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que le retour de la paix devait faire disparaître, les prohibitions ont été condamnées par tous les gouvernements qui, depuis plus de trente ans, se sont succédé en France. Bien que les efforts faits en 1816, en 1834, en 1846, en 1852 et en 1856 pour affranchir notre commerce de cette législation enfantée par les malheurs de la guerre aient été stériles, cette conviction soutenue, persistante, de pouvoirs d'origines diverses, doit produire une impression sérieuse sur les esprits sineères et consciencieux. C'est qu'en effet, placés par les correspondances des agents consulaires au milieu de ce grand mouvement de relations commerciales qui constitue la vie, la richesse, la civilisation des peuples, mouvement qui ne représente pas aujourd'hui une circulation annuelle inférieure à 20 milliards; désintéressés de tout calcul privé ou égoïste, ou plutôt uniquement préoccupés du développement des richesses de leur pays et du bien-être des populations, les gouvernements sont en position de juger avec impartialité ces graves questions économiques et de leur donner les solutions les plus favorables aux intérêts publics.

Quelle que soit la valeur de ces considérations, nous n'hésitons pas à dire que la levée des prohibitions douanières est justifiée à la fois :

Par les principes;

Par les faits relatifs à l'industrie française;

Par ceux que nous révèlent les industries étrangères.

III

Les principes, Votre Majesté les a proclamés avec l'autorité qui appartient à un grand souverain: « Il faut multiplier les moyens d'échange pour rendre le commerce florissant; sans concurrence, l'industrie reste stationnaire et conserve des prix élevés qui s'opposent au progrès de la consommation. Or, les prohibitions, que sont-elles, si ce n'est la paralysie de tout mouvement commercial de l'extérieur à l'intérieur et l'affaiblissement de la concurrence qui, dans cette double manifestation de la vie commerciale des peuples, l'importation et l'exportation, n'est vraie, complète, sincère, qu'à la condition d'être internationale?

A l'égard des objets manufacturés, quels sont donc les moyens d'échange que notre législation douanière laisse vis-à-vis de nous à la Grande-Bretagne? Quelle est l'intensité, de la part de l'Angleterre, de cette concurrence destinée à maintenir la modération des prix et à empêcher leur élévation factice ou accidentelle? Nos états de douanes indiquent pour 1858 une importation en France par l'Angleterre d'articles fabriqués représentant une valeur de 18 millions 1/2, répartis sur un grand nombre de produits, tandis que les exportations de la

France pour la Grande-Bretagne, pendant la même année, s'élèvent, en objets manufacturés, à 220 millions. Ainsi l'Angleterre envoie à la France une valeur en articles fabriqués douze fois moindre que celle qu'elle lui achète. Est-ce là une base sérieuse à des relations commerciales entre deux grands peuples? Peut-on attribuer à cette importation restreinte, qui représente à peine la soixantième partie non de notre production manufacturière intérieure, mais de nos exportations en objets manufacturés, peut-on, disons-nous, lui attribuer ou lui reconnaître l'efficacité nécessaire pour aiguillonner l'industrie nationale, pour la décider à abandonner son outillage arriéré, à employer ces machines perfectionnées qui ménagent les forces humaines et semblent avoir conservé dans leur merveilleux organisme une partie du génie de celui qui les inventa? Peut-on atteindre ce but que Votre Majesté poursuit au profit du grand nombre, le bon marché des choses nécessaires à l'habitation, à l'habillement de l'agriculteur, de l'artisan, de l'ouvrier?

Et cependant les prohibitions, les tarifs assez élevés pour devenir prohibitifs, ne constituent qu'une charge ou qu'un impôt grevant la masse des consommateurs, non au profit de l'État, mais au profit des manufactures. Ils ne se justifient que comme une transaction temporaire qui impose à tous des sacrifices exceptionnels, en échange de l'espérance légitime et certaine d'un abaissement graduel dans les prix de consommation. Que si la transaction, par son défaut d'équilibre et de mesure, favorise les hausses de prix, vient en aide à certaines inerties et conduit à cet étrange résultat que la même marchandise est notoirement plus chère en France qu'elle ne l'est dans les autres pays, les règles les plus élémentaires de justice et de haute équité ne sont-elles pas violées?

Or, qui ignore que l'industrie française a été conduite, par les exagérations du régime économique qu'on défend en son nom, à vendre en France ses produits à un prix beaucoup plus élevé que celui auquel elle les vend sur les marchés étrangers? Lorsqu'une législation conduit à des conséquences aussi préjudiciables à la consommation indigène, la réforme n'est pas seulement utile, elle est inévitable.

IV

α

Aussi bien, ceux-là même qui ont apporté dans l'examen de ces problèmes économiques l'esprit le plus sympathique au maintien du système actuel, ne disaient-ils pas, dès 1834, que l'emploi du Tarif, bon temporairement, doit finir quand l'éducation de l'industrie est finie, quand elle est adulte...; que toute industrie qui a atteint sa croissance doit cesser d'être protégée ?... »

Or, ramenée à ces termes, la question n'est plus qu'une question de

fait qui se pose ainsi : Le degré de virilité auquel est parvenue l'industrie française autorise-t-il et la levée des prohibitions et leur remplacement par des tarifs modérés!

Interrogeons les faits, non ceux relatifs au commerce intérieur, puisque la lutte avec les produits étrangers n'est pas encore établie, mais ceux relatifs à notre commerce extérieur, que ne règle ni ne protége notre législation douanière.

