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formellement nié toute communication, toute relation entre elles, et les dépositions des témoins n'avaient pas beaucoup éclairci ce point. Outre qu'ils avaient mis l'accusation au défi d'établir contre eux les preuves d'un complot, les accusés, s'érigeant en accusateurs, avaient inculpé le gouvernement comme étant lui-même l'auteur du complot, comme ayant préparé le conflit qui avait ensanglanté Lyon. Cette inculpation, souvent reproduite, fut positivement contredite par M. de Gasparin, préfet de Lyon en 1834. Bien loin d'accepter les insinuations particulièrement dirigées contre lui, il soutint que la crise, toute politique, avait été longuement fomentée et préméditée par le parti républicain; que le gouvernement n'avait fait que se défendre, et que, si son dessein eût été d'attaquer, il aurait pu trouver des circonstances et des occasions meilleures. A cette déposition les prévenus opposaient de nombreux témoignages M. Anselme Petetin, ancien rédacteur en chef d'un journal républicain de Lyon, accusa surtout avec force le gouvernement et les autorités de Lyon, d'avoir voulu, d'avoir souhaité une collision entre l'armée et la population lyonnaise; d'avoir travaillé à l'amener, à la rendre inévitable.

« Il n'est pas douteux, disait-il, que la préfecture avait mille moyens de pousser les membres les plus exaspérés dans les associations à des violences. Je crois qu'elle l'a fait. Les dépositions faites devant la Cour justifient cette opinion. Je connaissais beaucoup de membres influens des sociétés politiques; je déclare, dans ma conscience, que je les ai vus toujours aux prises avec des hommes dont les intentions étaient furibondes, qui les faisaient passer pour des traîtres; j'ai toujours eu la conviction que ces hommes appartenaient à la police, car je les voyais attaquer les réputations les plus pures sans aucun motif plausible.

La présence d'agens provocateurs, non seulement dans les associations pour pousser à l'insurrection, mais aussi sur les places publiques pour y mettre la main, était un des argumens qu'invoquaient particulièrement les prévenus comme établissant la participation du gouvernement au complot. Quelques unes de leurs indications à cet égard ne furent pas pleinement justifiées; il resta seulement démontré que plus actifs fauteurs de l'insurrection avaient eu avec eux un

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homme qui s'était porté, même avant la fin des événemens, le dénonciateur de ses complices. Mais le ministère public fit observer et prouva que si cet homme, qui avouaît hautement son infamie, et que l'accusation et la défense s'accordèrent à flétrir d'un commun mépris, avait été dénonciateur, il ne s'ensuivait pas qu'il fût agent de police: il s'était mêlé à l'insurrection pour en tirer profit dans le cas où elle eût triomphé; il l'avait abandonnée et dénoncée dès qu'il l'avait vue compromise, pour s'assurer l'impunité.

Les accusés alléguaient encore des violences odieuses qu'ils prétendaient avoir été commises par les troupes pendant l'insurrection, et dont de nombreux témoins vinrent tracer un douloureux tableau. A ces accusations dirigées contre les soldats, et qui semblaient prendre quelque consistance, les généraux Aymar, Buchet et Fleury, qui avaient commandé à Lyon, et d'autres chefs militaires d'un ordre moins élevé, opposèrent d'énergiques dénégations. Au contraire, les soldats s'étaient montrés pleins de compassion pour les malheureux Lyonnais; ils avaient nourri à leurs dépens des enfans, des femmes, des hommes. Le général Aymar démentait avec indignation les ordres impitoyables qu'on lui imputait d'a=voir donnés, le système meurtrier de répression qu'on l'accusait d'avoir appliqué, les lenteurs calculées dont on lui faisait un reproche :

Je me suis conduit, disait-il, de manière à éviter les plus grands malheurs : si je suis resté sur la défensive, c'est pour prévenir des attaques trop meurtrières qui auraient exaspéré le soldat et auraient pu le porter à des excès. Quant à des assassinats, car c'est ainsi que je qualifie les faits dont on parle, je ne les aurais pas soufferts; et s'il en était venu à ma connaissance, j'aurais livré les coupables à un conseil de guerre pour qu'ils fussent fusillés euxmêmes dans les vingt-quatre heures. »

Les prévenus, par la voix d'un avocat (Me Jules Favre); qui peignit la répression sous les couleurs les plus sombres, reprochaient encore au parquet de Lyon d'ètre resté inactif en présence des assassinats que lui avait dénoncés la clameur générale. Le ministère public, dont l'un des membres, Ann. hist. pour 1835.

