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No 38.

LORD LYONS AU COMTE DE GRANVILLE.

Paris, le 8 juillet 1870.

Mylord, le duc de Gramont m'a exprimé cette après-midi la grande satisfaction qu'il avait éprouvée en apprenant une conversation que votre Seigneurie a eue avec le marquis de la Valette. Il m'a chargé de transmettre à votre Seigneurie ses meilleurs remerciements pour les sentiments amicaux que vous avez manifestés envers la France.

M. de Gramont a dit ensuite qu'il n'avait pas encore reçu de réponse de la Prusse et que ce silence empêchait le Gouvernement français de s'abstenir plus longtemps de faire des préparatifs militaires. Quelques mesures dans ce sens ont déjà été prises, et demain les autorités militaires commenceront à travailler sérieusement. Les mouvements des troupes seront arrêtés dans le conseil de cabinet qui doit être tenu à Saint-Cloud demain dans la matinée.

Lorsque je manifestai la surprise et le regret que j'éprouvais en apprenant que le Gouvernement français agissait avec une telle hâte, M. de Gramont insista pour me faire comprendre qu'il ne lui était pas possible d'attendre plus longtemps. Il avait, dit-il, des raisons pour croire, et d'ailleurs les ministres d'Espagne ne le niaient pas, que le roi de Prusse avait eu connaissance des négociations échangées. entre le maréchal Prim et le prince de Hohenzollern, dès le début de l'affaire. Il était donc de la compétence de Sa Majesté, si elle désirait prouver son amitié envers la France, de défendre formellement à un prince de sa maison d'accepter la couronne. Le silence ou une réponse évasive seraient considérés comme l'équivalent d'un refus. On ne pouvait pas dire que la France avait cherché le différend. Au contraire, depuis la bataille de Sadowa jusqu'au présent incident, la France avait montré une patience, une modération et une conciliation d'esprit qui, dans l'opinion d'un grand nombre de Français, avaient été portées trop loin.

Maintenant, quand tout est tranquille, et que l'irritation causée par l'agrandissement de la Prusse se calme graduellement, les Prussiens, en dépit des sentiments et de l'intérêt de la France, cherchent à établir un de leurs princes au-delà des Pyrénées. Cette agression, il est impossible à la France de la tolérer. Il est à désirer sérieusement que le Roi efface l'impression qu'il a causée, et cela en défendant au prince de se rendre en Espagne.

Il y a une autre solution à la question sur laquelle le duc de Gramont m'a prié d'appeler l'attention particulière du Gouvernement de Sa Majesté. Le prince de Hohenzollern pourrait de lui-même abandonner ses prétentions à la couronne d'Espagne. Il aura sûrement accepté l'offre par le désir de faire du bien à son pays d'adoption. Lorsqu'il verra que son accession au trône aurait pour effet d'amener à son nouveau pays une guerre intérieure et une guerre de l'étranger, tout en plongeant dans des hostilités le pays de son berceau et toute l'Europe, il hésitera sûrement à se rendre responsable de telles calamités.

Si cette appréciation de la question lui était soumise, il ne pourrait que comprendre que l'honneur et le devoir exigent de lui qu'il sacrifie la vaine ambition de monter sur un trône sur lequel il serait certain de n'être jamais en sécurité.

Une renonciation volontaire de la part du prince serait, dans l'opinion de M. de Gramont, une solution très-heureuse de questions difficiles et compliquées, et il prie le Gouvernement de Sa Majesté d'user de toute son influence pour l'amener. Je suis, etc.

N° 39.

Signé: LYONS.

M. MERCIER DE LOSTENDE AU DUC DE GRAMONT

(Confidentielle.)

Madrid, le 9 juillet 1870, 40 heures 20 minutes du matin.

Le régent est arrivé. J'ai eu avec lui une très-bonne conversation. Il a trouvé les ministres inclinés à la prudence, et il désire sortir de l'affaire d'une manière convenable. Il pense, comme le maréchal Prim, que le meilleur moyen, puisque la Prusse prétend n'avoir été pour rien dans l'entreprise, ce serait que le roi de Prusse refusât son consentement. Il avoue que l'opinion n'est plus ce qu'elle était au premier moment.

N° 40.

LE DUC DE GRAMONT AU COMTE BENEDETTI, A EMS.

Télégramme.)

Paris, le 9 juillet 1870, 2 heures 27 minutes soir.

Il ne faut pas voir le prince de Hohenzollern : l'Empereur ne veut faire aucune démarche près de lui.

N° 41.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMONT.

(Télégramme.)

Ems, le 9 juillet 1870, 7 heures du matin.

Je suis arrivé hier soir, à onze heures, avec M. de Bourqueney, que j'étais allé attendre à Coblentz. Je dois voir le Roi aujourd'hui ; je suis à la Ville de Bruxelles. Je ne quitterai pas Ems sans y avoir été autorisé par vous.

N° 42.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMONT.

Télégramme).

Ems, le 9 juillet 1870, 10 heures un quart, matin.

Je serai reçu par le Roi entre trois et quatre heures, et je vous télégraphierai en sortant de l'audience.

