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<< Mais, continuait l'orateur, si la presse, encouragée par la négligence des poursuites, enhardie par quelques acquittemens scandaleux, reprenait le caractère de conspiration que nous lui avons vu; si ses provocations touchaient d'aussi près aux actes de rébellion, si ses attentats avaient une culpabilité systématique, continue, générale; ce jour-là, l'ordre public se trouverait en péril dans son principe et son ensemble: ce serait à nous de le sauver. »

8,9 septembre. La discussion de ce projet de loi s'ouvrit avec quelque solennité; presque tous les ministres étaient à leur banc les attaques contre eux ne se firent pas longtemps attendre. Ayant désapprouvé les ordonnances de juillet parce qu'il les avait jugées contraires aux lois et à la liberté, M. le marquis de Dreux-Brézé venait aujourd'hui combattre le projet de loi, parce que le ministère lui paraissait s'engager dans une voie d'où l'on ne pouvait sortir que par l'arbitraire ou par l'anarchie. Reconnaissant que la situation morale du pays était déplorable, l'orateur pensait que le désordre provenait d'un désaccord entre les faits et les idées : là était, suivant lui, la cause de la violence extrême des discussions politiques.

« Cette violence est inévitable, disait-il, quand les opinions sont contrariées dans leur logique par les mêmes hommes qui les ont évoquées; quand ces hommes, après avoir établi les maximes, après les avoir autorisées, justifiées, développées par leurs discours et leurs exemples, entreprennent d'en condamner et d'en flétrir les conséquences, et s'engagent dans une lutte å mort contre ceux qui continuent à les défendre. »

M. de Dreux-Brézé faisait voir combien ce désaccord était complet, et comment il résultait de la conduite actuelle des hommes qui avaient poussé à la révolution de 1830, qui s'y étaient associés, qui l'avaient rémunérée, et qui maintenant se retournaient contre ses principes.

Cinq ans se sont à peine écoulés, disait-il, et les mêmes hommes ou leurs amis réagissent de nouveau contre les excès qu'ils ont enfantés; après avoir dépassé en dix ans tout ce que le philosophisme et le libéralisme avaient produit de licence et d'excès, ils dépassent maintenant tout ce que le despotisme impérial, tout ce que l'arbitraire de 1815, tout ce que la situation critique de la royauté en 1830, nous ont offert de mesures extrêmes, et nous rappellent de déplorables souvenirs.

Je le demanderai maintenant à tout homme d'intelligence et de bonne foi: à qui faut-il attribuer cette malheureuse situation, situation sur laquelle on s'appuie aujourd'hui pour obtenir de nous des lois inhumaines et révoltantes par leur exagération? Qui a évoqué toutes ces idées auxquelles il a fallu

répondre par des emprisonnemens et des rigueurs de tous genres, par des procès et des coups de canon? La France répond: Hommes du principe de nécessité qui avez glorifié l'insurrection, la sonveraineté du peuple, c'est vous seuls qui nous avez mis dans cette déplorable situation!

>> Vous avez tour à tour, au gré de vos intérêts et de vos vues personnelles, embrassé le bien et le mal, cherché l'ordré ou fêté les complices du dés'ordre; vous avez tendu la main à l'anarchie, vous avez abusé de la presse, et vous ne voulez plus même aujourd'hui qu'on en use. Vous avez confondu, dénaturé, violé tous les principes, et vous traitez comme criminelle la discussion des príncipes. Oui, l'ordre moral est détruit; mais quels sont les auteurs du chaos intellectuel et politique qui nous environne? »

Trouvant dans les hommes et dans leurs actes, et non dans l'insuffisance des lois, les causes du désordre actuel, M. de Brézé ne croyait pas que la loi en discussion pût être un remède au mal. Elle était présentée par les ministres beaucoup plutôt dans leur intérêt personnel que dans un but d'utilité publique les ministres procéderaient autrement s'ils voulaient améliorer la situation morale.

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⚫ Messieurs, disait l'orateur, si c'est en effet l'ordre moral que les dépositaires du pouvoir veulent rétablir, qu'ils ne viennent pas ajouter aux causes de désordre en augmentant le désaccord des idées et des faits; qu'ils rétablissent au contraire l'unité de principe dans la législation; nous leur dirons: Puisque vous voulez l'ordre moral, rapportez donc la loi qui a pensionné l'insurrection de la Bastille.

