Sivut kuvina
PDF
ePub

l'impulsion centrale. Cette faculté incontestable, bien qu'il importe de n'en user qu'avec sobriété, est tout à fait inadmissible là où il s'agit de la preuve du fait. On sent qu'alors il faut nécessairement ou arriver à une démonstration positive, ou s'abstenir de prononcer.

pro

3. Ainsi appliquée au fait, ce qui lui laisse encore une immense latitude, la théorie des preuves se rattache intimement à la mise en œuvre du droit. Il faut observer, à cet égard, que le droit, comme toutes les sciences qui ne sont pas purement théoriques, renferme deux éléments bien distincts: les principes de fond, qui sont l'objet de la loi : les règles sur la propriété, sur les obligations, etc.; et les moyens d'application, à l'aide desquels ces principes revêtent, pour ainsi dire, un corps l'organisation judiciaire, les formes de cédure, etc. Cette distinction a été assez heureusement formulée par Bentham, lorsqu'il a divisé les lois en lois substantives et lois adjectives. La matière des preuves rentre évidemment dans la seconde de ces catégories. Il ne s'agit plus, en effet, de rechercher quelles seront les conséquences légales de tels ou tels faits, mais bien de reconnaître comment on parviendra à en vérifier l'existence. C'est ce qui est exposé d'une manière bien nette par le jurisconsulte Paul, dans le texte suivant (1. 30, ff. de test. tutel.): « Duo sunt Titii, pater et filius, datus est tutor Titius, nec apparet de quo sensit << testator; quæro quid sit juris? Respondit, is datus est, « quem dare se testator sensit. Si id non apparet, non jus « deficit, sed probatio.» En droit il y a tutelle testamentaire, et si le fait de la nomination d'un tuteur de ce genre était la condition d'une disposition faite par un tiers, la condition se trouverait accomplie. Mais il est impossible d'exécuter la volonté du testateur, faute de pouvoir établir lequel des deux Titius il a eu en vue. Le droit existe, mais on ne peut en administrer la preuve. Si les preuves se trouvent traitées en grande partie dans le Code civil, qui devrait être une loi toute sub

stantive, toute de fond, cela ne tient pas à un système bien arrêté de la part du législateur, mais à une imitation aveugle de Pothier, qui, traitant spécialement des obligations, avait dû examiner en terminant comment on les constate. La place naturelle des preuves était au Code de procédure, sauf, du moins, les cas spéciaux où les règles sur la preuve sont le complément indispensable des règles du fond, ainsi que cela arrive en matière de filiation dans le système de nos lois. En matière criminelle, là où le législateur était dégagé de pareilles préoccupations, il est revenu à l'ordre rationnel. Le Code pénal ne fait que classer les actes punis la loi; tout ce qui concerne les preuves, comme tout ce qui concerne le mode de procéder, est renvoyé au Code d'instruction criminelle.

par

4. Pour asseoir maintenant sur une base solide la classification des preuves judiciaires, il convient de rechercher d'une manière générale comment l'esprit humain arrive à connaître la vérité, c'est-à-dire à percevoir avec clarté les faits internes ou externes. Nous diviserons donc cette introduction en deux parties. Dans la première, nous distinguerons les diverses natures de preuves usitées en toute matière; dans la seconde, nous appliquerons aux preuves judiciaires les principes posés d'abord d'une manière générale.

I. DES DIVERS MODES DE PREUVES EN GÉNÉRAL.

5. Le mot preuve, pris dans le sens le plus large, et c'est ainsi que nous l'entendons ici, désigne tout moyen direct ou indirect d'arriver à la connaissance des faits. Mais on donne souvent à cette expression une signification plus restreinte, lorsqu'on distingue ce qui est évident et ce qui a besoin d'être prouvé. Il y a certains faits qui nous touchent pour ainsi dire immédiatement, que nous percevons sans aucun intermédiaire, dont l'impression sur l'intelligence est aussi vive que celle de la lumière sur l'organe de la vue; il en est

auxquels nous n'arrivons que par l'intermédiaire d'autres faits précédemment perçus, par la voie du raisonnement, qui nous conduit du connu à l'inconnu. Dans le premier cas, la preuve est directe, intuitive; dans le second cas, elle est indirecte, médiate. Cette dernière preuve, étant la seule qui exige de l'intelligence une opération plus ou moins compliquée, est aussi la seule qui reçoive dans le langage vulgaire le nom de preuve.

6. Parlons d'abord de la preuve directe, de l'évidence. Elle peut porter ou sur des faits internes, ou sur des faits externes.

7. L'évidence interne, celle qui nous avertit des faits qui se passent en nous, est la base de toute connaissance, seule base qui résiste au scepticisme. On connaît la première méditation de Descartes, où ce philosophe, assis près d'un poêle en Hollande, se débarrasse successivement de toutes les idées acquises, pour prêter en quelque sorte l'oreille à la voix qui parle au dedans de lui, et réduit toute certitude au fameux axiome je pense, donc je suis. Kant n'a fait que reproduire cette démonstration sous une autre forme, lorsqu'il a établi que toute vérité apparaît à l'homme comme subjective. Sans doute, on peut reprocher à Descartes de s'être attaché trop exclusivement à la pensée, et d'avoir ainsi ouvert la voie aux erreurs de Malebranche et de Spinosa, en ne mettant pas en relief une faculté aussi importante que la volonté. Il eût dû ajouter, pour être complet : Je veux, donc je suis. Mais il n'en a pas moins établi, par sa méthode, les bases de la véritable psychologie. Les faits de conscience, pour employer le langage de la métaphysique moderne, ne sauraient être contestés que par ceux qui pousseraient le doute jusqu'à la folie, qui iraient jusqu'à mettre en question leur propre existence.

