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CHRONIQUE

ALLEMAGNE

La loi contre les socialistes.

La discussion a commencé au Reichstag dans la séance du 27 janvier. Le premier orateur a été M. Singer, député socialiste. Une loi dont l'exécution est confiée à une police arbitraire ne saurait être votée, selon lui, par une assemblée parlementaire. Que cette police emploie les moyens les plus repréhensibles, M. Singer le prouve en citant les cas de Schroeder et de Haupt, en Suisse, et en communiquant au Reichstag un mémoire imprimé conlenant la demande d'explications adressée par les députés Bebel et Singer au chef de la police de Zurich, M. Fischer, au sujet de la conduite de Schroeder et de Haupt, et la réponse de M. Fischer, qui a donné les explications demandées. Or, il résulte de ces explications que Schroeder, Haupt et d'autres encore étaient des agents payés par la police prussienne, qu'ils faisaient de la propagande socialiste, répandaient le journal la Freiheit, et incitaient leurs compatriotes à commettre des délits qu'ils dénonçaient immédiatement à la police de Berlin. Schroder et Haupt ont été en relations avec les anarchistes Stellmacher, Kammerer, Peukert et Neve, el tout permet de supposer que ce sont ceux-là qui ont poussé ceux-ci au crime.

« La police de Berlin, ajoute l'orateur, a organisé tout un système d'agents provocateurs qui préparent les crimes avec lesquels on terrifie la bourgeoisie. Les dispositions de la nouvelle loi sont draconiennes, et ce n'est pas au moment où une guerre européenne est imminente qu'il faut écraser la classe ouvrière, qu'on appellera alors à défendre un gouvernement qui l'opprime. >> (L'orateur est rappelé à l'ordre.)

Voici le texte du questionnaire que les députés Bebel et Singer avaient adressé à M. Fischer, directeur de la police de Zurich :

1° Schroeder se trouvait-il, depuis des années, au service de la police de Berlin et recevait-il un traitement de deux cents et plus tard de deux cent cinquante marks par mois?

20 Touchait-il un traitement sur des mandats délivrés à Berlin par le conseiller d'Etat Krueger et adressait-il ses rapports à l'employé de la police berlinoise, M. Grueder?

3 Lors de la perquisition opérée au domicile de Schroeder, a-t on trouvé chez lui une caisse de dynamite provenant de la fabrique Opladen, dans le district de Dusseldorf, caisse que Schroder aurait reçue des anarchistes Etter et Wubeller?

4o Schroder connaissait-il les anarchistes Stellmacher, Kammerer, Kaufmann, Kannel, etc.? Entretenait-il avec eux des relations intimes et avait-il assisté, en leur compagnie, à une réunion des anarchistes suisses qui eut lieu en automne de l'année 1883, à Zurich?

5° Schroeder a-t-il été mis en rapport avec la police berlinoise par l'anarchiste Kaufmann et ce Kaufmann était-il aussi un agent de cette même police?

6o Schroeder se trouvait-il aussi en relations personnelles avec les anarchistes Peukert et Neve et en correspondance suivie avec l'anarchiste Justus Schwab, résidant à New-York?

7° Schroeder était-il chargé de procurer à la police de Berlin toutes les publications socialistes et anarchistes et de les lui faire parvenir immédiatement, et était-il aussi chargé de surveiller toutes les réunions socialistes et anarchistes et de dénoncer à la police berlinoise toutes les personnes qui assistaient à ces réunions?

8" Dans ces réunions, Schroder excitait-il par ses discours les ouvriers à des actes de violence, disant que c'était là le seul moyen qu'ils avaient pour améliorer leur sort, et leur recommandait-il la propagande par l'action?

Après ces questions relatives à Schroeder, vient le questionnaire suivant, qui concerne Haupt:

1° Haupt se trouvait-il depuis sept ans au service de la police berlinoise et fonctionnait-il à Paris avant d'avoir transporté sa résidence à Genève ?

2o Avait-il reçu à Genève, en 1881, la visite du conseiller de la police Krueger, et, en 1884, celle du conseiller von Hacke, et ces deux personnes lui avaientelles apporté des instructions?

3o Ces deux conseillers n'étaient-ils pas mécontents de lui et ne demandaientils pas de sa part une action plus sérieuse? Krueger ne lui indiqua-t-il pas les moyens de gagner la confiance des Russes et des Polonais résidant à Genève, afin de pouvoir pénétrer chez eux, même pendant la nuit, et le conseiller von Hacke ne lui recommandait-il pas de tâcher de s'introduire dans le milieu des anarchistes?

