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le général de Wimpffen seul en avant; derrière lui, presque dans l'ombre, les généraux Castelnau et Faure et les autres officiers français; il y avait, en outre, dans le salon sept ou huit officiers prussiens dont l'un, sur un signe du général de Blümenthal, vint se mettre près de la cheminée, sur laquelle il s'appuya pour écrire tout ce qui se disait.

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Après que l'on se fut assis, il régna un instant de silence, on sentait que le général de Wimpffen était embarrassé pour engager l'entretien, mais, le général de Moltke restant impassible, il se décida à commencer.

« Je désirerais, dit-il, connaître les conditions de capitulation que S. M. le roi de Prusse est dans l'intention de nous accorder. - Elles sont bien simples, répliqua le général de Moltke: l'armée tout entière est prisonnière avec armes et bagages; on laissera aux officiers leurs armes comme un témoignage d'estime pour leur courage, mais ils seront prisonniers de guerre comme la troupe.

« Ces conditions sont bien dures, général, répliqua le général de Wimpffen, et il me semble que par son courage l'armée française mérite mieux que cela.

a Est-ce qu'elle ne pourrait pas obtenir une capitulation dans les conditions suivantes :

a On vous remettrait la place et son artillerie. Vous laisseriez l'armée se retirer avec ses armes, ses bagages et ses drapeaux, à la condition de ne plus servir pendant cette guerre contre la Prusse; l'Empereur et les généraux s'engageraient pour l'armée, et les officiers s'engageraient personnellement et par écrit aux mêmes conditions; puis cette armée serait conduite dans une partie de la France déɔignée par la Prusse dans la capitulation, ou en Algérie pour y rester jusqu'à la conclusion de la paix. Et il ajouta quelques autres développements dans le même sens, paraissant regarder la paix comme prochaine; mais le général de Moltke demeura impitoyable, et se contenta de répondre qu'il ne pouvait rien changer aux conditions. Le général de Wimpffen fit de nouvelles instances; il fit appel d'abord aux sympathies que sa position personnelle pouvait inspirer au général de Moltke: « J'arrive, disait-il, il y a deux jours d'Afrique, du fond du désert, j'avais jusqu'ici une réputation militaire irréprochable, et voilà qu'on me donne un commandement au milieu du combat et que je me trouve fatalement obligé d'attacher mon nom à une capitulation désastreuse dont je suis ainsi forcé d'endosser toute la responsabilité, sans avoir préparé moi-même la bataille dont cette capitulation est la suite. Vous qui êtes officier

général comme moi, vous devriez comprendre toute l'amertume de ma situation mieux que personne; il vous est possible d'adoucir pour moi cette amertume en m'accordant de plus honorables conditions pourquoi ne le feriez-vous pas? Je sais bien, ajouta-t-il, que la plus grande cause de notre complet désastre a été la chute, dès le début de la journée, du vaillant maréchal qui commandait avant moi; il n'aurait peut-être pas été vainqueur, mais il aurait pu du moins opérer une retraite heureuse, etc., etc. Quant à moi, si j'avais commandé dès la veille, je ne veux pas dire que j'aurais mieux fait que le maréchal de Mac-Mahon et gagné la bataille, mais j'aurais préparé une retraite, ou, du moins, connaissant mieux nos troupes, j'aurais réussi à les réunir dans un suprême effort pour faire une trouée. Au lieu de cela, on m'impose le commandement au milieu même de la bataille sans que je connaisse ni la situation ni la position de mes troupes; malgré tout, je serais peut-être parvenu à faire une percée ou à battre en retraite sans un incident personnel qu'il est du reste inutile de relater. » (C'était sans doute une allusion à la confusion d'ordres qui est résultée de ce que le matin le maréchal Mac-Mahon avait remis le commandement au général Ducrot, qui l'avait exercé jusqu'au moment (dix heures du matin) où le général Wimpffen le réclama en vertu d'une lettre du ministre, dont il était porteur.)

Le général de Wimpffen continua encore sur le même thème, mais s'apercevant que le général de Moltke paraissait peu touché de ce plaidoyer personnel, il prit un ton un peu plus vif. « D'ailleurs, dit-il, si vous ne pouvez m'accorder de meilleures conditions, je ne puis accepter celles que vous voulez m'imposer. Je ferai appel à mon armée, à son honneur, et je parviendrai à faire une percée, ou je me défendrai dans Sedan.» (Il faut constater qu'il n'avait pas l'air très-convaincu lui-même de ce qu'il disait.)

