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Second orateur inscrit contre le projet de loi, M. Pagès résumait ainsi en commençant les motifs qui le déterminaient à le combattre.

« Messieurs, le ministère vous demande, pour la Chambre des pairs, une prison et une salle d'audience provisoires.

» La commission vous demande une salle de séances définitive pour la Chambre des pairs.

>> Sous quelque voile qu'on se déguise, on veut élever un palais à la justice politique.

» L'état de nos finances ne me paraît pas assez heureux pour accroître les changes actuelles.

» Des édifices appartenant à l'état peuvent être momentanément consacrés à la Cour des pairs...

» Les deux plans qu'on vous propose détruiraient l'harmonie, je ne dis pas du plus beau palais, mais du seul palais régulier de la capitale.

» Ainsi, comme question d'art, d'utilité ou de finances, je ne saurais accueillir ni l'une ni l'autre proposition.

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La royauté, suivant l'orateur, avait besoin de la pairie; la pairie avait besoin de dignité; la constituer juge permanent et nécessaire des attentats politiques, c'était la réduire à la condition de Chambre étoilée, c'était compromettre sa renommée. Le projet de loi, qui tendait à ce résultat, tendait, en outre, à engager la Chambre élective.

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«On vous demande bien moins, disait M. Pagès, de vous prononcer sur un monument que sur un procès. En votant la salle, implicitement et à votre insu vous vous formez en chambre d'accusation (exclamation négative au centre), et vous proclamez qu'il y a prévention suffisante contre les inculpés. Si tels n'étaient pas les motifs secrets du vote, il ne saurait avoir de prétexte réel, car vous voteriez un palais qui pourrait être inutile et sans objet. 29: En aplanissant les obstacles matériels que la Cour des pairs pourrait trouver, vous décidez que la Chambre actuelle ne suffit pas au jugement, qu'il la faut plus vaste, et par conséquent vous déclarez qu'à votre avis le nombre des accusés doit être très-considérable. » ́

De plus, la chambre élective se prononcerait implicite, ment par ce vote qu'on lui demandait, contre l'amnistie. Examinant, à son tour cette grande mesure, l'orateur pensait qu'elle était le vou de la majorité, qu'elle était opportune êt propre à donner la plus haute idée de la force et de la stabilité de la royauté. Les amnisties terminaient les révo lutions, annulaient les partis, et consolidaient les gouvernemens en les faisant chefs du pays et non d'un seul parti. Le premier consul avait tendu une main aux républicains et

l'autre aux royalistes, et dès lors son pouvoir avait été fortement assis, Mais le premier consul était l'homme de l'union, tandis que les ministres étaient les hommes de la résistance: ils avaient fait de l'amnistie, non une question de politique, non une question de monarchie, mais une question ministérielle; et, dans son seul intérêt, dans l'intérêt de son système de résistance, pour sa convenance personnelle, le ministère déclarait la mesure impossible. Amené là par son argumentation, l'orateur attaqua' vivement le système ministériel sous sa formule nouvelle de système de la résistance; c'était, d'après lui, un système étroit, égoïste, mesquin, qui isolait le pouvoir, la monarchie, et divisait le pays.

Député de Lyon, M. Fulchiron combatait l'amnistie, au nom de la ville qu'il représentait; ce rôle était triste, il le reconnaissait; mais il le prenait par devoir. Il signalait tous les dangers, toute l'immoralité qu'il y aurait à entraver l'action des lois, à bouleverser les notions du juste et de l'injuste, à compromettre la sûreté du corps social, en assurant l'impunité au crime, en constituant des priviléges pour les crimes les plus horribles dans leurs conséquences, les plus vastes dans leur portée, pour les crimes politiques. Dans la situation actuelle de la France, où une imperceptible minorité se mettait en lutte sanglante contre une immense majorité, l'amnistie n'avait le caractère de nécessité qu'elle pouvait avoir après un conflit entre deux masses de citoyens à peu près égales, après une vraie guerre civile. Cette mesure serait vue avec indifférence par une partie du pays et par l'autre avec inquiétude, avec irritation, avec désaffection peutêtre pour le gouvernement les contrées que les désordres avaient tourmentées, l'Ouest, Paris et surtout Lyon repoussaient l'amnistie.

