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N° 30.

LORD LYONS AU COMTE DE CRANVILLE.

Paris, lo 7 juillet 1870.

Mylord, dans ma dépêche d'avant-hier, j'ai rapporté à Votre Seigneurie une conversation que j'avais eue dans la soirée avec le duc de Gramont au sujet de l'offre de la couronne d'Espagne au prince Léopold de Hohenzollern.

Dans la soirée, je suis allé à la réception ordinaire de M. Emile Ollivier qui m'a pris à part et m'a parlé longtemps et avec chaleur de cette affaire. Son langage a été en substance le même que celui tenu par M. de Gramont, mais il est entré dans plus de détails et a parlé avec encore plus de précision de l'impossibilité de permettre au prince de devenir roi d'Espagne. L'opinion publique en France, ditil, ne le tolérerait jamais. Tout cabinet, tout gouvernement qui y consentirait serait immédiatement renversé. Quant à lui, on sait bien qu'il n'a jamais été l'ennemi de l'Allemagne. Mais malgré tout son bon vouloir pour les Allemands, il doit avouer qu'il a ressenti ce procédé comme une insulte et qu'il a pleinement participé à l'indignation du public.

M. Emile Ollivier parla alors de la déclaration que devait faire le lendemain le Ministre des Affaires étrangères à la Chambre. J'exprimai l'espoir qu'elle serait modérée, et M. Ollivier m'assura qu'elle serait aussi modérée qu'il était compatible avec la nécessité de satisfaire l'opinion publique en France; mais, en fait, dit-il, notre langage est celui-ci : « Nous ne sommes pas inquiets, parce que nous avons le ferme espoir que la chose n'aura pas lieu; mais si elle avait lieu nous ne la tolérerions pas. »

Après cette conversation, je pouvais difficilement m'attendre à ce que la déclaration serait conçue en termes aussi vifs que l'événement l'a prouvé. Les termes en ont été arrêtés le lendemain matin dans un conseil tenu à Saint-Cloud, sous la présidence de l'Empereur, et, comme Votre Seigneurie le sait, elle a été lue l'après-midi au Corps législatif.

La déclaration, cependant, quelque violente (forcible) qu'elle ait été, ne va pas au-delà des sentiments du pays!

Il est seulement trop évident que, sans considérer jusqu'à quel point les intérêts réels de la France sont en question, le pays a pris

la proposition de placer le prince de Hohenzollern sur le trône d'Espagne pour une insulte et un défi de la part de la Prusse. La blessure faite par Sadowa à l'orgueil français n'a jamais été complétement guérie, néanmoins le temps avait commencé à habituer les esprits à accepter ce qui avait été fait et ce qui ne pouvait être empêché; l'irritation allait en s'apaisant. Maintenant cette malheureuse affaire a ravivé toute l'ancienne animosité. Le gouvernement et le peuple se sont faits également un point d'honneur d'empêcher le prince de porter la couronne d'Espagne. Le gouvernement sent que s'il réussit, il gagnera de la popularité à l'intérieur, en donnant énergiquement satisfaction aux sentiments du pays, et qu'il augmentera son influence à l'extérieur, aussi bien qu'à l'intérieur par un succès diplomatique.

Il n'est pas fâché, en outre, d'avoir l'occasion de tâter l'opinion publique à l'égard de la Prusse. En dernier lieu, il est convaincu qu'il aurait été impossible, avec sécurité de laisser faire ce que le pays aurait regardé comme une nouvelle victoire de la Prusse sur la France.

En suivant cette politique, l'Empereur et ses ministres ont encouru le risque d'engager la fierté de l'Allemagne aussi bien que celle de l'Espagne pour la cause du prince de Hohenzollern et ne se sont réservé aucun moyen de retraite. S'ils ne réussissent pas à prévenir le succès du prince par des moyens pacifiques, ils n'ont, de leur propre aveu, aucune autre alternative que la guerre. J'ai, etc.

N° 31.

Signé : LYONS.

LORD LYONS AU COMTE DE GRANVILLE.

(Extrait.)

Paris, le 7 juillet 1870.

