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« Comment messieurs les ministres entendent-ils faire concorder ensemble ces deux langages si différents avec, d'autre part, les intérêts de l'industrie hongroise et les cordiales relations que nous entretenons avec la France? »

M. Tisza, président du Conseil, a répondu en ces termes :

M. Helfy m'a demandé de répondre le plus tôt possible. Je ne me dissimule pas que dans ma position une réponse n'est pas chose facile (marques d'approbation), car je dois peser les moindres mots de ma réplique et c'est pourquoi je regrette beaucoup, je l'avoue, que l'honorable député n'ait pas eu la bonté de me communiquer l'interpellation quelques heures plus tôt; j'aurais eu peutêtre l'occasion de répondre avec plus de détails que je ne le puis faire maintenant. Je répondrai pourtant, quoique je doive improviser mes paroles.

Je me bornerai naturellement dans ma réponse à m'occuper du fond des choses; mon honorable ami, le ministre du commerce, répondra sûrement aux accusations que M. Helfy a dirigées contre lui, puisque l'interpellation s'adresse à lui également.

M. Helfy nous a rappelé l'interpellation qu'il a faite l'année dernière au mois de mai. Je me la rappelle. Mais j'ai deux remarques à faire à ce sujet : la première, c'est que M. Helfy a déjà abordé, sinon dans son interpellation, au moins dans la réplique qu'il a faite à ma réponse, le sujet qu'il reprend aujourd'hui, la date de 1889 et sa signification. A cela je répondrai aujourd'hui ce que je répondais alors que l'opportunité de cette date regarde la France seule; c'est une affaire intérieure de la France et, précisément parce que nous voulons demeurer avec ce pays en relations d'amitié, je ne me prononcerai pas sur le point de savoir si cette date a été bien ou mal choisie. C'est ce que j'ai dit autrefois, c'est ce que je dis encore aujourd'hui.

Et je répète de même ce que je disais alors, que les industriels sont libres de paraître à l'Exposition, s'ils le veulent, et d'y prendre part; mais j'ai déjà dit qu'ils ne pouvaient compter en aucune circonstance sur une aide matérielle du gouvernement, et un des motifs de mon discours a été le fait qu'une circulaire avait été publiée qui ne reproduisait pas textuellement mes paroles - je ne dis pas qu'on l'ait fait exprès et qui aurait pu tromper les industriels de telle façon qu'ils auraient peut-être cru pouvoir compter sur des secours matériels. Or, le gouvernement ne peut pas, à mon avis, admettre que les industriels se fassent des illusions sur ce point et que, sur de fausses espérances, quelquesuns d'entre eux s'en aillent parader à Paris.

Voici mon autre remarque: j'accorde que le point de vue où je me plaçais en mai a changé, et ce que je ne disais pas alors, je le dis aujourd'hui: tous les industriels demeurent libres d'exposer, mais à celui qui me demandera conseil, je lui conseillerai de ne pas exposer.

C'est précisément cette partie de la question qu'il est très difficile de traiter avec la franchise et les détails convenables. Chacun suit avec attention la tournure des événements politiques.

Une voix à l'extrême gauche : « On nous fait toujours peur de la guerre! »

Je vois qu'il y a de l'orage dans l'esprit de MM. les députés. Je parle très tranquillement et l'on m'interrompt. Comme je l'ai dit, c'est là ce que je répondrais à qui m'interrogerait et voici une de mes raisons: quoi qu'en puisse dire M. Helfy, je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de l'industrie hongroise que quelques industriels seuls exposent, quelque remarquables que soient leurs produits, et que l'on puisse croire que c'est toute l'industrie de la Hongrie que l'on a sous les yeux. (Réclamations à gauche; approbation à droite.) Permettez, il en est ainsi. Je n'ai pas le droit d'interdire la participation à l'Exposition, mais je n'y pousserai pas de mes conseils.

Vous savez, messieurs, qu'il y a encore près d'un an jusqu'à l'ouverture de cette Exposition. Je crois que l'incertitude de la situation politique extérieure a

été affirmée assez souvent par d'autres que par moi, pour que le gouvernement, avant de conseiller à personne d'exposer, avant même de s'abstenir d'exprimer une opinion, qu'il vaut mieux n'en rien faire, considère ce qui pourrait arriver si, malgré notre meilleure volonté, les événements s'embrouillaient encore davantage, ou si la paix générale et la paix de cet Etat avec la France n'étaient pas maintenues comme j'espère qu'elles le seront. Vous savez, en effet, que là-bas les esprits sont souvent agités; et si, contre le vœu du gouvernement et de toute nation, il arrivait que le bien de nos concitoyens éprouvât quelque dommage...