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*Ses ruines fument encore! s'écriait l'orateur, la poussière de ses démolitions est encore soulevée par les vents; et les auteurs de tant de désastres reviendraient s'asseoir en paix sur ces débris, leur seul, leur unique ouvrage et l'on voudrait qu'à leur aspect, les craintes ou l'indignation pussent cesser! Messieurs,

n'exigeons pas l'impossible. Je le prédis, le résultat de l'amnistie serait, à Lyon, que les fauteurs de désordres, d'émeutes, n'en sauraient aucun gré, et que les bons citoyens, y voyant une preuve de faiblesse, s'éloigneraient d'un gouvernement qu'ils croiraient ne savoir ou ne pouvoir les protéger. »

Si M. Fulchiron tenait ce langage sévère, s'il voulait un jugement, c'était pour maintenir les droits éternels de la justice et de la morale, pour rassurer le pays; il ne demandait pas de victimes; quand les arrêts seraient rendus, quand les principes seraient sauvés, des premiers il invoquerait la clémence royale.

Messieurs, disait-il en terminant, point d'indécision dans notre marche, de cette indécision qui ne remédie à aucun mal, et presque toujours l'augmente, surtout quand on a affaire à des partis violens et fermement résolus dans leur mauvais vouloir, qui recevront vos concessions et ne vous en feront aucune, ainsi qu'ils le déclarent orgueilleusement eux-mêmes. Loin de nous cette politique incertaine et vaporeuse, louable peut-être dans son but, mais le manquant sans cesse parce qu'elle ne tient jamais compte de l'état réel de la société et des passions humaines. Sachons bien ce que nous voulons, et prenons les moyens de l'obtenir. Soyons fermes et nets. N'en doutez pas, nous obtiendrons l'assentiment du pays; car son admirable instinct l'a toujours fait passer, depuis vingt ans, du côté où se sont trouvées la courageuse sagesse et la précision des idées. Je vote pour le projet de loi, »

Ainsi attaquée, l'amnistie trouva dans M. Janvier un apologiste non moins absolu que MM. de Sade et Pagès. Dans l'intérêt de la pairie, dont le palais recevrait une inauguration néfaste; dans l'intérêt de la Chambre élective, sur laquelle on voulait faire peser, par le vote qu'on lui demandait, une solidarité morale; au nom de l'humanité que blesseraient les lenteurs de la construction d'une salle de jugement, l'orateur repoussait le projet de loi, et, combattant les objections de droit que M. Molin avait présentées contre l'amnistie, il soutenait que, puisque les pouvoirs législatifs avaient le droit d'abroger une loi, ils avaient celui d'en suspendre temporairement l'action. Il réfutait ensuite les motifs dont s'appuyaient actuellement les ministres pour s'opposer à l'amnistie : ils l'avaient déclarée praticable trois mois auparavant, ils la déclaraient aujourd'hui impossible; plus tard elle deviendrait nécessaire, mais alors les ministres ne pourraient plus la donner, et ils seraient forcés de quit

ter le pouvoir. M. Janvier pensait que la Chambre, dans sa juste indignation pour des entreprises condamnables, paraissait trop prévenue contre les hommes, et qu'elle ne tenait pas assez compte des circonstances. Les désordres étaient les conséquences des agitations produites dans les esprits par les événemens de juillet, par l'établissement de nouveaux principes; on en faisait des applications téméraires, insensées, parce qu'il n'était pas facile de distinguer les cas où il était permis de recourir à la force. Les hommes qui avaient combattu en 1830 sous le soleil de l'insurrection n'étaient pas habiles à faire ces distinctions. « Depuis, ajoutait l'orateur, cet astre brillant mais fatal a de nouveau rayonné à leur yeux, et ils ont subi des fascinations. >>