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M. Chégaray, avait exercé à Lyon les fonctions de procureur du roi, répliqua que des plaintes formelles n'avaient pas été déposées, et qu'à l'examen, les faits qu'on avait signalés d'une manière assez précise pour qu'ils fussent pris en considération, avaient été reconnus faux ou exagérés. Il soutint, en outre, que l'armée était innocente des accusations odieuses dont elle était l'objet, accusations dans lesquelles il voyait le résultat d'un système dont l'application avait déjà été plusieurs fois faite, parce que l'armée était restée fidèle à son devoir, parce qu'elle avait constamment suivi le chemin de l'honneur.

En résumé, d'après la déposition du général Aymar, le nombre des morts et des blessés aurait été à peu près égal de part et d'autre; mais, suivant M. Chégaray, qui donnait ces renseignemens comme précis, le nombre des militaires blessés ou tués avait été de 322, dont la moitié environ étaient morts sur le coup; et le nombre des personnes de l'ordre civil tuées s'élevait à 109; il ne parlait pas de celles qui n'avaient été que blessées.

Le président de la Cour était aussi intervenu pour repous. ser les inductions que les accusés prétendaient tirer des faits qu'ils s'efforçaient d'établir. Ils ne pouvaient pas les présenter comme les motifs qui les auraient provoqués, déterminés à prendre les armes pour résister à la violence, pour se défendre, puisque les actes reprochés aux soldats auraient été, en admettant leur réalité, postérieurs à la crise première de l'insurrection. Le président déplorait d'ailleurs les événemens qui avaient affligé Lyon, mais ils étaient les conséquences de la guerre civile; conséquences qui devaient retomber tout entières sur les criminels auteurs des troubles,

Quelque douloureux qu'eût été ce long débat, il ne fut pas sans compensation: au cruel tableau de la guerre civile on avait cu à opposer des actes d'humanité et de géné. rosité non seulement de la part des soldats, mais encore de la

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part des insurgés. Parmi ceux-ci Lagrange, Girod, Carrier, Corréa et plusieurs autres avaient usé de leur influence pour défendre des vies et des propriétés menacées.

Quant à la culpabilité des prévenus, il n'avait guère été possible de l'établir rigoureusement au milieu des désordres d'une discussion où ils refusaient de s'expliquer sur les faits qui leur étaient imputés, et où ils agitaient à chaque instant des questions générales, dans lesquelles ils ne se trouvaient que fort secondairement intéressés. Il était d'autant plus difficile de se former une opinion bien nettement arrêtée sur la part de chacun à l'insurrection, que les dépositions des témoins à charge avaient continué à différer des témoignages écrits. Ces variations étaient encore devenues pour l'accusation et la défense un texte de récriminations : la défense soutenait que les témoignages actuels étaient les plus véridiques, les premiers ayant été arrachés de force par les magistrats instrucleurs; l'accusation prétendait, au contraire, que pleine foi était due aux premières dépositions, et que les réticences présentes des témoins devaient être attribuées aux menaces proférées contre eux par les amis des accusés.

