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qui tenoit les yeux des Anglais ouverts sur tout ce qui pouvoit donner du relief aux Français, empêchèrent l'exécution de mon projet.

Je craignois, en outre, qu'en arborant d'autorité le pavillon, les Anglais, sans même paroître, ne le fissent retirer, avec affront pour la nation. D'ailleurs, ils ont toujours besoin d'argent, ainsi que le nabab de Surate: rien ne les arrête quand il est question de s'en procurer. Ainsi, il y avoit à craindre que la cargaison du Duras ne devînt la proie de leur cupidité. La suite des faits prouvera que je ne me trompois pas alors. Je jugeai donc que, que, n'ayant aucune force en main, il n'y avoit que la conciliation qui pût me faire réussir; encore falloit-il attendre que le commerce du vaisseau le Duras fût à l'abri de toute vexation.

Il y avoit pour lors en rade de Surate deux autres vaisseaux venus de Maurice, la Seine et les Trois-Amis, appartenant à M. de la Rochette, excellentes prises pour les Anglais, si je leur avois fourni le moindre prétexte de s'en emparer sous le nom du nabab.

Je me crus obligé d'attendre, pour faire valoir les droits de la nation, le moment où les biens des Français ne seroient point exposés aux rapines de ces despotes. Je choisis l'instant où le

Duras étoit en relâche à Bombay, et où il n'y avoit plus de vaisseaux français en rade de Surate. Je commençai la négociation en août 1775, d'abord avec le nabab. Ce prince, s'avouant l'esclave des Anglais, répondit, malgré sa propre lettre qui lui fut présentée, qu'il ne pouvoit traiter avec le consul de France, sur cette matière, sans avoir eu auparavant le consentement de Bombay; et il en fallut passer par-là.

Après deux mois de négociations, faites en pure perte, le consul de Bombay m'écrivit, en substance, que l'article du pavillon français arboré à Surate nè se trouvant pas dans le dernier traité de paix, c'étoit à leurs supérieurs en Europe à décider la question, et qu'ils alloient en faire leur rapport, ainsi que des prétentions fondées du consul de France à cet égard. En même temps on fit écrire sous main au nabab, de bien prendre garde à ses démarches avec moi, parce qu'à la moindre complaisance de sa part il seroit déposé de la nababie.

Les Anglais n'avoient rien à craindre de ce côté-là: le nabab de Surate connoissoit trop leur pouvoir et son impuissance, pour s'exposer à perdre sa place, en favorisant les Français. J'envoyai, quelques mois après, toutes ces négocia

tions au ministre : j'eus l'honneur, en même temps, de lui communiquer mes réflexions à ce sujet.

A la fin d'octobre de la même année 1775, le vaisseau le Duras, après avoir été caréné et avoir passé en hivernage tout le temps de la mauvaison-mousson à Bombay, revint à Surate, et le 10 décembre reprit la route de Moka : il avoit pris un fret de douze mille roupies ou environ, que mon crédit lui avoit fait avoir en marchandises de la ville, outre sa propre cargaison. Tous les vaisseaux de Surate, qui avoient manqué leur voyage comme le Duras, se remirent en route pour Moka, à-peu-près dans le même temps.

Le vaisseau le Sévère, armé, comme le Duras, par MM. Bernier, de Rothe et Foucault, étoit attendu à Surate au commencement de janvier 1776: il devoit y déposer, après avoir passé à Mahé, une forte partie de sa cargaison, et y prendre en échange deux mille balles de coton et quatre-vingt mille roupies en espèces. Cet argent comptant étoit destiné à payer le bois de Sandal, qu'il devoit charger en repassant de Surate à Mahé, pour de-là aller en Chine, et de ce dernier endroit faire son retour en Europę.

Le mois de janvier étoit écoulé, et l'on n'a

voit encore à Surate aucune nouvelle du Sévère: Le courtier français me fit part de l'embarras où il se trouvoit pour conserver les deux mille balles de coton achetées pour le vaisseau, suivant la demande que les armateurs m'en avoient fait passer. J'étois dans de grandes inquiétudes

et dans de continuelles alarmes à l'occasion du Sévère, qui, vu ses grandes opérations à faire à Surate, tardoit déjà trop.

Les marchands pressoient fortement le courtier français de leur payer ces deux mille balles de coton, montant à plus de cent mille roupies; et j'allois être obligé de les rendre, faute d'argent: si, dans cette extrémité, je n'eusse fait agir mon crédit sous main, et bien à propos, le Sévère manquoit son voyage de Chine, et il s'en seroit suivi une perte énorme pour les ar

mateurs.

Les poursuites réitérées de ces marchands de Surate, qui ne donnoient aucun relâche au courtier français pour être payés de ces deux mille balles de coton, étoient l'effet des sourdes menées de M. Gambier, chef anglais de cette ville. Son but étoit de faire manquer cette première opération de commerce des Français à Surate pour la Chine; il convoitoit d'ailleurs pour lui-même cette cargaison préparée par mes soins.

Pour se l'approprier, il faisoit courir le bruit

que le vaisseau le Sévère ne paroîtroit jamais à Surate, parce qu'en sortant de Maurice, il avoit pris la route des îles Séchelles, où il étoit péri. Je fis l'impossible pour détruire ces bruits, qui n'avoient aucun fondement; mais le plus difficile étoit d'empêcher que les marchands ne livrassent ces deux mille balles de coton à M. Gambier, dont l'argent étoit tout prêt.

D'un autre côté, le vaisseau le Duras venoit d'emporter pour Moka des marchandises de Surate, qui devoient être remplacées par un chargement de café. Malgré cela, épuisé par les avaries, les pertes de l'Adriana, le voyage. de Moka manqué, la carène, les frais de relâche à Bombay, et la fâcheuse occurrence d'une guerre qui ruinoit tout, l'armement manquoit de fonds pour compléter son retour en Europe.

Dans cette circonstance, aussi critique pour le Duras que pour le Sévère, je négociai si efficacement, que M. Hornby, gouverneur de Bombay, me donna cent soixante mille roupies pour une lettre de change sur les armateurs.

Cette ressource, trouvée si à propos, produisit le double avantage de faire réussir le voyage de la Chine au Sévère, et de procurer au Duras un riche retour en Europe, suivant les intentions des armateurs, qui étoient les

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