Rétablissez le deuil du 21 janvier, afin qu'il soit reconnu que le meurtre d'un roi (car j'éviterai de me servir du mot de regicide employé par M. le rapporteur) est le plus grand attentat contre l'ordre social.

»Ne venez plus demander à la France des tributs pour célébrer les anniversaires des jours qui virent les citoyens armés les uns contre les autres; qu'ils soient des jours néfastes et non des jours de fête.

>> Rendez-nous nos collègues violemnient arrachés de leurs siéges.

» Au lieu de vendre à l'encan les raines de l'église de la rue de Richelieu, dont chaque pierre épandue aujourd'hui dans la fange est un digne monument de l'immoralité de notre époque, offrez aux regards ce souvenir de la douleur de la France! Qui vous dit que le jour même où le nouveau Louvel a conçu la pensée de son crime, il n'a pas passé devant ces ruines éloquentes? » M. le vicomte Dubouchage. Très-bien!

» M. le marquis de Brézé. Ouvrez les portes de Ham; ne retenez pas plus long-temps dans les fers quatre ministres dont la captivité révolte aujourd'hui la conscience publique.

» Vous voulez rétablir l'ordre moral, et vous sentez que la religion seule peut le fonder dans les esprits; vous avez raison: mais alors ne vous contentez pas d'avoir paru pour la première fois depuis cinq ans au pied des autels, car le peuple dirait que vous n'invoquez le secours du Très-Haut que lorsque vos intérêts vous le commandent. Croyez qu'il n'a pas oublié que vous n'aviez point de prières pour lui il y a trois ans, alors que le plus affreux des fléaux le décimait,

» Rétablissez l'image du Christ dans le sanctuaire de la justice, relevez la croix de Saint-Germain l'Auxerrois, et rendez au culte cette basilique de Sainte-Geneviève, qui s'est étonnée des chants profanes dont vous avez fail

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retentir ses voûtes, et où vous avez célébré le premier anniversaire de l'anarchie. »

A ces paroles, de violentes rumeurs éclatèrent dans l'assemblée, et le ministre du commerce, appuyé de plusieurs voix, demanda le rappel à l'ordre. Le président de la Chambre ayant invité l'orateur à s'expliquer, M. de Brézé répéta que l'anniversaire de la révolution de juillet était l'anniversaire de l'anarchie. Aussitôt les cris à l'ordre redoublèrent: M. le comte de Flahault s'écria que c'était insulter le pays et la plus glorieuse des révolutions ; M. le comte de Montalivet soutint que l'anarchie avait été en juillet dans les ordonnances, tandis qu'au contraire l'ordre, le respect pour les lois, la constance dans les devoirs de citoyen avaient été du côté de ceux qui, les armes à la main, avaient défendu la constitution; il appuyait le rappel à l'ordre, qui, réclamé

de toutes parts, fut prononcé par le président.

Après cet incident, assez rare au palais du Luxembourg; M. de Dreux-Brézé, reprenant son discours au point où il avait été interrompu, déclara que toute mesure, telle que le projet de loi qu'il critiquait vivement, ne ferait qu'aug menter le désordre des idées et l'irritation des partis.

En résumé, disait-il, on veut mettre partout la force matérielle à la place de l'ordre moral qui échappé, et qu'on ne peut ressaisir. Une telle marche mène nécessairement à la destruction de la souveraineté du peuple, principe sur lequel repose le gouvernement. Or, songez-y bien, sans la souveraineté du peuple, la révolution de juillet n'est plus qu'un mensonge et un crime.

» Les ordonnances de juillet étaient dans le principe de la Charté de 1814! je les ai blâmées.

» Votre projet est contre l'esprit de la Charte de 1830 : j'ai bien le droit de le combattre et de voter contre lui. »

M. le duc de Coigny, qui peignait aussi sous de sombres couleurs la situation du pays, pensait que les causes du mal étaient dans la succession des révolutions : pour les prévenir, il fallait se rattacher et prêter appui au gouvernement actuel, qui offrait certainement le plus de chances de durée.

