des vassaux plus tyranniques encore, qui pèsent sur l'église et sur l'état; de l'autre un clergé mixte, un clergé doué de grandes vertus et dégradé par de grands vices. Les vertus se rangent avec le pauvre, l'affligé; les vices avec l'heureux, le puissant, l'oppresseur; chacun à sa place. Celuici porte sa croix, mais comme Jésus, dans la personne de l'indigent, la soutient par derrière, elle se fait légère et douce;

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celui-là la porte aussi, mais la traînant dans la fange où il tombe pour se relever couvert de honte. Voyez pourtant ce qui ressort de tout cela: le moine anglo-normand en se faisant peuple pleure avec lui, gémit avec lui, flétriț l'injustice avec lui ', élève ses enfans pour lui, lave ses pieds, le baise, le console, le réconforte, l'adore comme le Christ'. Il y a donc là une action réelle, s'adressant à la fois au cœur et à l'intelligence du peuple, croyez-le bien; car ce n'était pas le grand seigneur, le baron qui allait à l'école. Ne savait-il pas manier l'épée ? la jeter en l'air trois fois, puis à chaque fois la recevoir dans sa main en tuant un ennemi ? Certes c'était plus qu'il ne lui en fallait; mais le saxon, mais le serf avait besoin d'apprendre, d'être consolé, protégé; il avait besoin d'être libéré en passant dans les rangs de l'église. Aussi, l'infortuné pour trouver quelque moyen d'éluder la juridiction baroniale, soyez sûr qu'il se réfugiera sous le manteau de l'évêque, ou sous le capuchon du moine. Autre aperçu le vainqueur veut qu'on apprenne sa langue à lui; elle est noble, et il lui importe peu de savoir celle des vaincus. Eh! bien, les petits enfans apprendront le normand avec le latin dans les écoles, les lois anglo-saxonnes seront traduites en normand, et le petit enfant expliquera à son père la sentence que celui-ci ne comprend pas, ou bien les paroles du prêtre qui tirent les larmes des yeux des assistans 3. La

1

Celui qui prendra la peine d'étudier les chroniques anglaises et normandes verra partout ressortir avec une grande énergie une haine profonde pour l'oppression; or je me demande comment le moine n'aurait pas enseigné dans le cloître ce qu'il écrivait dans le cloître.

'Adorent Christum in pauperibus. Lanf. decreta.

3 L'auteur que nous avons déjà eu occasion de combattre présente Lanfranc s'enorgueillissant de l'effet de ses paroles sur un auditoire qui ne le comprenait pas. Malgré mon désir de trouver le passage cité de Gervase de Cantorbéry, je n'ai pu malheureusement le rencontrer, ni dans les actes des archevêques, ni ailleurs, ce qui ne veut assurément pas dire qu'il n'y soit pas. Je me contente donc de la citation de l'auteur français, et je remarque qu'elle désigne seulement des gens qui entendent moins le latin ou le français (qui licet latinè vel gallicè loquentem minus intelligerent). Ensuite, sauf erreur, d'après le ton de l'ensemble, je crois que le chroniqueur ne fait pas parler Lanfranc, mais raconte simplement le fait.

110 INFLUENCE DJ CATHOL. SUR LA CONSTIT. ANGL.

langue anglaise semblait péricliter; le vieil idiôme était proscrit, mais non : ce sont de ces choses qui ne s'oublient pas ! aussi quand l'oppression aura grandi, quand viendront les persécutions frapper le prélat et le moinc qui s'étaient faits petits-enfans, ah! vous les verrez alors relever fièrement la tête, vous les entendrez parler de libertés en face à leurs oppresseurs et derrière eux se grouper une population fidèle, dévouée, qui pleurera le bannisement de son père, battra des mains à son retour, et finira par conquérir ces droits que le Christianisme seul pouvait donner! Trop heureux si, après ce beau spectacle, l'horizon nc s'assombrissait, chargé de nuages et de tempêtes.