4 Haupt ne touchait-il pas un traitement d'abord de 100, puis de 125 et 150 marks, et enfin de 200 marks par mois, et ce traitement ne lui était-il pas payé par Krueger qui lui offrit aussi une certaine somme pour qu'il pût entreprendre, à Genève, un commerce?

5 Un conseiller de la police berlinoise n'avait-il pas écrit à Haupt qu'il était bruit d'un attentat contre le Czar, ourdi'à Genève, et qu'il désirait avoir des renseignements à ce sujet?

Le directeur de la police de Zurich, M. Fischer, répondit immédiatement à MM. Bebel et Singer que tous les fails invoqués dans leurs questionnaires étaient

exacts.

Ce questionnaire, ainsi que les réponses de M. Fischer, dont la signature a été légalisée, ont été déposés sur le bureau du Reichstag.

M. de Puttkamer, ministre de l'intérieur, prend la parole en réponse à M. Singer.

« Grâce à la loi existante, dit le ministre, l'Allemagne est demeurée à l'abri des secousses dont les autres pays ont souffert; les excès ont été prévenus, la presse a été contenue dans des limites raisonnables, et l'on a travaillé efficacement à empêcher la propagande de la démocratie socialiste. »

Le ministre nie que le gouvernement ait joué vis-à-vis des socialistes le rôle d'agent provocateur; il reconnaît cependant qu'en Suisse des agents du gouvernement allemand surveillent, moyennant payement, les éléments anarchistes, et cette surveillance n'a pas été sans résultats, puisque la police prussienne a pu faire connaître à temps, à Saint-Pétersbourg, l'attentat qu'on projetait contre le palais d'Hiver.

«Il est fort étrange, ajoute le ministre, que des fonctionnaires suisses donnent, à la simple demande de deux particuliers étrangers, des explications sur une affaire pendante; et je demanderai au chancelier qu'il proteste auprès du gouvernement suisse contre des procédés aussi imprudents,»

Le gouvernement a actuellement entre les mains une loi de défense; il n'en

fera pas à l'avenir, comme il n'en a pas fait par le passé, un usage excessif; mais on reconnaîtra que l'Etat a le droit et le devoir de se défendre contre un parli organisé, qui rêve le bouleversement de l'ordre de choses établi,

La démocratie socialiste s'est placée sur le terrain de la négation de tous les principes; elle ne mérite pas, par conséquent, d'être traitée selon le droit commun. Le parti socialiste est séparé de tout ordre de choses établi; il conduit de lui-même à l'anarchisme, Il n'y a pas de meilleure preuve à l'appui de ce fait que la pétition signée par les socialistes allemands en faveur de la grâce des anarchistes de Chicago, qui n'étaient qu'une bande d'assassins et d'incendiaires. Il est certain que le parti socialiste s'est mis hors la loi et que cette attitude excuse toutes les mesures exceptionnelles prises contre lui, L'Etat est obligé de se mettre à l'abri des épouvantables excès de la démocratie socialiste, La loi actuelle n'est pas une œuvre contraire à l'humanité; le Reichstag, en adoptant le projet de loi, fera, au contraire, acte d'humanité,"

La séance est levée après un discours de M. P. Reichensperger, qui déclare que le centre volera contre la nouvelle loi et contre toute aggravation de l'ancienne loi, mais qui constate aussi que les mœurs des masses deviendront de plus en plus bestiales par la faute de ceux qui ont supprimé la tutelle de l'Eglise,

Dans la séance du 28 janvier, M. de Helldorf, conservateur, a défendu le projet gouvernemental en reproduisant les arguments qu'avait fait valoir la veille le ministre. Il demande cependant qu'on n'applique la loi dans toute sa rigueur que contre les chefs du parti, mais qu'on use d'indulgence pour les nombreux égarés. En terminant, il proteste également contre les agissements des autorités suisses, qui ont répondu aux questions posées par MM. Bebel et Singer.