No 43.

LE DUC DE GRAMONT AU COMTE BENEDETTI, A EMS

Télégramme).

Paris, le 9 juillet 1870, 6 heures 5 minutes soir.

Dans vos conversations avec les membres du gouvernement auprès duquel vous êtes accrédité, veuillez faire remarquer que nous ne

demandons rien qui ne soit conforme aux précédents les mieux établis du droit public européen. Nos principes sont ceux qu'en 1831 les grandes puissances ont fait prévaloir en Belgique à l'égard du duc de Nemours, nommé roi des Belges; qu'en 1862 la France et la Russie ont fait prévaloir en Grèce à l'égard du prince Alfred, élu roi des Hellènes par le suffrage universel; qu'en 1862 l'Angleterre et la France réunies ont fait prévaloir à l'égard du duc de Leuchtenberg, candidat russe au trône de Grèce; que l'empereur Napoléon III a appliqués lui-même spontanément au prince Murat, à l'occasion de sa candidature au trône de Naples. Nous ne comprendrions pas qu'on nous refusât le bénéfice d'une doctrine que les puissances ont déjà acceptée et sanctionnée aussi souvent.

No 44.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMONT.

(Télégramme.)

Ems, le 9 juillet 1870, 1 heure et demie du soir.

Le Roi me fait savoir qu'il me retiendra à dîner après mon audience. Je ne pourrai donc vous en rendre compte que dans la soirée. J'ai reçu la visite de M. de Werther, qui m'a été évidemment envoyé pour me pressentir, ce qui explique l'heure tardive à laquelle le Roi a décidé de me recevoir. J'ai cru devoir saisir l'occasion qui m'était offerte pour indiquer exactement la résolution que nous attendons de la sagesse du Roi, et pour montrer qu'elle doit être immédiate et nette, afin de prévenir de nouveaux incidents qui pourraient aggraver l'état actuel des choses. Je me suis exprimé avec modération, en mettant ma confiance dans les sentiments personnels de S. M.; M. de Werther m'a assuré qu'il n'a, de son côté, rien dissimulé au roi, mais que S. M. ayant été consultée par le prince de Hohenzollern, elle n'avait pas cru pouvoir mettre obstacle à son désir d'accepter la couronne d'Espagne, et qu'il lui est maintenant bien difficile, sinon impossible, de l'inviter à y renoncer. Il est donc constant maintenant que le roi n'a rien ignoré, et qu'il a donné son assentiment. Le langage de M. de Werther me laisse fort incertain sur le succès de la mission que vous avez bien voulu me confier.

No 45.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMONT.

(Télégramme.)

Ems, le 9 juillet 1870, 8 heures du soir.

Le Roi m'a fait demander à l'heure qu'il m'avait indiquée. M'inspirant des considérations développées dans votre dépêche et de celles que m'a suggérées notre entretien, j'ai fait appel à la sagesse et au cœur de S. M. pour la déterminer à conseiller au prince de Hohenzollern de revenir sur son acceptation. Confirmant ce que m'avait dit M. Werther, le Roi m'a appris qu'il avait autorisé le prince Léopold à accueillir la proposition du cabinet de Madrid; mais, comme vous l'aviez prévu, il a longuement insisté sur ce point, c'est qu'il avait été saisi et qu'il était intervenu comme chef de la famille, et nullement comme souverain, et que son gouvernement était resté complétement étranger à cette négociation.

J'ai fait remarquer que l'opinion publique ne se rendrait pas compte de cette distinction, et qu'elle ne voyait dans le prince de Hohenzollern qu'un membre de la maison régnante en Prusse. Le Roi est entré dans d'autres considérations qu'il serait trop long de vous transmettre par le télégraphe, et dont je vous rendrai compte dans un rapport. Il m'a assuré d'ailleurs qu'il s'était mis en commumication avec le prince Léopold et son père pour connaître exactement la manière dont ils envisagent l'émotion provoquée par cette affaire, et régler lui-même sa conduite; il a ajouté que, s'ils étaient disposés à retirer leur acceptation, il approuverait cette résolution; qu'il attendait leur réponse, et qu'il s'expliquerait plus complétement avec moi dès qu'elle lui sera parvenue. J'ai vainement cherché à savoir à quel moment S. M. recevrait cette réponse; le Roi m'a seulement dit qu'il ne pouvait traiter un point si délicat par le télégraphe, en me donnant à entendre toutefois qu'il ne saurait tarder à connaître le sentiment des princes.

Faut-il conclure du langage que m'a tenu le Roi, qu'il a résolu de se conformer à nos voeux, en laissant au prince de Hohenzollern l'initiative de sa renonciation au lieu de la lui conseiller, afin d'éviter ainsi de faire personnellement une concession qui pourrait être sévèrement appréciée en Allemagne, ou bien ne veut-il que gagner du temps pour prendre avant nous des dispositions militaires, et laisser en même temps approcher la convocation des Cortès, afin de soutenir ensuite qu'il convient d'attendre le vote de cette Assemblée ? En ne considérant que son attitude et ce que j'ai recueilli dans son

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