J'ai dit au duc de Gramont cette après-midi que je ne pouvais qu'être inquiet au sujet de la déclaration qu'il avait faite la veille au Corps législatif. Je ne pouvais m'empêcher de penser, ajoutai-je, qu'un langage plus modéré aurait rendu plus facile la tâche de négocier, avec la Prusse et l'Espagne, le retrait des prétentions du prince Léopold de Hohenzollern.

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M. de Gramont me répondit qu'il était très-content que je lui aie fait cette remarque, parce qu'il désirait avoir l'occasion de transmettre à Votre Seigneurie l'explication des raisons pour lesquelles cette déclaration publique a été faite dans des termes aussi positifs. Votre Seigneurie comprendrait parfaitement, il en était sûr, comme ministre dans un pays constitutionnel, l'impossibilité de lutter contre l'opinion publique. Le pays, dit-il, etait si fortement monté sur cette question qu'il était impossible de résister à ses volontés ou d'en faire bon marché. Il m'avait vu à la Chambre lorsqu'il a fait sa déclaration. J'avais donc été témoin moi-même de l'enthousiasme extraordinaire et de l'unanimité avec lesquels l'annonce de la détermination du gouvernement de repousser l'insulte faite à la nation avait été reçue. Il s'était au contraire retenu, sans quoi, il aurait provoqué une explosion encore plus remarquable de sentiment. Maintenant l'indignation, en dehors de la Chambre est également violente, et également générale. Rien de moins de ce qu'il a dit n'aurait pu satisfaire le public. Son discours était, en effet, en ce qui concernait l'intérieur de la France, absolument nécessaire, les considérations diplomatiques doivent céder à la sécurité publique à l'intérieur.

Il ne peut pas non plus admettre que c'était simplement la fierté de la France qui était mise en question. Sa puissance militaire était menacée quel avait été le résultat de mettre le frère du prince Léopold à la tête du gouvernement de Roumanie? Ce petit prince avait immédiatement commencé à rassembler des armes, à former une armée, et, obéissant en tous points aux instructions qu'il avait reçues de Berlin, à préparer un arsenal prussien propre à servir en cas de guerre entre la Prusse et l'Autriche. Ce qui s'était fait sur une petite échelle en Roumanie, serait fait sur une plus grande en Espagne. Le prince de Hohenzollern se ferait un souverain militaire et trouverait moyen de paralyser 200,000 hommes de troupes françaises, si la France était engagée dans une guerre en Europe. Ce serait folie d'attendre jusqu'à ce que le fait soit accompli, et s'il doit y avoir la guerre, il est préférable qu'elle ait lieu tout de suite Le duc de Gramont ajouta que son langage avait été plus modéré à la Chambre que celui qu'il se croyait obligé de tenir en parlant dans son propre cabinet. En effet, dit-il, je suis obligé de vous dire sans réticence que l'avénement du prince de Hohenzollern au trône d'Espagne, c'est la guerre.

Comment, demanda alors M. de Gramont, une si grande calamité pourrait-elle être évitée. Il avouait qu'il s'en fiait beaucoup à cet égard à l'aide du gouvernement de la Russie. En usant de son influence à Berlin et à Madrid, il pourrait ainsi montrer son amitié pour la France et préserver la paix de l'Europe.

En ce qui regarde la Prusse, l'essentiel était de lui faire comprendre que la France ne pourrait se contenter d'une réponse évasive. Les prétextes qui avaient été allégués par l'Autriche, dans le cas du prince Charles, ne seraient d'aucune valeur. Ce serait un enfantillage que d'affirmer que le gouvernement prussien est resté entièrement étranger à toute cette affaire, que le prince de Hohenzollern est majeur et maître de ses actions, que la Prusse ne pourrait l'empêcher de partir pour l'Espagne comme l'avait fait secrètement son frère pour la Roumanie. Il était inadmissible de croire que le roi de Prusse n'avait pas le pouvoir de défendre à un officier de son armée et à un prince de sa famille d'accepter un trône étranger. Telles sont les considérations qu'il serait désirable que le gouvernement de la Reine fit valoir auprès du cabinet de Berlin.