Le général de Moltke l'interrompit alors : « J'ai bien, dit-il, une grande estime pour vous, j'apprécie votre situation, et je regrette de ne pouvoir rien faire de ce que vous demandez; mais, quant à tenter une sortie, cela vous est aussi impossible que de vous défendre dans Sedan. Certes, vous avez des troupes qui sont réellement excellentes; vos infanteries d'élite (il voulait dire sans doute les Zouaves, chasseurs à pied, turcos et infanterie de marine) sont remarquables, votre cavalerie est audacieuse et intrépide, votre artillerie est admirable et nous a fait grand mal, trop de mal, mais une grande partie de votre infanterie est démoralisée; nous avons fait aujourd'hui plus de 20,000 prisonniers non blessés >>

<< Il ne vous reste actuellement pas plus de 80,000 hommes. Ce n'est pas dans de pareilles conditions que vous pourrez percer nos lignes, car sachez que j'ai autour de vous actuellement encore 240,000 hommes et 500 bouches à feu, dont 300 sont déjà en position pour tirer sur Sedan. Les 200 autres y seront demain au point du jour. Si vous voulez vous en assurer, je puis faire conduire un de vos officiers dans les différentes positions qu'occupent mes troupes, et il pourra témoigner de l'exactitude de ce que je vous dis. Quant à vous défendre dans Sedan, cela vous est tout aussi impossible; vous n'avez pas pour quarante-huit heures de vivres et vous n'avez plus de munitions. »

Attaquant alors une différente note, le général de Wimpffen reprit d'un ton insinuant : « Je crois qu'il est de votre intérêt, même au point de vue politique, de nous accorder la capitulation honorable à laquelle a droit l'armée que j'ai l'honneur de commander. Vous allez faire la paix, et sans doute vous désirez la faire bientôt; plus que toute autre, la nation française est généreuse et chevaleresque, et, par conséquent, sensible à la générosité qu'on lui témoigne, et reconnaissante des égards qu'on a pour elle; si vous nous accordez des conditions qui puissent flatter l'amour propre de l'armée, le pays en sera également flatté, cela diminuera aux yeux de la nation l'amertume de sa défaite, et une paix conclue sous de pareils auspices aura chance d'être durable, car vos procédés généreux auront ouvert la porte à un retour vers des sentiments réciproquement amicaux, tels qu'ils doivent exister entre deux grandes nations voisines, et tels que vous devez les désirer.

« En persévérant, au contraire, dans des mesures rigoureuses à notre égard, vous exciteriez à coup sûr la colère et la haine dans le cœur de tous les soldats; l'amour-propre de la nation tout entière sera offensé grièvement, car elle se trouvera solidaire de son armée, et ressentira les mêmes émotions qu'elle. Vous réveillerez ainsi tous les mauvais instincts endormis par le progrès de la civilisation, et vous risquerez d'allumer une guerre interminable entre la France et la Prusse. >>

Ce fut cette fois M. de Bismarck qui se chargea de répondre ; il le fit en ces termes :

<< Votre argumentation, général, paraît au premier abord sérieuse, mais elle n'est au fond que spécieuse et ne peut soutenir la discussion. Il faut croire, en général, fort peu à la reconnaissance, et, en particulier, nullement à celle d'un peuple; on peut croire à la reconnaissance d'un souverain, à la rigueur, à celle de sa famille; on peut même, en quelques circonstances, y ajouter une foi entière; mais, je le répète,

il n'y a rien à attendre de la reconnaissance d'une nation. Si le peuple français était un peuple comme les autres, s'il avait des institutions solides, si comme le nôtre, il avait le culte et le respect de ses institutions, s'il avait un souverain établi sur le trône d'une façon stable, nous pourrions croire à la gratitude de l'Empereur et à celle de son fils, et attacher un prix à cette gratitude; mais en France, depuis quatre-vingts ans, les gouvernements ont été si peu durables, si multipliés, ils ont changé avec une rapidité si étrange et si en dehors de toute prévision, que l'on ne peut compter sur rien de votre pays, et que fonder des espérances sur l'amitié d'un souverain français serait de la part d'une nation voisine, un acte de démence, ce serait vouloir bâtir en l'air.