Interruption à l'extrême gauche : « C'est Bismarck qui commande en Hongrie ! »

Je ne sais comment ces mots peuvent s'appliquer à ce que je dis... Je reprends s'il y avait quelque dommage éprouvé ou si une insulte quelconque atteignait le drapeau national que les exposants auraient pu arborer...

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On dit que cela est impossible; c'est donc que M. le député croit pouvoir nous donner plus de garanties que ne le ferait aujourd'hui, je crois, le gouvernement français lui-même.

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Et puisque les interruptions de la Chambre m'y forcent et comme M. Helfy a dit qu'il y avait en tout ceci une injure à la France, je veux pour lui faire une réponse directe et prouver indirectement que nous ne voulons pas offenser la France, et ce pays ne prendra certainement pas mes paroles en mauvaise part - je veux rappeler quels ennuis et quelles réclamations se sont élevés lorsque, sur le sol d'un Etat qui n'est pas lié avec nous seulement par l'amitié, mais aussi par un traité d'alliance, le drapeau national ou mieux les couleurs nationales, dont s'étaient parés des individus qui n'en avaient pas mission, ont été traités d'une façon qui n'était pas convenable.

Ceci peut servir de preuve à cette vérité, que même un gouvernement fort et un Etat où règne un ordre réglé, ne peuvent garantir qu'aucun excès ne sera commis. Chacun peut juger si de pareils événements ne peuvent pas plus facilement encore survenir là-bas.

Messieurs les députés, je ne puis que le répéter, je ne veux pas me laisser entraîner à rechercher si la date de l'Exposition a été bien choisie, car nous sommes en relations amicales avec la France et nous voulons y demeurer. Je le répète, que des industriels aillent séparément à l'Exposition, personne ne peut le leur défendre; mais je déclare, pour les raisons que j'ai indiquées, et que je n'ai pas complètement éclaircies d'ailleurs, si quelqu'un me demande un conseil, je lui donnerai celui de ne pas prendre part à l'Exposition de 1889.

Ensuite le ministre du commerce, le comte Széchenyi, a donné les explications suivantes :

Il rappelle également la circulaire de la Chambre de commerce mentionnée par le ministre-président, ainsi qu'une conférence dans laquelle on a invité les industriels à prendre part à l'Exposition, en ajoutant précisément qu'il ressortait de la réponse du ministre-président, M. de Tisza, que ce dernier désirait voir les exposants hongrois figurer aussi nombreux que possible à l'Exposition universelle de Paris, et qu'on pouvait compter sur un appui matériel de sa part.

« J'ai cherché, ajoute le ministre, à me renseigner sur les dispositions de nos

industriels au sujet de l'Exposition, et cela sans faire trop de bruit. De mes observations il résulte que la plupart de ceux qui ont, à un certain moment, exprimé l'intention de se rendre à Paris l'an prochain, l'ont fait dans la conviction que ce serait là un acte agréable au gouvernement. J'ai cru alors devoir leur déclarer ceci : Il est naturel que le gouvernement n'empêche personne de faire ce qui lui convient, d'ailleurs il n'en a pas le pouvoir; toutefois en ce qui regarde l'Exposition de Paris, je ne cache pas que le gouvernement ne prêtera aucun concours dans la circonstance, d'autant plus que la date de 1889, choisie à dessein, a un caractère politique qui nous oblige à ne pas la considérer comme une Exposition universelle ordinaire. Je voulais ainsi simplement bien faire comprendre aux intéressés qu'ils n'avaient rien à attendre du gouvernement. En France, on connait peu nos industries. Si on ne voit là-bas que quelques photographes et marchands de porcelaines, on croira naïvement que c'est là tout ce que possède la Hongrie en fait d'industrie. »>

M. Helfy a répliqué:

L'an dernier M. le président du Conseil avait promis l'appui qu'il refuse aujourd'hui. Il vient d'esquisser sur la muraille une conflagration européenne pour l'année prochaine. Mais, s'il survient réellement des complications, les industriels pourront réemballer et réintégrer leur magasin. Voulons-nous donc, dans notre hyperloyalisme, surpasser non-seulement l'Autriche, mais encore l'Allemagne elle-même, où Bismarck n'a mis aucun obstacle à la participation à l'Exposition? La réponse du ministre fait peine à entendre et compromettra la Hongrie à tel point que, si j'avais pu la prévoir telle, je me serais abstenu de mon interpellation.

