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mais à peine est-il engagé, que les Marates font un autre signal qui annonce la paix. Le combat cesse, et l'on voit sortir de l'armée marate des députés qui demandent à parler à Ragouba.

C'étoient plusieurs chefs de l'aréopage marate: ils embrassent Ragouba, auprès de qui on les conduit; et, après quelques minutes d'entretien, ils l'emmènent avec eux au centre de la grande armée. Les Anglais, stupéfaits de cette singulière réconciliation faite sous leurs yeux, redemandent Ragouba. On leur répond qu'il est avec ses parens, et lui-même leur fait dire qu'ils peuvent s'en retourner, parce qu'il va arranger en personne ses affaires avec sa famille. Les Anglais, indignés d'une telle trahison, dont ils s'aperçoivent trop tard, deviennent furieux; ils veulent en tirer vengeance sur-lechamp par le carnage des ennemis.

Mais il n'étoit plus temps : l'armée marate, pendant cette négociation, pacifique en apparence, s'étoit partagée en quatre corps de troupes. Cette évolution, promptement exécutée, tint renfermée au centre cette poignée d'Anglais. M. de Carnak, dupé et pris comme au trébuchet, alloit voir massacrer sous ses yeux ses braves compatriotes, s'il ne leur faisoit promptement mettre bas les armes. Le

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courage, le désespoir, la rage ne pouvoient plus rien; il en fallut passer par-là, et il n'obtint la vie sauve, pour eux et pour lui, qu'en signant Ja promesse humiliante de rendre aux Etats marates tout ce que Ragouba avoit donné aux Anglais, nommément l'île Salcette, et tout ce dont ils s'étoient emparés aussi du côté de Surate et de Baroche. Cet engagement fut scellé par la remise de deux ôtages, envoyés tout dé suite à Ponnah; et les Anglais eurent alors la permission de se retirer à Bombay avec armes et bagages,

C'étoit pour la troisième fois, depuis quatre ans, qu'ils succomboient aux ruses politiques de la cour de Ponnah. Au bout de cinquante jours de leur départ triomphant de Bombay, ils y rentrèrent couverts de honte et de blessures, après avoir perdu la moitié de leur monde et leurs meilleurs officiers: mais rien n'égaloit le dépit qu'ils avoient d'avoir été ainsi joués par Ragouba, qui, par ce stratagême, venoit de leur rendre le change de la paix de Ponnahder.

En effet, depuis cette époque, qu'il ne pouvoit oublier, il cherchoit à se venger d'eux, et à s'en délivrer d'une manière ou d'une autre. Tout sembloit le forcer à prendre ce parti. Au moment de réussir dans ses projets, il s'étoit vu abandonné des Anglais, d'après les ordres

suprêmes de Calcuta. Il n'avoit pu, par ses négociations secrètes auprès de moi, obtenir de la France un secours assuré, ou du moins un réfuge: il n'avoit pas mieux réussi auprès des Portugais, dont il avoit recherché la protection; il avoit manqué Basseine, qu'il avoit cru surprendre; il s'étoit vu obligé de se jeter de nouveau entre les mains des Anglais, sans quoi il tomboit lui-même dans celles des Barabayes, ses ennemis capitaux ; et il venoit enfin d'avoir la mortification de voir avorter ses efforts pour sa réinstallation à Ponnah, qui avoit tout récemment coûté la vie à ses meilleurs partisans, et même à Mourbadada, un des principaux chefs de l'aréopage, qui lui étoit secrètement dévoué. Tant de malheurs l'avoient tout-à-fait dégoûté de ses prétentions au sceptre des Marates, et encore plus des Anglais ses alliés, qui, depuis quatre ans, s'enrichissoient à ses dépens.

Il n'avoit donc fait que paroître se prêter aux flatteuses espérances qu'ils lui donnoient de nouveau; mais dans le fond toutes ses négociations, après tant d'échecs, n'avoient eu pour but que de se réconcilier avec ses parens, et d'en tirer le meilleur parti possible pour son fils adoptif; et c'étoit pour l'exécution de ce projet, tenu secret, qu'il avoit engagé les Anglais à

écouter les propositions de paix que ses parens venoient lui faire lorsque le combat étoit déjà engagé entre les deux armées.

Cette ruse lui réussit pour le moment. Mais en dupant les Anglais, il fut dupé lui-même par Nanapharnis. Ce principal chef de l'aréopage marate sentit bien que, tant que Ragouba existeroit, le Décan seroit toujours en combustion, et lui continuellement exposé à perdre ses biens, sa place et la vie même : il voyoit bien la nécessité de le tirer des mains des Anglais; mais la chose n'étoit pas facile à exécuter. Pour en venir à bout, il falloit donc imaginer un plan de réconciliation : il avoit fait écrire à Ragouba, qui, dans le même temps, cherchoit de son côté à rejoindre ses parens, de venir tout seul à Ponnah, qu'autrement il ne seroit pas reçu; et, pour ôter tout soupçon à Ragouba, il parut ne point adopter ce plan de réconciliation, et ne s'y prêter que forcé, à la pluralité des voix, par les chefs marates, tous fatigués de cette cruelle guerre, qui depuis cinq années dévastoit, au profit des Anglais seuls, les riches Etats du jeune prince régnant.

Ragouba, croyant de son côté tromper les Anglais, qui s'étoient obstinés à vouloir le mener en triomphe à Ponnah, tomba lui-même dans le piége que lui avoit tendu Nanapharnis;

il fut battu par ses propres armes. Etant donc entraîné par ses parens, sous prétexte de négociations pacifiques, de la petite armée des Anglais dans la grande armée marate, il fut sur-le-champ conduit à Ponnah, dont il n'étoit éloigné que de cinq à six lieues. Nanapharnis l'y attendoit; et ce rusé ministre, plus intrigant encore que Ragouba, le fit conduire en lieu de sûreté, tandis que d'un autre côté les Anglais, la rage et le désespoir dans le cœur, s'en retournoient à Bombay, couverts de honte, et dépouillés, par un traité ignominieux, des riches contrées que leur avoit cédées depuis quatre ans leur protégé Ragouba.

La nouvelle de cette grande expédition de Ponnah manquée, celle de la trahison de Ragouba, qui s'étoit échappé de leurs mains, et celle de la honteuse retraite de leurs troupes à Bombay, parvinrent à Surate le 25 janvier 1779. La consternation fut générale, non point dans la ville, car il s'en faut de beaucoup que les Anglais y soient aimés, mais dans leur nation. Le contrat humiliant qu'ils avoient été forcés de signer sous les murs de Ponnah, pour avoir la vie sauve, leur faisoit d'autant plus mal au cœur, qu'ils alloient être contraints, pour faire restitution, d'abandonner leurs bénéfices, et qu'ils voyoient évanouies pour eux les richesses

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