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TROISIÈME DIVISION.

Admissibilité au criminel de la preuve testimoniale.

177. La preuve testimoniale, nous l'avons déjà dit, ne doit pas être considérée comme exclue ou comme admise en principe, par cela seul qu'on se trouve avoir affaire, ou à la juridiction civile, ou à la juridiction criminelle. Ce n'est pas à la nature du tribunal, c'est à la nature des questions qu'il convient de s'attacher. Partout les conventions doivent être régulièrement constatées par écrit; partout les simples faits peuvent être prouvés par témoins. Il n'y a entre les deux juridictions de différence que du plus au moins, en ce sens que le plus souvent il s'agit de conventions au civil, et de simples faits au criminel.

178. Comment les tribunaux criminels peuvent-ils être saisis de questions relatives à des points pour lesquels la loi n'admet pas la preuve testimoniale? Il ne saurait s'agir du délit même, que l'on peut toujours prouver par témoins devant toutes les juridictions. (C. civ. art. 1348 1o): les éléments non susceptibles de preuve testimoniale ne sont pas constitutifs du délit; ils ne se présentent dans la cause que comme questions préjudicielles. La scission étant dès lors praticable, on s'est demandé s'il y avait lieu à renvoi devant les tribunaux civils pour la solution de la difficulté préalable; par exemple, si, lorsqu'il s'agit de détournement d'effet remis à titre de louage, de dépôt ou de mandat (C. pén. art. 408), l'existence du louage, du dépôt ou du mandat ne peut être établie que devant les tribunaux civils. La fausse persuasion que la preuve testimoniale nue était toujours admissible au criminel, a porté certains auteurs à croire, ainsi que le décidaient la jurisprudence ancienne et même celle des premiers temps qui ont suivi la promulgation du Code, que la juridiction criminelle

doit se dessaisir en pareille hypothèse. La conséquence était logique, puisqu'il n'était pas possible de tolérer la violation, au moyen d'un détour si facile, des règles prohibitives de l'enquête. Mais le point de départ était erroné. Rien n'autorisait à supposer que ces règles fussent propres à la juridiction civile, et dès lors l'inconvénient que l'on voulait prévenir était chimérique. Si le législateur avait admis cette ligne de démarcation entre les deux juridictions, qu'on ne trouve établie nulle part, il aurait dû, dans une foule de cas, suspendre l'action publique, jusqu'à ce qu'on eût statué sur l'action civile. C'est au contraire la suspension de l'action civile, lorsque l'action publique a été intentée, qu'ordonne l'article 7 du Code d'instruction criminelle. La loi, qui investit le même tribunal du droit de prononcer sur l'action publique et sur l'action civile, n'a-t-elle pas visé à prévenir la multiplicité des procédures? Ne doit-on pas toujours, en l'absence de toute dérogation formelle, s'attacher au principe ancien, que nous retrouvons dans le droit romain (voy. notamment le titre de ordine judiciorum, au Code), qui veut que le juge de l'action soit juge de l'exception? Sans doute, nous allons voir qu'il y a de notables restrictions à cette règle; mais ces restrictions ont toujours été signalées, lorsqu'on les a introduites, comme contraires au droit commun (voy. notamment, sur les articles 326 et 327 du Code civil, l'exposé des motifs de M. Bigot de Préameneu et le discours du tribun Duveyrier). Il faudra donc, dans les cas ordinaires, s'en tenir au parti le plus simple, celui de laisser le tribunal criminel juger l'incident, mais en le soumettant pour la preuve aux restrictions auxquelles serait soumis un tribunal civil. Tel est aussi l'avis qui a prévalu dans la jurisprudence, et ce qu'il y a de remarquable, c'est que la cour de cassation, voulant arrêter ses idées sur cette importante question, a approuvé à l'unanimité, avec l'adhésion de Merlin, le

12 novembre 1813, une note rédigée en ce sens '. 179. Les principales exceptions au principe que le tribunal criminel demeure saisi de la question préjudicielle, en se conformant, s'il y a lieu, aux prescriptions du droit civil, sont relatives à la propriété immobilière et à l'état des personnes.

180. Dans la législation romaine, on avait déjà reconnu qu'il ne convient point de trancher d'une manière incidente les questions concernant des droits. réels immobiliers. C'est ainsi que des réclamations qui supposaient implicitement la propriété, alors qu'elle n'était pas constante, étaient repoussées par l'exception, quod præjudicium prædio non fiat (Africain, l. 16 et 1. 18, ff. de exceptionibus). Nos lois n'ont formulé nulle part un principe général de cette nature; mais certains textes paraissent en supposer l'existence, et la jurisprudence, pénétrée de l'importance de la propriété foncière, les a de bonne heure généralisés. La première trace de cette idée se trouve dans la loi du 29 septembre 1791, sur l'administration forestière (tit. xix, art. 12), qui s'exprime en ces termes : «< Si, dans une instance en réparation de délit, il s'élève une question incidente de propriété, la partie qui en excipe sera tenue d'appeler le procureur général syndic du département de la situation des bois, et de lui fournir copie de ses pièces, dans la huitaine du jour où elle aura proposé son exception; à défaut de quoi, il sera passé outre au jugement du délit, la question de propriété demeurant réservée. » Bien que cette loi fût la seule qui posât une règle semblable, la cour de cassation a pensé, avec quelque raison, qu'aucun motif sérieux ne limite cette décision aux matières forestières. Aussi la note de 1813, conforme à sa jurisprudence constante, considère-t-elle la propriété des immeubles