M. Tisza a repris la parole en ces termes :

Il déclare d'abord n'avoir pas dit qu'il ne serait pas possible de maintenir la pais l'année prochaine. Il a seulement parlé de l'éventualité qu'on n'y réussit pas: Je n'ai donc pas, continue-t-il, fait entrevoir que la guerre était inévitable.

Le député Horansky.

Vos paroles n'en sont pas moins préjudiciables.

Vraiment, il est difficile de vous contenter! L'un ne prend pas mes déclarations au sérieux et l'autre trouve que tout ce que je dis est nuisible. Mais chacun agit d'après ses propres convictions. La question ayant été soulevée ici, j'ai dû, quelque délicate qu'elle soit, dire franchement ce que j'en pense. J'aurais manqué à mon devoir en ne parlant pas si ouvertement.

Veuillez donc, une autre fois, messieurs, songer aux conséquences avant de poser des questions. Mais, du moment où vous faites une interpellation, il ne convient pas de dicter au gouvernement ce qu'il doit vous répondre. L'auteur de l'interpellation a rappelé qu'il n'y avait pas en Allemagne d'interdiction à prendre part à l'Exposition. Vous vous référez volontiers, messieurs, au prince de Bismarck, certainement parce qu'il est le plus grand des hommes d'Etat européens vivants.

Une voix à l'extrême-gauche : « Plus grand, en tout cas, que notre ministre. président ».

Certes oui, plus grand que nous tous, croyez-moi, monsieur le député; plus grand que nous qui sommes assis ici, et plus grand que vous aussi qui siégez là-bas.

On a donc dit, d'un côté, que nous faisons tout ce qu'ordonne le prince de Bismarck, et, d'un autre côté, que nous ne faisons que ce que fait le prince de

Bismarck. Qui des uns ou des autres a raison? Le prince de Bismarck nous donne-t-il des ordres ou non? Si nous ne faisons que ce qu'il fait, comment se peut-il que dans cette affaire nous agissions autrement que lui, et s'il nous a donné des ordres, comment est-il possible qu'il suive une autre voie que celle qu'il nous a prescrite? Je répète donc que j'aurais manqué à mon devoir en ne parlant pas avec autant de franchise. J'ai dit ouvertement que j'ai changé d'avis depuis l'année dernière et que, si on me demande s'il faut prendre part à l'Exposition, je répondrai négativement. Quant à savoir si, outre mon changement d'opinion, il s'est produit une modification dans la situation ellemême, c'est là une question à laquelle M. le député peut, s'il veut, répondre lui-même.

La majorité a pris acte de la réponse à l'interpellation et a passé à l'ordre du jour.

Le 2 juin, à la suite des déclarations de M. Goblet (1), MM. Pazmandy, Apponyi et Ugron ont interpellé M. Tisza, pour savoir de quelle nature sont les explications fournies par lui à M. Kalnoky.

L'interpellation de M. Pazmandy était ainsi conçue :

Les explications que M. le comte Kalnoky a données au gouvernement français sont-elles en harmonie avec les propres déclarations du président du Conseil des ministres de Hongrie?

Les journaux ont-ils publié un renseignement exact en annonçant que les explications données par M. de Kalnoky à M. Decrais étaient basées sur des communications de M. le président du Conseil de Hongrie?

Ce dernier ministre trouve-t-il compatible avec les intérêts de la Hongrie que, abstraction faite de certaines phases de la politique extérieure, on porte atteinte, pour quelque motif que ce soit, aux sympathies immuables et durables de la nation hongroise?

Voici le texte de l'interpellation de M. le comte Apponyi :

Considérant que, d'après les déclarations du ministre des affaires étrangères de France, M. le président du Conseil a donné à M. le ministre des affaires étrangères, à Vienne, certains éclaircissements concernant sa réponse à l'interpellation de M. Helfy; et considérant, en outre, que ces éclaircissements se rattachent à une déclaration qui a été faite à la Chambre des députés et dont la Chambre des députés a pris connaissance, je demande si M. le président du Conseil est disposé à faire connaître la teneur de ces éclaircissements à la Chambre.