C. F. AUDLEY.

pour un

Dans la vie du prélat, que j'ai sous les yeux, Gervase ne le fait pas parler. une seule fois. Au reste on sent bien qu'il n'entre pas dans notre plan de relever les nombreuses erreurs de M. Thierry: nous espérons qu'une personne charitable voudra bien s'en charger. Cependant nous saisirons cette occasion pour en signaler une qui nous a paru un peu forte écrivain qui se pique d'exactitude. Dans la même page, il met Lanfranc à Rome, quand Grégoire VII fut élu pape, et sur la foi d'Eadmer place ses paroles dans la bouche du pontife: « Décide l'affaire comme tu voudras, toi qui es le père du père du pays, car je remets à ta disposition les deux verges pastorales. » Or, 1o Lanfranc fut de retour en Angleterre avant la mort d'Alexandre II comme le prouvent ses lettres (Epist. iv, v); 2o le pape le manda à Rome pour y recevoir le pallium, et ne le lui envoya pas, comme dit M. Thierry; 3o Grégoire VII ne fut élu qu'en 1073: comment donc étant simple archidiacre, aurait-il pu donner au prélat en 1071 le grand pouvoir qu'indiquent les paroles qu'on a citées. Mais voici ce que raconte Diceto ( à l'année 1071, p. 484), en parlant de l'archevêque Yorck et de l'évêque de Lincoln, qui avaient suivi Lanfranc et étaient suspendus: Conversus ad eum papa (Alexander) tu videris, inquit: pater es patriæ illius, ac per hoc industria tua consideret quid expediat. Virgæ pastorales quas reddiderunt ecce hîc sunt, accipe illas atque dispensa prout utiliùs christianitati regionis illius agnoscere poteris. At ille, susceptis illis, illico in præsentià domini papæ, revestivit præfatos viros quemque suâ. Deinde in Angliam cum sociis reversus, primas totius regni confirmatus est. »>-Ces dernières paroles confirment encore ce que nous avons dit du retour de Lanfranc. Voilà bien des anachronismes en quelques lignes. Voy. Chron. Citizense ap. Struvii scr. Germ. t. 1, p. 1143.—Cardin. de Aragoniá, vitæ Pont.-Barone, ad ann. 1071-1072 et Voigt Ilildeand und sein Zeitalter.

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DEUX CHANCELIERS D'ANGLETERRE;

BACON DE VERULAM ET SAINT THOMAS DE CANTOREÉRY,

Par A.-E. Ozanam '.

Valeur de

But du livre. La philosophie et la foi mises en présence, Bacon.-Erreur de sa méthode. Le savant et l'homme de cour. Sa fin honteuse.-S.-Thomas le modèle de l'homme chrétien.

Nous sommes heureux d'avoir à recommander aux amis des lectures solides, substantielles, en même tems que chaudes et animées, cet ouvrage d'un très-jeune auteur, qu'on peut leur présenter comme production d'une sagesse d'esprit remarquable et comme promesse pour l'avenir. Ce livre a une plus haute portée qui ne semblent lui donner son médiocre volume et la modestie de son titre. Les deux biographies qui le composent et qui contrastent si fort entr'elles, ne rentrent en aucune manière dans la classe de ces parallèles, soit littéraires, soit philosophiques, dont le goût s'était répandu au siècle dernier ; futiles amusemens de rhéteurs, quand ce n'étaient point les tentatives coupables de l'esprit de mensonge. Ce ne sont point seulement deux hommes qui se trouvent dans la balance; mais deux ordres d'idées, les plus vastes, les plus importans dans lesquels se puisse mouvoir l'esprit humain. La religion et la philosophie sont mises en présence, pesées à leur poids et jugées par leurs fruits.

M. Ozanam va nous exposer comment prit naissance et se développa la pensée de ce rapprochement :

« Naguère, en poursuivant le cours de quelques études histo

Vol. in-8°. Prix, 5 fr. Chez Debécourt, libr., r. des SS.-Pères, 69.

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