Sivut kuvina
PDF
ePub

Si je ne m'abuse, ce que surtout le Roi ne veut pas, c'est, comme je vous l'ai écrit, d'assumer la responsabilité d'une retraite ou d'une concession qui blesserait le sentiment public en Allemagne, et son intention bien arrêtée est, s'il n'a pas d'autres desseins, de la rejeter tout entière ou de la laisser peser exclusivement sur le prince Léopold et sur son père.

« Au surplus, a repris le Roi, il n'y a pas péril en la demeure, et un jour ou deux jours de retard ne sauraient rien aggraver. Le prince Léopold terminait une excursion en Suisse et en Bavière pendant que le prince son père s'était établi à Sigmaringen, qui n'est sur le parcours d'aucun chemin de fer. Au moment où j'ai reçu les premiers avis de l'émotion qui s'est manifestée en France, le temps a manqué aux deux princes pour se rejoindre, et je n'ai pas eu moi-même celui de connaître leurs dispositions, j'en serai probablement informé ce soir ou demain, et nous pourrons encore aviser d'une manière opportune.

◄— Je ne saurais aujourd'hui, ai-je répondu, plus rien dissimuler au Roi. S. M. est certainement instruite du jugement que le public porte en France sur cette affaire. On s'est persuadé que le gouvernement et ses agents ont été trompés, et que le secret qui a été gardé par nous est la preuve manifeste d'un entente conçue et concertée au préjudice de nos plus précieux intérêts. Cette conviction a réveillée des défiances et une irritation qu'il n'est plus possible de contenir. Pour les dissiper, il faut que les ministres de l'Empereur s'expliquent dès à présent l'attitude des représentants du pays et de la population ne leur permettant pas d'attendre plus longtemps sans s'exposer à des manifestations regrettables, et qu'ils annoncent que le prince Léopold retirera volontairement l'adhésion qu'il a donnée aux ouvertures du cabinet de Madrid. »

Ne dissimulant pas l'impression que mes paroles produisaient sur son esprit, le Roi m'a fait observer que notre insistance, quand il ne réclamait plus qu'un délai très-court pour s'assurer des intentions des deux princes de Hohenzollern, pouvait lui faire penser que nous avions l'intention de provoquer un conflit. J'ai protesté contre cette supposition, et j'ai ajouté que j'offrais au Roi le moyen de s'assurer de nos véritables sentiments, en sollicitant S. M. de nous garantir la renonciation du prince de Hohenzollern. C'est à ce moment que le Roi, comme vous l'aura appris mon télégramme, m'a dit : « Je n'ignore pas les préparatifs qui se font à Paris, et je ne dois pas vous cacher que je prends moi-même mes précautions pour ne pas être surpris. >>

S. M. a essayé plus tard d'atténuer la gravité de ces paroles en cherchant à me prouver qu'elle avait encore une entière confiance ARGH, DIPL. 1874-72-I.

6

dans la paix. « Elle ne sera pas troublée, a dit le Roi, si l'on veut attendre à Paris que je sois en mesure d'y contribuer utilement, en me laissant le temps qui m'est nécessaire. » J'ai répondu que nous n'étions plus nous-mêmes en situation de remettre les éclaircissements que le pays tout entier nous demandait et que nous ne pouvions lui annoncer, sans offenser le sentiment public et sans susciter les plus légitimes récriminations, que le prince Léopold est en voyage, et que le Roi attend son retour pour prendre un parti. « Votre Majesté peut tout prévenir, tout concilier, en me permettant de faire savoir au gouvernement de l'Empereur qu'il ne sera donné aucune suite à l'acceptation envoyée par le prince à Madrid. Je la conjure encore une fois de m'y autoriser. >>

Le Roi m'a répété qu'il ne pouvait céder à mon désir, et il s'est de nouveau retranché derrière les considérations qu'il avait déjà invoquées. S. M. a tenu à m'expliquer l'absence du prince Léopold, et m'a appris qu'au moment où il a adhéré aux pressantes sollicitations du maréchal Prim, il avait été entendu que les Cortès seraient convoquées après un délai de trois mois, et que la combinaison serait seulement rendue publique à l'ouverture de l'Assemblée. Le prince Léopold croyait donc qu'il pouvait s'éloigner sans inconvénient, ne prévoyant pas que le maréchal Prim informerait prématurément notre ambassadeur à Madrid de l'arrangement qu'on venait de conclure.

En faisant remarquer au Roi que tous ces détails n'étaient certes pas de nature à apaiser l'effervescence du public en France, s'ils lui étaient révélés, et que je ne pouvais y voir qu'un motif de plus pour mettre fin, par son intervention personnelle, à ce triste incident, j'ai tenté un dernier effort pour obtenir l'assentiment de S. M. à ma proposition. Vous savez que je l'ai essayé en vain.

Le roi m'a répondu en me demandant de nouveau, et en y mettant une véritable insistance, de vous télégraphier en son nom, sans perdre un instant, qu'il croyait recevoir ce soir ou de nain une communication du prince Léopold, qui doit être arrivé auprès de son père à Sigmaringen et qu'il s'empresserait de me donner une réponse définitive. Je copie mon télégramme, parce que j'ai reproduit, en vous l'expédiant, les termes dont le Roi s'est servi.

Le temps me presse, et je ne puis rien ajouter à ce rapport. Je n'aurais, du reste, à vous soumettre que des considérations qui se présenteront d'elles-mêmes à votre esprit. J'attendrai vos ordres.

Veuillez, etc.

Signé BESEDETTİ.

No 72.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMONT

Télégramme.)

Ems, ce 14 juillet 1870, deux heures et demie soir.