L'interpellation de M. Ugron avait trait uniquement à une question de droit politique; elle se rapporte à la déclaration de M. de Kalnoky d'après laquelle cet homme d'Etat a, lui seul, autorité pour diriger la politique extérieure de l'Autriche-Hongrie.

M. Tisza a répondu :

La Chambre comprendra que je ne puis improviser ma réponse à trois interpellations me venant de trois côtés différents. Je ne pensais pas avoir à m'occuper encore une fois de cette question; mais puisqu'on m'interpelle, je répondrai par considération pour le Parlement hongrois, mais lorsque j'en jugerai le moment opportun. Je ne ferai aujourd'hui que deux courtes remarques: l'une concerne l'attitude observée par M. le ministre commun des affaires étrangères; M. le

(1) V. ci-après, p. 106.

comte Kalnoky, depuis si longtemps qu'il dirige nos rapports extérieurs, s'est constamment, strictement et fidèlement conformé à la loi XII de 1867 que l'on vient d'invoquer.

En second lieu, je dirai que je n'ai jamais eu l'intention et ne l'ai pas plus aujourd'hui que je ne l'aurai le jour où je répondrai définitivement, - d'injurier une nation avec laquelle nous vivons en paix, comme je l'ai constaté moimême, et avec laquelle nous désirons continuer à l'avenir de vivre en paix. Cette intention a toujours été éloignée de moi. Je ne veux pas plus commettre d'acte injurieux que, selon moi et d'après ma conviction, je n'en ai commis récemment.

-

a dit le ministre

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M. Tisza a répondu, le 13 juin, aux interpellations: Lorsque mon discours eut provoqué dans la presse étrangère des malentendus je ne veux pas les qualifier de fausses interprétations, bien que mes paroles, je dois le dire, n'aient pas été communiquées aux journaux in extenso l'ambassadeur de la République française se rendit auprès du comte Kalnoky et lui demanda ce qui m'avait engagé à tenir un langage par lequel la nation française et son gouvernement devaient se trouver offensés, et si ce langage était conforme aux relations cordiales qui existent entre l'Autriche-Hongrie et la France.

Le comte Kalnoky a répondu que la politique extérieure de la monarchie s'inspire comme tout le monde le sait du désir de maintenir nos bonnes relations avec la France.

Connaissant mes vues à ce sujet, M. de Kalnoky a déclaré que je l'avais avisé par dépêche télégraphique de la surprise que m'avait causée le malentendu provoqué par mes paroles, puisque nous nous trouvons dans des rapports amicaux avec la Republique française et que nous désirons maintenir ces rapports.

A cette occasion, je crus devoir exprimer des regrets de ce que mon discours avait causé en France une si vive émotion, et le comte Kalnoky, conformément à ma déclaration, n'a pu que répéter à l'ambassadeur de France ses regrets au sujet de ce malentendu, qui provoquait les réclamations de M. Decrais.

Tel est le résumé des faits, et, à mon avis, ils suffisent à démontrer que je n'ai fait aucune démarche que MM. les députés pourraient considérer comme humiliante, ou qui pourrait indiquer qu'il existe une scission entre moi et le ministère des affaires étrangères.

Je ferai observer encore que les affaires extérieures de la monarchie sont dirigées, en vertu de la loi de 1867, par le ministre commun des affaires étrangères; mais les pouvoirs de ce dernier sont bornés par l'obligation de s'entendre avec les gouvernements des deux parties de la monarchie.

Tel est l'ordre de choses légal et constitutionnel, et, je le répète, il a été toujours strictement observó de la part du ministère commun des affaires étrangères.

Le député M. Ugron a fait appel à mon patriotisme, en m'invitant à me désavouer moi-même plutôt que d'entrer en contradiction avec mes propres paroles, dans l'intérêt de la patrie. Mais ce n'est pas ainsi que je comprends les choses.

Il peut arriver à un ministre-président que, notamment dans des questions se trouvant en rapport avec la situation extérieure, il fasse une déclaration qui, à son avis, ne saurait être préjudiciable à la monarchie, tandis que cet avis ne serait pas partagé par l'autorité suprême qui dirige la politique extérieure.

Mais, lorsqu'un cas de ce genre s'est produit et que le ministre-président ne partage pas, de son côté, l'opinion des sphères dirigeantes, il ne serait pas juste qu'il persistât dans son opinion à lui, en restant à son poste, au lieu de le résigner au profit de ceux qui sont d'un avis contraire.

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