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et importantes complications, spécialement en ce qu'elle affecte les susceptibilités nationales.

En premier lieu, il n'est pas douteux que la France a fait la guerre à l'Allemagne pour un motif frivole. Le verdict du monde et spécialement le verdict des hommes d'État et du public anglais ont unanimement déclaré que l'Empereur des Français est coupable d'avoir rompu la paix de la manière la plus perverse. L'Allemagne, par contre, est entrée dans la lutte avec la conscience d'une bonne cause. Elle a, pour ce motif, été induite à espérer que la neutralité de la Grande-Bretagne, son ancienne alliée contre les agressions napoléoniennes, quoique stricte dans la forme, serait au moins bienveillante en esprit pour l'Allemagne, car il est impossible à l'esprit humain de ne pas se ranger du côté de l'un ou de l'autre parti dans un conflit comme celui-ci. Quelle est l'utilité d'avoir tort ou raison aux yeux du monde, si le public reste insensible aux mérites d'une cause? Ceux qui dénient la nécessité d'une pareille distinction anticipent sur l'appel à l'opinion publique, que nous apprenons tous les jours à considérer comme la première des grandes puissances.

En examinant à ce point de vue si la neutralité de la GrandeBretagne a été en pratique bienveillante vis-à-vis de l'Allemagne, il convient de renverser la question et de la poser en ces termes : Si l'Allemagne avait été l'agresseur, et condamnée conséquemment par l'opinion publique, de quelle façon le Gouvernement et le peuple anglais auraient-ils pu éviter de prendre une part active à la lutte, et prouver en même temps à la France leurs intentions bienveillantes? Les Français, étant à court de charbon, auraient été autorisés à prendre en ce pays tout ce qui leur aurait été nécessaire pour leurs expéditions maritimes.

Leurs préparatifs n'étant pas aussi avancés ni aussi complets qu'ils l'avaient cru au premier abord, les Français auraient trouvé les fabricants d'armes et de munitions de ce pays prêts à leur en fournir, et le Gouvernement britannique disposé à ne pas empêcher qu'ils se procurassent ici tout le matériel dont ils avaient besoin. Ceci, pensons-nous, aurait constitué toute l'assistance que l'Angleterre pouvait accorder à la France sans transgresser la lettre des lois de neutralité existantes, si les rôles d'agresseur et d'attaqué, du droit et du tort, avaient été à l'inverse de la situation actuelle.

En présence des exportations continuelles d'armes, de munitions, de charbons et autres matériaux de guerre; en présence de faits dont le ministre de la Guerre de France se vante ouvertement, et qui ne sont pas déniés par le Gouvernement britannique, il n'est pas nécessaire de prouver que la neutralité de l'Angleterre, loin d'être

impartiale envers la partie qu'elle a déclarée être dans le droit, est, au contraire, telle qu'elle aurait peut-être pu être si cette partie avait été dans le tort aux yeux du peuple et du Gouvernement anglais. Lorsqu'ils défendaient le nouveau << Foreign Enlistment Act » au sein du Parlement, les représentants du Gouvernement déclaraient que cette loi donnait au pouvoir exécutif les moyens d'empêcher l'exportation de la contrebande de guerre, mais que pour la rendre efficace vis-à-vis des belligérants, elle devait être appliquée d'une manière générale et qu'elle affecterait ainsi même le commerce de ce pays avec les autres neutres. Cette déclaration ne peut cependant être admise, car il n'est pas nécessaire d'entraver le commerce avec les pays neutres pour empêcher l'exportation de la contrebande de guerre vers les pays belligérants. Si le Gouvernement avait déclaré que semblable exportation aux belligérants était illégale, elle serait restée une exception, sujette à des pénalités si elle était découverte. Le commerce bonâ fide avec les neutres n'aurait été à aucun degré affecté par là.

pas

Mais le Gouvernement, loin d'en agir ainsi, a même refusé d'accepter les propositions qui auraient pu empêcher l'exportation directe ou clandestine de contrebande de guerre vers la France; en outre, on ne peut admettre que ces mesures prohibitives auraient pu, en réalité, causer aucun dommage aux relations régulières et légales du peuple anglais en général. Elles auraient simplement empêché quelques individus rapaces de méconnaître le verdict de la nation et de réaliser d'énormes bénéfices qui n'auraient jamais légitimement été effectués dans des circonstances ordinaires. L'accroissement rapide des fortunes particulières de quelques trafiquants par de pareils hasards ne peut pas accroître d'une manière appréciable la richesse nationale du pays. Mais, d'un autre côté, la nation sera tenue comme moralement responsable du sang qui est répandu par l'entremise de ces individus. On dira que la guerre aurait fini plus tôt, et que moins de soldats allemands auraient été tués ou blessés, si le peuple et le Gouvernement anglais n'avaient pas toléré de semblables abus.