«Et, d'ailleurs, ce serait folie que de s'imaginer que la France pourrait nous pardonner nos succès; vous êtes un peuple irritable, envieux, jaloux et orgueilleux à l'excès. Depuis deux siècles, la France a déclaré trente fois la guerre à la Prusse (se reprenant), à l'Allemagne; et, cette fois-ci, vous nous l'avez déclarée, comme toujours, par jalousie, parce que vous ne pouviez nous pardonner notre victoire de Sadowa, et pourtant Sadowa ne vous avait rien coûté et n'avait pu en rien atteindre votre gloire; mais il vous semblait que la victoire était un apanage qui vous était uniquement réservé, que la gloire des armes était pour vous un monopole; vous n'avez pu supporter à côté de vous une nation aussi forte que vous, vous n'avez pu nous pardonner Sadowa, où vos intérêts ni votre gloire n'étaient nullement en jeu. Et vous nous pardonneriez le désastre de Sedan ? Jamais! Si nous faisions maintenant la paix, dans cinq ans, dans dix ans, dès que vous le pourriez, vous recommenceriez la guerre, voilà toute la reconnaissance que nous aurions à attendre de la nation française! Nous sommes, nous autres, au contraire de vous, une nation honnête et paisible que ne travaille jamais le désir des conquêtes et qui ne demanderait qu'à vivre en paix si vous ne veniez constamment nous exciter par votre humeur querelleuse et conquérante. » (Je ne pus m'empêcher, en entendant ces mots, de songer à ces adroits faiseurs d'affaires qui, après avoir dépouillé quelqu'un, crient plus fort que lui : Au voleur !) « Aujourd'hui, c'en est assez; il faut que la France soit châtiée de son orgueil, de son caractère agressif et ambitieux; nous voulons pouvoir enfin assurer la sécurité de nos enfants, et pour cela il faut que nous ayons entre la France et nous un glacis ; il faut un territoire, des forteresses et des frontières qui nous mettent pour toujours à l'abri de toute attaque de sa part. »

Le général de Wimpffen répondit à M. de Bismarck :

« Votre Excellence se trompe dans le jugement qu'elle porte sur la nation française: vous en êtes resté à ce qu'elle était en 1815, et vous la jugez d'après les vers de quelques poëtes ou les écrits de quelques journaux. Aujourd'hui les Français sont bien différents; grâce à la prospérité de l'empire, tous les esprits sont tournés à la spéculation, aux affaires, aux arts; chacun cherche à augmenter la somme de son bien-être et de ses jouissances, et songe bien plus à ses intérêts particuliers qu'à la gloire. On est tout prêt à proclamer en France la fraternité des peuples. Voyez l'Angleterre! Cette haine séculaire qui divisait la France et l'Angleterre, qu'est-elle devenue? Les Anglais ne sont-ils pas aujourd'hui nos meilleurs amis? Il en sera de même pour l'Allemagne si vous vous montrez généreux, si des rigueurs intempestives ne viennent pas ranimer des passions éteintes ».

A cet instant M. de Bismarck reprit la parole; il avait fait un geste de doute en entendant vanter l'amitié existant, suivant le général de Wimpffen, entre la France et l'Angleterre. « Je vous arrête ici, général; non, la France n'est pas changée, c'est elle qui a voulu la guerre, et c'est pour flatter cette manie populaire de la gloire, dans un intérêt dynastique, que l'empereur Napoléon III est venu nous provoquer; nous savons bien que la partie raisonnable et saine de la France ne poussait pas à la guerre; néanmoins elle en accueilli l'idée volontiers. Nous savons bien que ce n'était pas l'armée non plus qui nous était le plus hostile; mais la partie de la France qui poussait à la guerre, c'est elle qui fait et défait les gouvernements. Chez vous, c'est la populace, ce sont aussi les journalistes (et il appuya sur ce mot), ce sont ceux-là que nous voulons punir, il faut pour cela que nous allions à Paris. Qui sait ce qui va se passer? Peut-être se formera-t-il chez vous un de ces gouvernements qui ne respecte rien, qui fait des lois à sa guise, qui ne reconnaîtra pas la capitulation que vous aurez signée pour l'armée, qui forcera peut-être les officiers à violer les promesses qu'ils nous auraient faites, car on voudra, sans doute, se défendre à tout prix. Nous savons bien qu'en France on forme vite des soldats; mais de jeunes soldats ne valent pas des soldats aguerris, et d'ailleurs ce qu'on n'improvise pas, c'est un corps d'officiers, ce sont même les sous-officiers. Nous voulons la paix, mais une paix durable, et dans les conditions que je vous ai déjà dites; pour cela, il faut que nous mettions la France dans l'impossibilité de nous résister. Le sort des batailles nous a livré les meilleurs soldats, les meilleurs officiers de l'armée française; les mettre gratuitement en liberté pour nous exposer à les voir de nouveau marcher contre nous serait folie; ce serait prolonger la guerre, et l'intérêt de nos peuples

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