Voy. cette note à la fin du premier volume du Traité de l'action publique et de l'action civile, de M. Mangin, qui jette tant de jour sur ces questions délicates.

comme étant spécialement dans le domaine des tribunaux civils. Plus récemment, le Code forestier a sanctionné cette doctrine, avec quelques modifications, dans l'article 182 ainsi conçu : « Si, dans une instance en réparation de délit ou contravention, le prévenu excipe d'un droit de propriété ou autre droit réel, le tribunal saisi de la plainte statuera sur l'incident, en se conformant aux règles suivantes : L'exception préjudicielle ne sera admise qu'autant qu'elle sera fondée, soit sur un titre apparent, soit sur des faits de possession équivalents, personnels au prévenu et par lui articulés avec précision, et si le titre produit ou les faits articulés sont de nature, dans le cas où ils seraient reconnus par l'autorité compétente, à ôter au fait qui sert de base aux poursuites, tout caractère de délit ou de contravention. Dans le cas de réserve à fins civiles, le jugement fixera un bref délai dans lequel la partie qui aura élevé la question préjudicielle devra saisir les juges compétents de la connaissance du litige, et justifier de ses diligences', sinon il sera passé outre. » L'article 59 de la loi du 15 avril 1829 sur la pêche fluviale reproduit à peu près les mêmes dispositions pour les délits relatifs à la pêche.

Le législateur paraît donc être entré dans la doctrine de la cour de cassation, mais avec de sages tempéraments. Il faut en effet : 1° que le moyen invoqué soit de nature à ôter au fait incriminé tout caractère de délit c'est ainsi qu'on alléguerait vainement le droit de propriété pour se justifier d'avoir troublé une possession annale (C. de cassat. 5 juillet 1828); 2o que ce moyen soit personnel au prévenu: il ne serait pas reçu à établir que l'immeuble sur lequel on l'accuse d'avoir commis un délit, n'appartient pas à la partie adverse, mais à un tiers (C. de cass. 22 mars 1839 et

'Une simple assignation ne suffirait donc pas pour satisfaire au vœu de la loi (cass. 48 septembre 1840).

29 décembre 1843); 3° qu'il y ait un commencement de preuve du droit allégué, résultant soit d'un titre apparent, soit de faits de possession articulés avec précision autrement, tout inculpé prétendrait n'avoir agi qu'en qualité de propriétaire. C'est pour éviter qu'on ne cherche ainsi à gagner du temps, que le législateur prescrit de plus la fixation d'un bref délai pour vider la question préjudicielle, ainsi qu'il le fait en d'autres occasions (voy. notamment C. civ. art. 174, et C. de proc. art. 357).

Il est à remarquer qu'on applique ici le principe reus excipiendo fit actor, en ce que c'est au prévenu à poursuivre l'instance et à faire la preuve de son droit réel devant le tribunal civil. Il s'est toutefois élevé, à cet égard, une difficulté sérieuse pour ce qui concerne les poursuites exercées dans l'intérêt des particuliers. Le texte du Code forestier (art. 189) et de la loi sur la pêche fluviale (art. 68) oblige formellement le prévenu, même dans cette hypothèse, à faire la preuve de son droit devant la juridiction civile. La cour de cassation avait d'abord jugé (rej. 12 août 1837) que c'était là une disposition exorbitante; qu'en dehors des matières forestières et fluviales, c'était au ministère public seul qu'appartenait le droit de rejeter sur le prévenu le fardeau de la preuve, et qu'au cas de poursuites intentées par une partie civile, il y avait lieu à prononcer un renvoi pur et simple, sans rien préjuger sur la charge de la preuve. Si cette distinction était fondée, il faudrait critiquer la législation spéciale qui met, dans tous les cas, le fardeau de la preuve à la charge du prévenu, puisqu'on ne verrait aucune raison pour établir une règle toute particulière dans les matières forestières ou fluviales. Embrassant depuis une doctrine plus rationnelle, la cour de cassation a reconnu que les articles précités ne sont que l'application du droit commun, aux termes duquel le prévenu qui répond: Feci, sed jure feci, doit justifier de la vérité de son allégation.

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