M. de Werther m'annonce qu'il part aujourd'hui même pour Paris. J'ai quelque raison de penser que cette résolution a été prise immédiatement après l'audience que le Roi m'a accordée. L'ambassadeur arrivera demain matin, et s'empressera de vous demander une entrevue. J'ai cru comprendre, d'après ce qu'il m'a dit, qu'il n'a d'autre mission que de chercher à vous démontrer la sincérité des sentiments du Roi, et du désir de S. M. d'arriver à une solution pacifique, sans toutefois faire personnellement une concession qu'il juge incompatible avec sa dignité, ou, en d'autres termes, en laissant peser uniquement sur le prince de Hohenzollern la responsabilité de sa renonciation.

N° 73.

EXTRAIT DE LA SÉANCE DU CORPS LEGISLATIF DU 11 JUILLET 1870.

La parole est à M. le Ministre des Affaires étrangères. (Mouvement général d'attention.)

Le duc de Gramont, ministre des Affaires étrangères. Messieurs, le Gouvernement comprend l'impatience de la Chambre et du pays. Il partage ses préoccupations, mais il lui est impossible de porter à sa connaissance un résultat définitif. Il attend la réponse dont dépendent ses résolutions. (Mouvement divers.)

M. Emmanuel Arago. Je demande la parole.

M. le Ministre. Tous les Cabinets auxquels nous nous sommes

adressés paraissent admettre la légitimité de nos griefs. J'espère être très-prochainement en mesure d'éclairer la Chambre; mais aujourl'hui, je fais appel à son patriotisme et au sens politique de chacun de ses membres pour les prier de se contenter, pour le moment, de ces informations incomplètes. (Vives et nombreuses marques d'approbation.)

M. le président Schneider. - L'incident est clos.

M. Emmanuel Arago. - J'avais demandé la parole. (Exclamations.)

M. le président Schneider.

L'incident est clos. (Oui, oui.) Et je

vous prierai de vouloir bien ajourner ce que vous avez à dire. (Oui, oui ! Très-bien, très-bien !)

[ocr errors]

J'ai une question à adresser à M. le Mi

M. Emmannel Arago. nistre des Affaires étrangères.

M. le Ministre des Affaires étrangères. Vous ne m'avez pas pré

venu.

M. Emmanuel Arago. - Très-désireux, aussi désireux que personne d'une solution qui assurerait la paix européenne, je demande à M. le Ministre des Affaires étrangères si les questions adressées à la Prusse n'ont trait qu'à l'incident spécial (bruyantes exclamations), qu'à l'offre faite par M. le général Prim à ce prince prussien, qu'à l'acceptation éventuelle de la couronne d'Espagne par le prince Léopold de Hohenzollern.

S'il en est ainsi, je crois que l'on doit espérer une réponse satisfaisante, une assurance de paix (rumeurs); mais si les questions sont complexes et de nature à soulever d'autres discussions que l'incident Hohenzollern, nous serions malheureusement obligés de les considérer comme offrant d'autres prétextes à une déclaration de guerre. (Vives protestations sur un très-grand nombres de bancs, interruptions diverses.)

[merged small][ocr errors]

On voit bien que vous avez été ambassadeur à

M. Guyot Montpayroux.

Ce ne sont pas des prétextes; ce sont

des causes légitimes, et trop légitimes.

M. le Ministre des Affaires étrangères se lève pour parler.

Sur un grand nombre de bancs. Non! non ne répondez pas!

M. le président Schneider. - L'incident est clos.

M. Emmanuel Arago. On tirera du silence de M. le Ministre telle conséquence que de raison. (Vives rumeurs.)

No 74.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMMONT.

(Particulière.)

Mon cher ministre,

Ems, le 11 juillet 1870, 3 h. du soir.

M. Daru est arrivé il y a à peine une heure. Je vous expédie M. de Bourqueney. Il vous apporte la copie des deux télégrammes que je vous ai expédiés aujourd'hui, et une dépêche dans laquelle je vous rends compte de mon audience de ce matin. Vous le voyez, je ne ménage ni mon temps ni mes forces, et me désole de ne point réussir. Vous voulez une réponse immédiate et nette; le Roi persiste, malgré tous mes efforts, à me déclarer qu'il ne peut ni ne veut prendre sur lui de donner au prince de Hohenzollern l'ordre de retirer la parole qu'il a envoyée au gouvernement espagnol.

S. M. me laisse deviner, et elle me fait donner à entendre par son entourage, ainsi que vous le répétera M. de Werther, que le prince doit renoncer spontanément à la couronne qui lui a été offerte, et que le Roi n'hésitera pas à approuver sa résolution. Il me dit de plus que la communication du prince ne peut tarder à lui parvenir, qu'il devrait la recevoir demain; mais il se refuse absolument à me donner l'autorisation de vous faire savoir, dès à présent, ce qui équivaudrait à une garantie ou à un engagement, que le prince retirera sa candidature.

J'espère que vous me direz par le télégramme, ce soir ou demain, ce que je dois faire. Si je ne reçois aucun avis, je retournerai demain chez le Roi, et je livrerai ma dernière bataille. Vous verrez, par le langage que je lui ai tenu ce matin, que je ne mesure plus mes observations, en mesurant toujours mes paroles et mon attitude.

Je réclame toute votre indulgence pour ma dépêche. J'ai quitté le Roi à une heure; j'ai dû chiffrer mes télégrammes, et chaque page de ma dépêche a été expédiée dès que je l'avais rédigée. J'ai dû me håter, et employer tous mes jeunes gens à la fois, pour ne pas manquer le départ du train....

Veuillez, etc.

Signé BENEDETTI.

1

« EdellinenJatka »