10 juillet. Telles avaient été la nature et la marche des débats engagés sur les actes de l'insurrection lyonnaise. La Cour, ainsi que nous l'avons dit plus haut, avait maintenant à déterminer l'ordre dans lequel elle allait procéder. Le procureur général, prenant la parole, indiqua et motiva brièvement, dans le réquisitoire suivant, la mesure qu'il jugeait la plus convenable :

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Attendu, disait-il, que si les crimes dont la Cour des pairs doit connaître présentent évidemment tous les caractères qui, aux termes de l'article 227 du Code d'instruction criminelle, constituent la connexité, il est néanmoins possible, en droit et en fait, d'opérer, pour le jugement de l'affaire, une division déjà faite pour les débats et l'examen;

» Que l'arrêt du 6 février 1835, en renvoyant devant la Cour des pairs tous ceux qu'il déclarait accusés d'être auteurs ou complices des attentats à la sûreté de l'Etat, commis en avril 1834, à Paris, à Lyon, à Saint-Etienne, à Marseille, à Grenoble, à Épinal, à Lunéville, à Besançon, à Arbois, pour y être jugés, n'a pu disposer et n'a disposé d'une manière absolue que relativement au renvoi qu'il a ordonné et à la compétence qu'il a conférée à la Cour des pairs, sans rien préjuger relativement à la simultanéité des débats;

» Attendu que la mesure indiquée ne saurait contrevenir à l'article 226 du Code d'instruction criminelle, qui a disposé pour un cas différent, celui de la mise en accusation;

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› Que d'ailleurs la connexité des crimes ou délits rend naturelle, mais non nécessaire, la simultanéité des débats et du jugement; qu'elle ne doit pas la faire maintenir, alors surtout qu'il en pourrait résulter des retards qui seraient de nature à nuire à l'action de la justice;

» Attendu, en fait, que les débats commencés à l'égard des accusés de la catégorie de Lyon démontrent la possibilité, pour la Cour, de procéder immėdiatement au jugement, en ce qui les concerne;

» Que, cette possibilité reconnue, la convenance et l'utilité de la mesure ne sauraient être un instant douteuses;

» Qu'il importe, en effet, dans le double intérêt de l'ordre public et des accusés de cette catégorie, qu'il soit passé outre à l'appréciation, par la Cour, des faits de la cause, au moment même où les débats contradictoires ont rendu cette appréciation claire et facile;

» Requiert qu'il plaise à la Cour

» Ordonner qu'il sera immédiatement procédé aux réquisitoire, plaidoiries et jugement, en ce qui concerne les accusés de la catégorie de Lyon. »

Un seul avocat reproduisit contre cette disjonction, qui annulait le complot, des considérations que nous avons vu présenter dans le cours du procès; les autres défenseurs présens à la barre adhérèrent au réquisitoire; mais un accusé (Beaune) renouvela, en l'appuyant d'argumens longuement développés, la demande déjà tant de fois adressée à la Cour, de revenir sur son arrêt relatif au droit de défense, et cela particulièrement dans l'intérêt des prévenus à qui leur position ne permettait pas de se contenter de l'assistance des membres du barreau.

« Suivez, disait-il, messieurs les pairs, les règles de la morale et de la justice, et vous serez convaincus que des républicains ne peuvent être réellement défendus que par des républicains. Ce n'est point assez pour notre honneur, nos intentions, notre moralité, si véhémentement attaqués par le ministère public, que le concours d'avocats habiles à détruire de mensongères accusations. Il nous faut l'accession libre à notre défense des hommes de notre parti, les conseils d'amis dévoués, hier confesseurs, aujourd'hui martyrs de nos communes opinions. Ils ont étudié toutes les formes de gouvernement; leur vie pure est consacrée à la solution du problème social: c'est à eux, nos frères et nos modèles, qui vivent de notre vie et nous échauffent du feu sacré de leurs pensées généreuses, qu'il convient d'exposer nos principes, qu'on dit menaçans pour n'avoir pas la peine de les combattre. Nous avons un intérêt de morale et d'honneur à les faire passer, ces principes, sous les yeux du pays, et nous ne pensons pas, messieurs les pairs, que vous avez, après la révolution de juillet, aucune répugnance à faire connaître ces débats à la France, ils lui appartiennent: si nos idées sont dangereuses, elle en fera justice en les repoussant; si vous nous empêchez de les produire, elle aura le droit de croire, elle croira qu'elles sont utiles, applicables, que les forces matérielles du gouvernement, sa préexistence, notre circonspection s'opposent scules à leur triomphe. Et alors, messieurs les pairs, la France

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