• Pour me résumer, messieurs, disait l'orateur, arrêtons chez nous le cours

des révolutions en donnant à notre gouvernement toutes les conditions obligées de son existence; révisons, aussi tôt que possible, encore plus d'une de ces lois adoptées dans ces momens où il serait à désirer qu'on pût toujours se dispenser d'en faire ; restons invariablement dans la Charte, hors laquelle il n'y a plus de salut pour les monarchies ; enfin, malgré quelques torts qu'elle peut avoir, adoptons la loi qu'on nous propose, parce qu'au lieu de violer la Charte, elle donne une nouvelle force aux principes qu'elle consacre, et que, bien loin de tuer la liberté de la presse, elle assure et consolide chez nous son existence, en la tenant elle-même en garde contre ses propres écarts. »

En repoussant le projet de loi, M. le comte de Montalembert déclarait qu'il venait défendre le gouvernement de juillet, menacé dans sa popularité et son honneur, dans sa juste et salutaire influence, par un ensemble de mesures violentes. L'orateur s'élevait surtout en faveur du droit de discussion. En prohibant ce droit aussi absolument, le projet de loi lui semblait attaquer la liberté de conscience, principe et base de l'ordre social, tel qu'il était aujourd'hui constitué. C'était se mettre en opposition avec l'état, avec la tendance du pays; c'était se mettre en désaccord avec la latitude laissée aux discussions religieuses, et avec la pénalité si modérée qui frappait les attentats à la religion; c'était ne pas tenir compte de la diversité d'opinions, qui était la conséquence forcée de tant de révolutions successives; c'était tenter, enfin, une œuvre impossible que de vouloir imposer ainsi une forme de gouvernement comme une religion. Il y avait de grands dangers à s'engager dans une lutte ouverte contre une situation sociale, à chercher à la modifier, à la façonner à sa guise : la chute de tant de gouvernemens en était la preuve.

M.le.comte de Sainte-Aulaire trouvait que de graves fautes législatives avaient été commises depuis 1830. Après un événement de cette nature, il aurait fallu renforcer le pouvoir royal, ajouter aux garanties d'ordre; on avait fait le contraire: on était maintenant obligé de revenir sur ces erreurs. M. de Sainte-Aulaire approuvait entièrement les mesures qu'on proposait pour les réparer. Entreprenant la justification des ministres en même temps que celle du projet de loi, l'orateur ne pensait pas qu'il fût parlementai

rement permis de taxer de coups d'état des lois rendues avec le concours des trois pouvoirs ; il repoussait enfin énergiquement les accusations articulées à l'autre tribune, et qui tendaient à présenter les projets de loi comme des concessions aux étrangers.

Nonobstant ces observations, ce fut encore au ministère plutôt qu'au projet de loi que s'attaqua M. le vicomte Dubouchage. Il rappela que la révolution de 1830 avait été faite, en grande partie, par la presse, à l'occasion de la presse et pour la presse, et que la presse avait été mise sous la garantie formelle de la Charte; il soutint ensuite que les mesures dirigées contre elle n'étaient nécessaires qu'à l'ambition des ministres, qu'à la soif d'arbitraire qui les possédait depuis leur entrée aux affaires, qu'à la facilité qu'ils voulaient trouver dans le maniement du pouvoir, qu'à leur désir de s'y perpétuer.

La clôture de la discussion générale ne devait point mettre fin aux débats, et le projet de loi avait encore à subir les critiques d'un redoutable adversaire. Prenant la parole sur l'article re, M. Villemain, qui jugeait la loi exorbitante et qui pensait que le surcroît suffisant de répression aux abus de la presse aurait pu être obtenu sans les mesures excessives que l'on proposait, se déclarait surtout contre la juridiction de la Chambre des pairs. Suivant l'orateur, en principe, toujours reconnu, de jurisprudence et de législation, les délits de la presse appartenaient à la juridiction du jury, et l'on ne pouvait pas, par un changement de qualification (changement qu'il semblait d'ailleurs impossible de justifier en droit), bouleverser les principes. En outre, l'attribution faite à la Chambre des pairs n'était ni dans l'intérêt du pouvoir, ni dans l'intérêt de la dynastie. « Il ne me paraît pas utile, disait M. Villemain, qu'une dynastie appelée par vœu public, fondée sur le bon sens et l'intérêt national, croie avoir besoin de se protéger par des définitions plus rigoureuses, des peines plus effrayantes que n'en avait invo

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