Il est difficile que l'on prétende sérieusement dire que les Allemands sont libres de soumettre chaque cas spécial à leurs cours des prises, car il serait déplacé de railler ainsi l'Allemagne parce qu'elle n'est pas la maîtresse des mers. La question est de savoir si l'Angleterre peut échapper au juste reproche d'avoir fortement augmenté l'avantage que possédaient déjà les Français sur mer en approvisionnant sa marine des matériaux nécessaires pour attaquer les côtes allemandes et annihiler son commerce, comme aussi d'avoir armé

tance de votre part est désormais inutile. Vous n'avez pas de vivres ; vos munitions sont épuisées; votre armée est décimée.

Il entra alors dans des détails malheureusement trop exacts sur notre situation dans Sedan.

- D'ailleurs, reprit-il, notre artillerie est en batterie tout autour de la ville sur les hauteurs qui la dominent. Elle peut anéantir vos troupes avant qu'elles aient eu le temps d'opérer le moindre mouve

ment.

Il m'offrit alors de faire vérifier les positions de l'armée allemande et de ses batteries par un de mes officiers, et termina par une menace de bombardement, dès le point du jour, si nous ne nous étions pas rendus.

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Malgré la volonté, si nettement exprimée par MM. de Bismarck et de Moltke, de contraindre notre armée à se rendre prisonnière en Allemagne, j'insistai pour qu'elle pût se retirer en France, et j'invoquai, comme précédent, ce qui avait eu lieu autrefois, lors des capitulations de Mayence et de Gênes, pour nos armées, et celle d'Ulm, pour l'Autriche.

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L'engagement de ne pas servir pendant la durée de la guerre, n'est-il pas, ajoutai-je, aujourd'hui comme alors une garantie suffisante?

Peut-être, répondit M. de Bismarck, pourrait-on discuter sur de telles bases si vous aviez un gouvernement durable et solidement établi. Mais êtes-vous sûr d'avoir demain le gouvernement que vous avez aujourd'hui, et pouvez-vous répondre que celui-là ratifiera les conditions. Vous ne le pouvez pas, n'est-il pas vrai, et voilà précisément pourquoi cela ne nous donnerait aucune sécurité.

Mais, répliquai-je, il n'existe pas chez nous de pouvoir assez fort pour obliger des officiers à manquer à leur parole.

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Nous nous en rapportons complétement, dit le comte de Bismarck, à la parole des officiers français, et peut-être sera-t-il possible de leur accorder certains avantages sous l'engagement de ne pas combattre pendant la guerre et de ne pas servir d'instructeurs. Mais ces avantages ne sauraient s'étendre aux soldats. Du reste, nous voulons autant que possible éviter tout ce qui pourrait vous blesser, vous et vos troupes. Vous déposerez vos armes dans les magasins où nous les ferons prendre, et vous n'aurez à vous soumettre à aucune des cérémonies d'usage, à la sortie de la place de Sedan.

Le comte de Bismarck, venant ensuite à parler de la paix, me dit que la Prusse avait l'intention bien arrêtée d'exiger non-seulement une indemnité de quatre milliards mais encore la cession de l'Alsace et de la Lorraine allemande, « seule garantie pour nous, ajouta-t-il,

ARCH. DIPL. 1871-1872. - I.

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«< car la France nous menace sans cesse, et il faut que nous ayons «< comme protection solide, une bonne ligne stratégique avancée. »

Je répondis qu'on obtiendrait sans doute les milliards, mais qu'on ne céderait point une portion de territoire sans une lutte acharnée et que si la France devait y succomber et se voir forcée, pour obtenir la paix, d'abandonner l'Alsace et la Lorraine, cette paix ne serait qu'une trêve durant laquelle, de l'enfant au vieillard, on apprendrait le maniement des armes pour recommencer avant peu une guerre terrible dans laquelle l'un des deux peuples disparaîtrait comme nation de la carte de l'Europe.