M. Held, délégué de la Saxe au conseil fédéral, prononce à son tour un discours en faveur du projet de loi dont les dispositions, quelque sévères qu'elles soient, ne lui semblent contraires, ni au droit des gens, ni à l'humanité. A chaque instant, l'orateur est interrompu par les socialistes, et surtout par M. Bebel, que le président rappelle plusieurs fois au calme,

M. Bamberger constate que le langage de M. de Futtkamer prouve que le gouvernement abandonne la loi, au moins en ce qui concerne les dispositions aggravantes qu'on y a ajoutées, On comprend enfin qu'on ne peut établir une lui qui aura pour base des rapports de police. De tout temps la police a cu des agents provocateurs. Ne dit-on pas que le chef de la police, M. Krüger, dépend du ministère des affaires étrangères? S'il en est ainsi, les autres Etats pourront croire que les machinations de la police ont quelque chose de commun avec la politique allemande, et ce ne sera pas à notre honneur.

Le ministre s'est plaint, continue l'orateur, qu'un fonctionnaire suisse ait répondu aux questions de deux députés du Reichstag. Je sais bien que, chez nous, être député ce n'est pas grand'chose; mais, à l'étranger, on s'imagine encore que c'est un honneur. Dès lors, pourquoi un fonctionnaire suisse n'aurait-il pas fourni à deux députés des documents contre des gens qui troublent l'ordre en Suisse et qui exposent ce pays à des difficultés internationales? M. de Helldorf menace la Suisse d'une guerre; il faut espérer que ce ne sera qu'une guerre de tarifs, Aussi faut-il s'attendre à ce que prochainement les droits sur les fromages et les montres suisses soient surélevés.

Un pays comme l'Amérique, conclut l'orateur, combat le socialisme par le droit commun, et obtient de meilleurs résultats que nous avec nos lois draconiennes. Et la Suisse, n'est-elle pas le foyer de tous les éléments socialistes, révolutionnaires et anarchistes? Et cependant le pays joait d'une tranquillité parfaite, Seule, l'Allemagne, si fière de sa force, ne peut rien contre les socia

liste qu'en sacrifiant la liberté. En réalité, on n'a en vue qu'une seule chose : éloigner les chefs du parti du Reichstag où ils sont gênants; et c'est contre eux qu'on a introduit dans la loi le paragraphe qui permettra de les bannir.

M. de Puttkamer, d'un ton irrité, répond que le discours de M. Bamberger lui fait l'effet d'un exercice sur le tremplin pour amuser la galerie. Il est incroyable qu'on traite de cette façon un sujet sérieux qui, depuis des années, préoccupe la nation, l'empereur et les princes confédérés.

Un grand tumulte se produit à ces mots dans l'assemblée. A droite on applaudit, à gauche on interpelle violemment le ministre. Le président agite inutilement la sonnette pour réclamer le silence.

་་

Après une longue interruption, M. de Puttkamer peut continuer. S'adressant aux progressistes, il dit : « Que seriez-vous sans les socialistes?» M. Richter lui répond aussitôt : « Que seriez-vous sans le chancelier?» (Nouveau tumulte.) M. de Puttkamer. Le député Richter demande ce que je serais sans le chancelier. Je n'ai pas d'autre prétention que d'être l'aide et le collaborateur de la politique nationale du chancelier. C'est un honneur pour tout fonctionnaire allemand que de travailler à côté du chancelier, et je continuerai, tant que Dieu me donnera la force et que j'aurai la confiance de l'empereur, à me consacrer à la politique du chancelier.

Le ministre termine en rappelant que M. Bamberger, qui combat aujourd'hui l'article stipulant le bannissement des socialistes, a soutenu, il y a dix ans, la première loi contre les socialistes et a voté, il y a treize ans, pour le bannissement des jésuites.

M. Marquardsen, national-libéral, déclare que son parti votera la prolongation de l'ancienne loi pour deux ans, mais qu'il n'admettra pas les nouvelles dispositions aggravantes, ni surtout l'article sur le bannissement.

M. de Koszielski déclare que les Polonais voteront contre la nouvelle loi, parce qu'ils sont les adversaires de toutes les mesures d'exception.

La troisième séance consacrée à la discussion du projet de loi contre les socialistes, qui a eu lieu le 30 janvier, s'est terminée par le renvoi de ce projet à une commission de 28 membres.