La totalité de nos exportations pour 1858 s'est élevée, au commerce spécial, à 1887 millions (valeurs actuelles).

Quelle est dans cet ensemble de nos opérations commerciales l'importance de nos exportations d'articles dont les similaires sont prohibés en France?

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Ainsi les articles dont nous prohibons les similaires en France représentent plus du quart de nos exportations totales. N'y a-t-il pas, aux

1. L'exportation pour l'Algérie et pour nos colonies figure pour 21 millions dans ce chiffre de 67 millions.

2. On sait que nous exportons pour bien plus de 8 millions 1/2 de soieries (pour 379 millions en 1858); mais il est entendu qu'on ne fait figurer ici que les valeurs applicables aux spécialités de l'article dont nous prohibons les similaires. Cette observation concerne également la plupart des autres marchandises.

3. Si l'on étudie nos exportations en Angleterre d'articles dont nous prohibons les similaires en France, la démonstration n'est ni moins nette ni moins rassurante; nous donnons la nomenclature des principaux articles :

de laine..

Tissus..... de coton..

de soie (Tulle).

Fils de laine et de coton..
Linge et habillements..

Millions de fr.

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yeux des hommes sincères et que ne séduisent pas de vains sophismes, un signe de virilité et de force dans ces ventes considérables faites par nos industriels sur les marchés étrangers, en pleine et libre concurrence avec tous les produits industriels des autres nations, faites souvent même en concurrence avec les produits protégés de la nation chez laquelle ils importent, malgré des frais toujours élevés de transport et les risques d'un crédit commercial difficile à vérifier? Quelle contradiction plus flagrante peut se produire entre les réalités de l'industrie et la législation qui la régit? Comment la concurrence internationale, modérée par des tarifs, pourrait-elle être désastreuse sur le marché français pour nos industriels, lorsque ceux-ci affrontent sans péril et avec avantage la concurrence libre sur des marchés étrangers?

V

Nous avons dit que la situation des autres puissances apportait un nouvel et précieux élément à l'appui de nos convictions. Et, en effet, les autres nations, bien moins avancées que nous dans toutes les branches d'industrie et de commerce, ont réformé courageusement, et depuis plusieurs années, leur régime économique, et toutes ont vu grandir à chaque réforme leur industrie nationale et leurs relations commerciales avec les autres peuples. Pour toutes, l'expérience a donné un éclat nouveau à cette vérité, qu'au-dessus de la concurrence intérieure dont nous ne dénions ni les grands résultats, ni les bienfaits, la concurrence internationale révèle des forces, met en mouvement des intelligences et des activités qui, sans elle, seraient restées inertes, impuissantes, ignorées de ceux-là même qui sont appelés à en enrichir le pays.

VI

Nous avons examiné la levée des prohibitions au point de vue exclusif de l'industrie. Elle intéresse cependant aussi la moralité publique. Nous nous contenterons d'indiquer ce côté de la question en rappelant les paroles prononcées, il y a vingt-cinq ans, par un homme

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d'État, à la tribune française: « Supprimer les prohibitions, disait-il, c'est remplacer une importation frauduleuse et stérile par une importation loyale et productive. Il y a là profit pour tout le monde : pour l'État, qui recueille le produit des droits; pour le commerce qui n'est plus tenté d'employer les voies illicites; pour la morale publique, qui souffre toujours de cette provocation continuelle que des lois trop rigoureuses adressent à la fraude. »

Lorsque ces paroles étaient prononcées, la thèse se présentait dépouillée de toute mesure de transition, de tout ménagement, de toute compensation. Aujourd'hui elle est solidaire de ce grand ensemble de mesures dont Votre Majesté a posé les bases, et qui, toutes, doivent ouvrir des sources nouvelles de prospérité à l'agriculture, au commerce et à l'industrie. La levée des prohibitions est compensée, pour ainsi dire, par les sacrifices que s'impose le Trésor public de tous les droits sur les matières premières, et par une concurrence plus énergique établie sur le prix des houilles; par l'abaissement graduel du prix des denrées de grande consommation, et par l'exécution de ces grands travaux publics, destinés à rendre plus facile et moins coùteuse la circulation des matières qu'emploie l'industrie, comme des articles qu'elle produit, travaux qui auront pour résultat de développer l'activité, et de vivifier la richesse dans toutes nos contrées man facturières.

VII

Si nous cédions à nos impressions personnelles, peut-être ne pousserions-nous pas plus loin l'examen de cette théorie des prohibitions, qui ne compte plus, il faut bien le reconnaître, que de rares défenseurs dans le pays; cependant, comme Votre Majesté a reçu de la Constitution la prérogative souveraine de donner force de loi aux traités de commerce qu'elle revêt de sa ratification, nous éprouvons quelques scrupules à laisser sans réponse quelques-unes des objections soulevées au nom des partisans du maintien des prohibitions. Ces objections se résument dans trois principales:

1° Inoffensive pendant les temps normaux, la levée des prohibitions exposera l'industrie française, au moment des crises commerciales, à une véritable invasion des produits britanniques. Cette invasion amènera d'irréparables désastres pour les chefs d'industrie et pour les classes ouvrières, dont le bien-être est solidaire de celui de l'industrie elle-même. A l'appui de ces appréhensions, on évoque le souvenir du traité de 1786, et des funestes conséquences qu'il aurait eues pour l'industrie française.

2o Les prohibitions ne pourraient être remplacées que par des tarifs élevés; or, des droits considérables sont un encouragement à la contrebande. Sans doute, la prohibition ne paralyse pas ce commerce

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