- La France, répliqua le ministre du roi Guillaume, ne nous a pas pardonné Sadowa. Quelles que soient les conditions de paix que nous lui accordions, elle ne nous pardonnera pas notre victoire sur elle-même. Elle voudra venger sa défaite, et c'est précisément parce que la lutte devra recommencer que nous devons, dès aujourd'hui, prendre des garanties sérieuses contre vous, si nous voulons que nos succès portent des fruits durables.

C'est une erreur de croire que la France voulait la guerre, répondis-je, elle y a été entraînée par une agitation toute à la surface. Notre nation est plus pacifique que vous ne le pensez, car toutes ses aspirations ont été portées vers l'industrie, le commerce, les arts et peut-être trop vers le bien-être et le luxe; ne la forcez pas à reprendre l'habitude de ses armes. Si vous vous montrez modérés dans la victoire, si vous ne blessez pas sa fibre patriotique par une demande de cession de territoire, vous bornant à exiger une juste indemnité, vous pouvez être assuré que les deux pays vivront dans une paix sincère et durable.

- Après l'effort que l'Allemagne vient de faire, elle en voudrait à la Prusse, si le Roi se contentait de parole et d'argent; elle veut des garanties matérielles qui assurent son repos, car elle ne sera peut-être pas en état de renouveler d'ici à cinquante ans une pareille guerre, nécessitant d'aussi grands sacrifices. Il faut donc, dès aujourd'hui, que vous consentiez à être prisonniers de guerre, ainsi que nous l'avons décidé.

Ou bien, ajouta M. de Moltke, dès demain au point du jour, nous recommencerons le feu,

Quant à moi, répondis-je, général en chef par suite d'un incident de la bataille, je ne puis me résoudre à de pareilles conditions. sans les avoir exposées aux généraux qui commandent l'armée sous mes ordres. Demain à neuf heures, je vous ferai savoir ce que nous aurons arrêté.

Le général de Moltke insista de nouveau pour recommencer le feu

dès le point du jour, si la capitulation n'était pas convenue à l'instant même, mais le comte de Bismarck déclara qu'on pouvait retarder jusqu'à neuf heures du matin.

N° 388.

NOTE SUR L'ENTREVUE DU GÉNÉRAL WIMPFFEN AVEC LE GÉNÉRAL DE MOLTKE ET LE COMTE DE BISMARCK, POUR LA CAPITULATION DE SEDAN (1).

Sedan, le 1er septembre 1874.

Nous fûmes tous introduits alors dans un salon au rez-dechaussée, où nous attendîmes au moins dix minutes l'homme qui devait nous intimer la volonté du roi Guillaume.

Le général de Moltke fit son entrée, accompagné de M. le comte de Bismarck, du général de Blümenthal et de quelques officiers. Après un salut assez sommaire, il demanda au général de Wimpffen s'il avait des pouvoirs, et, sur sa réponse affirmative, il demanda à les vérifier, ce qui fut fait. Le général de Wimpffen présenta ensuite le général Castelnau et le général Faure. Le général de Moltke ayant alors demandé quel était le caractère de ces deux généraux, le général Faure répondit qu'il était venu comme chef d'état-major du maréchal de Mac-Mahon, pour accompagner le général de Wimpfen, mais sans aucun caractère officiel, et le général Castelnau dit qu'il venait apporter une communication verbale et officieuse de la part de l'Empereur, mais que cette commnnication n'aurait son utilité qu'à la fin de la conférence, à laquelle d'ailleurs il n'avait point qualité pour prendre autrement part. Le général de Moltke nomma alors au général de Wimpffen, en les désignant de la main, M. le comte de Bismarck et le général de Blümenthal, et l'on s'assit.

Nous étions placés de la manière suivante Au centre de la pièce, une table carrée avec un tapis rouge; à l'un des côtés de cette table, le général de Moltke, ayant à sa gauche M. de Bismarck et le général de Blümenthal à sa droite; du côté opposé de la table était

(1) Cette note, rédigée par le capitaine d'Orcet du 4 cuirassiers, est publiée dans le livre du général Ducrot, sur la journée de Sedan; elle a été rédigée de mémoire à Stettin pendant la captivité.

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