30 décembre. La première séance, que termina ce discours, avait été froide et calme : la discussion s'anima davantage dans la séance suivante. Après M. Agier, qui déclara que si, comme homme, il sympathisait avec l'amnistie, il la repoussait à titre de député, parce qu'il la jugeait inconstitutionnelle, propre à amener confusion, désordre et usurpation de pouvoirs, et injuste envers les détenus qui n'étaient encore que prévenus, M. de Lamartine parut à la tribune. Allant au fond du projet de loi, ce nouvel orateur y voyait tout un système, un système obstiné de sévérités inutiles, de perturbations incessantes, un pied de guerre maintenu dans le gouvernement. Le ministère voulait un procès immense, interminable, éternel. M. de Lamartine rassemblait dans un sombre tableau les faits, les incidens, les circonstances morales et matérielles qui se rattacheraient à cette procédure monstrueuse, et s'écriait : « Est-ce là de la civilisation? Est-ce là de la morale? Est-ce là, de la politique?» Dans l'ordre civil et criminel, il pouvait, il devait y avoir des procès, des jugemens:

« Mais dans l'ordre politique, continuait l'orateur au milieu des murmures et des interruptions, mais entre les factions et les factions, entre les gouvernemens et les partis, il n'y a point de procès possible, point de jugement nécessaire, point d'arrêt juste et impartial. Entre ces grands et terribles adver

saires, le procès, c'est la bataille, le jugement, c'est la victoire. (Agitation prolongée.) Y a-t-il un procès nécessaire quand la victoire a prononcé? Y at-il un procès impartial quand on est jugé par les vainqueurs? Y a-t-il un procès juste quand il y a en présence des ennemis et point de juges? (Nouveaux murmures au centre). »

M. Guizot. « Je demande la parole. »

M. de Lamartine. « Non, messieurs, il n'y a plus là qu'une grande et solennelle fiction, une dérision juridique! Aussi, regardez comment l'histoire les ratifie! Supposez qu'au lieu d'être les vainqueurs, nous eussions été les vaincus. (Vive interruption.)

» Supposez que les factions armées, que les Vendéens, que les républicains nous eussent appelés le lendemain de leur victoire devant leurs cours martiales; vous eussiez vu des victimes peut-être, mais des condamnés, mais des juges, mais un véritable procès, vous n'en eussiez point reconnu dans ces parodies judiciaires! Eh bien! la seule différence, quant au procès, c'est que vous êtes les vainqueurs et qu'ils sont les vaincus! »

Refuser le droit d'amnistie constitutionnelle, le droit de pacification, c'était se réduire au droit d'extermination. La Chambre était mise en position, et cette position était magnifique pour une Chambre nouvelle, de se prononcer par le vote qu'elle allait rendre entre deux systèmes de tous temps en présence; celui de la rigueur, de la haine, de la guerre, et celui de la générosité, de l'amour, de la paix: le pays demandait le second, et le ministère le premier; la Chambre avait à opter.

Discutant ensuite la seule opportunité de la mesure, car il ne voulait pas croire que tout le monde ne fût pas d'accord pour la désirer, M. de Lamartine établissait avec une chaleur éloquente que l'amnistie était sans danger, qu'on l'appliquât aux Vendéens, aux républicains, ou aux ministres prisonniers à Ham, parce que ni les uns ni les autres n'étaient redoutables dans l'état du pays. Il réfuta énergiquement les objections tirées des dispositions exceptionnelles de quelques parties de la France. Il s'éleva ensuite contre eet axiome des hommes timides, des esprits étroits on ne gouverne pas un peuple par le sentiment. Les sentimens étaient le mobile le plus puissant avec lequel on pût remuer les masses. L'orateur invitait la Chambre à se défier des légistes, de ceux qui ne voyaient la légalité que dans la chicane: la grande loi, la loi suprême, c'était la politique, et la vraie politique c'était l'humanité.

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