On pourrait rappeler au roi de Prusse dans quelle position misérable se trouverait placé un prince de sa maison qui tenterait d'occuper un trône d'Espagne en opposition à la France. Eh quoi! le gouvernement français n'aurait qu'à se relâcher de sa vigilance sur la frontière et laisser le champ libre aux nombreux carlistes, isabellistes et républicains qu'il tient en ce moment éloignés de l'Espagne. Le gouvernement de Madrid aurait ainsi amplement de quoi à s'occuper, tandis que la France concentrerait toutes ses forces militaires pour une guerre sur le Rhin. Par le fait, il ne manquait pas de raisons qu'une puissance, amie comme l'Angleterre, pourrait faire valoir efficacement, pour décider la Prusse à renoncer à ce malencontreux projet.

C'était, néanmoins, en Espagne que le gouvernement britannique pouvait rendre assistance à la France. Le Régent pourrait être sincèrement convaincu qu'il est de son devoir de se séparer d'une politique qui plongerait l'Espagne dans une guerre civile et briserait la paix de l'Europe. Le Régent pourrait-il, en effet, souhaiter que la réapparition de l'Espagne sur la scène politique fut le signal de ruines et de sang répandu. Pourrait-il désirer que son nom passât à la prostérité comme l'auteur de tous ces maux? Engagez le fortement à empêcher la réunion prochaine des Cortès. De cette façon, l'élection serait empêchée et tout serait arrangé.

Je demandai à M. de Gramont quel était pour le moment l'état de ses rapports avec la Prusse et l'Espagne.

De Prusse, dit-il, il n'avait reçue aucune réponse, et il ignorait encore le résultat des représentations que le baron de Werther s'était chargé de faire au roi à Ems.

Le gouvernement espagnol, d'un autre côté, avait répondu sans façon, qu'il n'était pas surpris que la première nouvelle de l'acceptation de la couronne par le prince de Hohenzollern ait causé quelque émotion en France, mais qu'il espérait que cela passerait et qu'après

réflexion, le gouvernement français admettrait que c'était la solution inévitable de la question espagnole.

No 32.

LORD LYONS AU COMTE DE CRANVILLE:

(Extrait.)

Paris, le 7 juillet 1870.

Le comte de Solms-Sonnenwalde, chargé d'affaires de Prusse en l'absence de l'ambassadeur, le baron de Werther, m'a fait visite peu de temps après mon retour de chez M. de Gramont, et il m'a manifesté la surprise que lui a fait éprouver la déclaration qui a été faite hier au Corps législatif. Il m'a fait observer que le baron de Werther s'était engagé à faire part de l'opinion du gouvernement français au roi de Prusse, à Ems, et qu'il eut été naturel d'attendre le résultat de cette démarche avant de faire une déclaration publique aussi accentuée.

M. de Solms ajouta qu'il n'avait pas de renseignements certains, mais qu'il croyait probable que ni le Roi ni le comte de Bismarck eussent connaissance de l'offre de la couronne d'Espagne faite au prince Léopold, et que sans doute l'arrangement avait eu lieu à Dusseldorff où habite le père du princé. En tous cas, il n'était pas concevable que la Prusse pût avoir un intérêt quelconque à mettre un prince de Hohenzollern sur le trône d'Espagne. Les rapports de parenté de ces Hohenzollern avec la famille royale étaient tellement éloignés qu'il serait assez difficile de les définir.

Je demandai à M. de Solms quelle autorité, comme chef de la maison de Hohenzollern ou comme souverain, le roi de Prusse pouvait exercer sur le prince dans la présente circonstance.

Il me dit qu'il n'en savait trop rien, que certainement le prince Léopold, faisant partie de l'armée, ne pouvait s'en éloigner sans l'autorisation du Roi.

Je fis observer à M. de Solms, que, tout en déplorant toute cette affaire, nous ne pouvions fermer les yeux sur ce fait que les sentiments du peuple français ne permettraient pas maintenant au gouvernement, dáns le cas même où il le voudrait, de consentir à l'élévation du prince Léopold au trône d'Espagne. Ni la Prusse, ni aucune autre nation à ma connaissance, n'avait aucun intérêt réel à faire du prince le roi de l'Espagne; mais toutes les nations étaient sérieusement intéressées à empêcher la guerre, et le pays qui mettrait fin à cette

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