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Je n'ai point oublié le traité que nous avons fait ensemble; et il m'est trop avantageux en toutes façons, pour ne me pas hâter de vous donner de mes nouvelles. Je suis arrivé ici le 4 de ce mois, après cinquante-un jours de navigation. Les vomissemens presque continuels ont été le moindre de mes maux. Malheureusement l'ennui s'est mis de la partie; et je ne connois point de maladie dont les accès soient plus violens. Cependant je ne m'en suis pas laissé accabler; mais, à vous dire vrai, ma patience étoit aux abois, lorsque les minarets de Constantinople se sont présentés à ma vue.

Jamais situation ne fut plus charmante; je ne vous en ferai pas la description (1), vous connoissez le pays mieux que moi. Nous y avons trouvé les affaires de France dans un état pitoyable; M. Dandr*** a tout gâté, et le bon M. de Fontenu s'est donné bien des peines inutiles pour les rétablir: il étoit temps que M. de Villeneuve vînt le relever; j'espère beaucoup de son adresse et de son habileté : la plus grande difficulté sera de se concilier le kiaja, il n'aime pas la nation et le visir ne se conduit que par ses avis ; l'essentiel est de ne pas mollir avec ces gens, qui d'ordinaire ne tremblent que devant ceux qui marquent de la fermeté et du courage. Il est de la prudence pourtant de ne les pas employer hors de saison; MM. les Musulmans sont parfaitement informés que nous ne pouvons ni ne voulons leur faire du mal, le tout est de leur insinuer que nos liaisons avec eux ne sauroient leur être que très avantageuses; mais il faut, avant 'toutes choses, travailler à leur donner une haute idée des forces de la France, et il sera difficile de réussir de ce côté-là, si la campagne prochaine on ne fait pas un exemple mémorable des Tripolains. Vous ne sauriez vous imaginer jusqu'à quel point les prises de ces barbares ont rendu nos armes méprisables.

(1) Voyez l'Appendice, n.o 1.

Le grand visir a bien voulu nous donner audience ce matin: on s'est mis en marche sur les dix heures et demie. Le cortége étoit très-leste et très-nombreux ; je n'étois guère plus avanta geusement monté que le fameux héros de la Manche, et je vous avouerai franchement que bien des Turcs ont perdu un peu de leur gravité, en voyant ma triste figure; je m'en suis bien dédommagé sur un pauvre diable de capucin qui marchoit fièrement à la tête des enfans de langue. Il étoit babillé en drogman; et comme ces pères sont fort bien élevés, il saluoit humblement ducalpas jusqu'aux moindres polissons de sa connoissance qui se rencontroient sur sa route; et alors on apercevoit distinctement la tonsure capucine, qui faisoit le plus plaisant effet du monde. Il ne m'a pas été possible de tenir contre un semblable spectacle; j'en ai ri de tout mon cœur, jusqu'à la porte du grand visir, chez lequel nous sommes entrés sans grande cérémonie. Après la harangue de M. l'ambassadeur, dont je suis très-content, on nous a chassés vilainement de la chambre ; et comme nous ne sortions pas assez vîte, au gré des Turcs, il a été distribué quelques coups de poing, par certains grands bonnets blancs que vous connoissez.

J'avois prévu l'orage; et en homme qui

ne

n'aime point les jeux de mains, je m'étois retiré au centre du bataillon. Maintenant je tiens pour vues toutes les audiences turques qui se feront jusqu'au jour du jugement. Notre ambassadeur est fort satisfait de celle-ci. Mais crois pas devoir en tirer aucune conséquence. Je vous en ai expliqué les raisons: peut-être les choses changeront-elles de face, si les nouvelles de Perse sont véritables. Le parti du prince Thamas se fortifie tous les jours; et les troupes d'Asharf sont beaucoup diminuées depuis que la province de Candahar s'est soustraite à son obéissance. On est persuadé que le grand-seigneur lui enverra un secours considérable : auquel cas le Moscovite se déclarera en faveur de l'héritier légitime; et vous jugez bien que l'empereur ne demeurera pas les bras croisés. La perte d'une bataille pourroit causer ici bien des désordres. Le grand - seigneur est détesté; et bien des gens voient avec chagrin les alliances du grand-visir avec les principaux seigneurs de la Porte. Mais de cela peu me soucie. La politique n'est pas mon fort; et présentement je ne suis occupé que de ce qui fait le sujet de ma mission.

Nous commençons à voir clair, et je me flatte que notre voyage ne sera point infructueux. Cependant je ne puis encore vous rien

marquer de précis. Les gens de lettres ne sont souvent que trop visionnaires; et je ne veux point, par une sotte crédulité, donner lieu aux turlupinades des Mercredis. Dieu sait si notre ami l'abbé me ménageroit. Dans cette vie, il faut conserver ses avantages. Malheur à celui qui lâche le pied devant un poète. Je connois celui-ci; il ne me feroit aucun quartier: pièces de vers, jeux de mots, rien ne seroit oublié; et peut-être auriez-vous la malice de ne pas condamner au feu ceux de ses ouvrages qui le mériteroient le mieux.

Je vois souvent M. Fonseca, qui travaille de bonne foi à nous déterrer ce qui reste de plus précieux en ce pays-ci. D'abord je ne lui ai laissé entrevoir que la moitié de nos desseins. Je m'en défiois. Aussi je suis pleinement rassuré sur son chapitre. Je lui ai remis la lettre de madame la comtesse de Caylus, dont il me parle toujours avec effusion de cœur ; il est sensible à l'honneur de son souvenir, autant qu'il le doit, et il compte demain lui en faire ses très-humbles remerciemens.

Il n'y a pas eu la moindre exécution depuis mon arrivée : un mois plutôt, il y auroit eu bien de quoi contenter ma curiosité; on a einpalé une trentaine de voleurs albanois, qui tous ont souffert la mort avec beaucoup de cons

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