M. Bebel, socialiste, a prononcé un très long discours. Tout d'abord, il constate que M. de Puttkamer n'a pu réfuter aucune des assertions avancées par M. Singer. « Le ministre, ajoute-t-il, nous a reproché d'avoir signé une demande en grâce en faveur des anarchistes de Chicago; mais étaient-ils réellement coupables, ces malheureux? étaient-ils plus coupables que ces Bulgares qui ont détrôné le prince de Battenberg, leur souverain légitime, contre lequel M. de Bismarck a agi comme s'il était un ministre russe et non le chancelier allemand? Y a-t-il une histoire plus sanglante que celle de la domination de la noblesse prussienne? Frédéric-le-Grand n'a-t-il pas appelé l'homicide Catherine son amie? Les assassins du tsar Paul, les comtes de Pahlen et de Bennigsen, ne sont-ils pas restés impunis? Les anarchistes ont-ils fait pis que les bourgeois Jibéraux qui luttaient, de 1830 à 1840, contre la réaction et la féodalité prussiennes ? »>

L'orateur reprend alors les incidents qui se sont passés en Suisse et, comme M. Singer, prouve que Schroeder, Haupt et Peukert étaient des agents à la solde du gouvernement prussien pour provoquer les ouvriers à commettre des crimes et discréditer ainsi le droit d'asile. Un pareil système ne peut que créer des complications internationales et nuire à la réputation de l'Allemagne à l'étranger.

« Rien n'est plus sensible à l'homme, dit l'orateur en terminant, que le bannissement. J'ai déjà subi plus d'une peine, mais aucune ne m'a été aussi pénible

que mon expulsion de Leipzig, où j'avais vécu pendant vingt ans. Devant des juges, je puis me défendre; que puis-je faire devant la police, qui me jette à la porte comme un chien galeux? Le bannissement produira un terrible désespoir; et, finalement, qu'aurez-vous obtenu avec votre loi? Rien. Il arrivera un temps où vous regretterez amèrement d'avoir donné votre assentiment à cette loi maudite. »

M. de Puttkamer se borne à répliquer très brièvement. Il cite, pour prouver que le socialisme fait courir de grands daugers à l'ordre, le procès qui se juge

en ce moment à Posen.

M. de Kardorff déclare, au nom des conservateurs-libres, que l'aggravation de la loi contre les socialistes parait nécessaire, mais que l'article sur le bannissement ne saurait être admis. Il demande qu'une fois pour toutes on s'entende sur la question des socialistes, pour qu'on ne soit pas obligé, tous les trois ans, d'y revenir.

M. Windthorst est d'avis que la loi contre les socialistes, non seulement n'a produit aucun résultat, mais n'a fait que du mal. L'ordre que le gouvernement se vante d'avoir maintenu, n'est qu'artificiel. Si le volcan n'a pas d'éruption, il n'en existe pas moins. La loi a forcé les socialistes à se constituer en sociétés secrètes. Il y aura peut-être un terrible réveil. Ces trois jours de discussion ont fait la plus grande impression sur l'orateur, qui a vu au bord de quel abime on se trouvait. Il faut combattre le socialisme, mais avec des armes honnêtes. Le centre reproduira ses anciennes propositions dans la commission; il demandera la levée du petit état de siège. Si le gouvernement consent à faire cette concession, le centre volera la prolongation de l'ancienne loi pour quelques années; sinon, le centre se divisera en deux parties : l'une refusera la foi, l'autre accordera une prolongation limitée des dispositions existantes, avec l'espoir que le gouvernement profitera de cette période pour rédiger une loi plus conciliante.

Un officier en retraite de l'armée allemande, le major Hinze, député au Reichstag, vient de publier une étude très intéressante. Elle nous apprend quelles vont être, dans les conditions nouvelles, les forces militaires de l'Allemagne.

Voici d'abord les combattants de première ligne, d'après l'ancienne loi :

Hommes.

7 classes d'armée active de 1888 à 1882...

5 classes de landwehr (armée territoriale), de 1881 à 1877... 7 classes d'ersatzreserve exercées (hommes à la disposition de l'autorité militaire), de 1887 à 1881...

1.059.000 598.000

96.000

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L'ancienne loi n'établissait qu'une catégorie de landwehr. La loi nouvelle en crée deux autres, et de ce fait renforce les combattants de première ligne dans l'énorme proportion que voici :

Total des combattants d'après l'ancienne loi....
7 classes de landwehr (2° catégorie), de 1876 à 1870..

3 classes de landwehr (3e catégorie), de 1869 à 1867..

Hommes.

1.753.000

723.000

270.000

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