8. La seconde espèce d'évidence, moins parfaite, moins directe que la première, c'est celle qui s'attache

aux faits extérieurs, que nous percevons par l'organe de nos sens. L'impression que produisent sur nous ces faits, rentre, sans doute, dans l'évidence interne. La réalité de nos sensations, par exemple du froid ou de la chaleur que nous éprouvons dans telle ou telle circonstance, est tout aussi incontestable que celle de nos pensées et de nos sentiments les plus élevés. Mais, s'il s'agit de constater la cause de nos sensations, la réalité externe du froid ou de la chaleur, ce que Kant appelle la vérité objective, il n'y a plus d'évidence proprement dite. N'est-il pas certain que dans nos rêves il se manifeste à notre esprit les mêmes apparences qui habituellement nous font croire à l'existence d'objets externes, apparences dont nous ne tardons pas toutefois à reconnaître la fausseté? Qui nous assurera que la vie n'est pas un rêve perpétuel? Néanmoins il est un sens dont le témoignage nous trompe beaucoup moins que celui des autres sens : c'est le tact. C'est à ce sens que nous en appelons, lorsque des images trompeuses viennent s'offrir à nous dans le sommeil. Dès que nous voulons nous mettre en contact avec le fantôme qui frappait notre imagination, nous n'éprouvons pas la sensation de résistance à laquelle nous nous attendions, et l'illusion s'évanouit. C'est effectivement la résistance qui nous révèle une force extérieure, opposée à la nôtre, et réagissant contre nos efforts. Toutefois il importe de distinguer entre le toucher actif et le toucher passif. Ce dernier, par cela seul qu'il est passif, ne nous instruit pas plus que les autres sens, et se prête également aux illusions. Souvent, en rêve, nous croyons éprouver un choc ou faire une chute. Quelquefois même à l'état de veille, nous ressentons dans les membres des mouvements semblables à ceux qu'y ferait naître l'impression d'objets extérieurs. Le toucher actif seul met en jeu la volonté de l'homme, et par conséquent, sa personnalité, se posant, pour ainsi dire, à l'encontre des divers corps avec lesquels nous nous

trouvons en contact'. Ainsi, le phénomène de la résistance fait ressortir tout à la fois et notre propre activité, et une force extérieure en lutte avec elle. Nous n'avons sans doute pas la conscience intime de cette force, comme de celle que nous sentons en nous; mais une induction invincible nous persuade que ce qui nous résiste doit avoir une existence propre, distincte de la nôtre. Cette induction est si rapide, si instantanée, qu'elle se confond dans la pratique avec l'évidence même. Et en définitive, s'il peut être permis à certains métaphysiciens idéalistes de nier l'existence des corps, une pareille supposition ne saurait être de mise dans les sciences positives, qui font marcher de front l'évidence interne et l'évidence externe. C'est le cas de dire avec Bacon: « Multa philosophi proponunt « dictu pulchra, sed ab usu remota. »>

9. Mais les faits qu'un homme isolé peut percevoir directement, soit par intuition immédiate, soit par l'organe des sens, ne sont ni bien nombreux comparativement à la masse des connaissances humaines, ni

'Les travaux de M. Maine de Biran sur cet intéressant problème ont été complétés par M. Javary dans son Traité de la certitude, que l'Institut a couronné en 1846. Réfutant la fameuse hypothèse de la statue de Condillac, l'auteur de ce traité s'exprime en ces termes : « Si, en effet, en prenant possession, par l'attention, des phénomènes qui se produisent dans notre être, de manière à les soumettre à l'action personnelle et à les reproduire volontairement, nous ne donnions pas nous-mêmes naissance au développement de cette sphère intérieure qui constitue le moi, nous deviendrions à chaque instant tel ou tel phénomène, en vertu de mille influences dont nous ne soupçonnerions même pas l'existence; nous serions ce que sont les animaux, ce que nous sommes nousmêmes dans le rêve: l'ombre chancelante d'une impuissante individualité, le jouet passif des émotions, des idées flottantes que nous subirions sans pouvoir nous y soustraire, sans pouvoir nous demander même si ce que nous percevons est réel ou non, est en nous ou hors de nous, est soumis à l'action de notre volonté propre ou indépendant d'elle, distinction qui peut seule évidemment fixer les limites de la personnalité. » En l'absence de cette donnée fondamentale de la métaphysique actuelle, on sait que Descartes en était réduit à appuyer uniquement sur la véracité divine la croyance à l'existence des corps, Dieu ne pouvant nous incliner aussi fortement à une des apparences dénuées de fondement.

« EdellinenJatka »