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politesse plus noble, plus aisée, ni une plus grande exactitude sur toutes les bienséances.

>> Sa curiosité et la société des gens de réputation, l'avoient rendu savante malgré elle, quoiqu'ils aient, je crois, toujours été plus occupés de lui plaire que de l'instruire: d'ailleurs, son éloignement pour ce qu'on appelle beaux esprits, répondoit à la beauté naturelle du sien, et à la délicatesse de son goût.

Elle ne mettoit point de rouge, et ne pensoit pas à son ajustement: ce qui peut-être venoit autant de la connoissance qu'elle avoit de ses propres forces, que de son indifférence pour plaire.

»Après qu'on avoit admiré la droiture de son bon sens, par les conversations sérieuses, si on se mettoit à table, elle en devenoit aussitôt la déesse. Alors elle me faisoit souvenir de l'Hélène d'Homère : ce poète, pour faire connoître les effets de sa beauté et de son esprit, feint qu'elle jetoit dans le vin une plante rare, qu'elle avoit apportée d'Égypte, et dont la vertu faisoit oublier tous les plaisirs qu'on avoit eus auparavant. Madame de Caylus menoit plus loin

correspondance étoit assurément ignorée de tous ceux qui ont écrit sur elle, et particulièrement des éditeurs, de ses Lettres et Mémoires; j'en ai la certitude.

qu'Hélène; elle répandoit une joie si douce et si vive, un goût de volupté si noble et si élégant, dans l'ame de ses convives, que tous les âges et tous les caractères paroissoient aimables et heureux; tant est surprenante la force, ou plutôt la magie d'une femme qui possède de véritables charmes!

dire que

>>Je me souviens que mademoiselle de l'Enclos (cette femme devenue si célèbre par son esprit, et plus encore pour avoir su conserver les vertus morales avec des goûts qui communément les excluent), comparoit madame la comtesse de Lafayette, à ces riches campagnes de Beausse, qui rapportent d'excellent froment, et madame de la Sablière, à un joli parterre qui charme les yeux. On peut madame de Caylus joignoit la solidité de l'une aux agrémens de l'autre. Dans les momens de gaîté, son imagination ressembloit aux délicieux jardins de Trianon, surtout, quand au printemps, la terre s'y couronne de fleurs ; et son discernement a toujours été si éclairé, que, si elle se trompa jamais, ce ne fut que par sentiment, source la plus douce et la plus excusable de toutes les er

reurs.

La douleur et la mort nous l'ont enlevée, dans le temps que ses vertus s'augmentoient, sans rien ôter à ses agrémens. Elle seule, en cet évé

nement funeste, a conservé la fermeté d'une belle ame, et cette douceur céleste qui avoit fait le charme de sa personne, pendant tout le cours de sa vie.

» Nous ne la verrons plus, mais nous l'aimerons, nous la regretterons toujours; et au lieu de fleurs, nous répandrons des larmes sur un si cher et si précieux tombeau » !

Il n'est personne qui ait mieux senti et mieux exprimé, peut-être, la douleur qu'inspiroit la mort de cette comtesse, que M. l'abbé Conti noble Vénitien, dans une lettre qu'il écrivoit au comte de Caylus; cette lettre est la dernière d'une Correspondance curieuse, que je vais publier.

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Venezia, le 5 maggio 1729.

M. LE COMTE "

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Il y avoit quinze jours que je n'osois vous écrire, je craignois le coup fatal que la dernière lettre de M. Biar m'avoit annoncé, c'est en vain que je me flattois que votre silence pourroit avoir une autre cause que ce grand malheur; l'ambassadeur Canal l'avoit mandé à ses amis mais personne n'osoit m'en rien dire. La dame Religieuse, cousine de l'ambassadeur, m'en fit entrevoir quelque chose; ses paroles me cau

sèrent une grande inquiétude: on se flatte toujours dans les dernières extrémités, et j'eus la force de suspendre mes larmes pour quelques momens; mais à la vue du cachet noir de votre lettre, je perdis la parole, et je n'eus pas le courage de l'ouvrir.

>> Enfin il le fallut, et comme les grandes douleurs étourdissent l'esprit, je ne savois ce que je lisois; mais ayant lu votre lettre deux ou trois fois à ma sœur, à ma nièce, à mon cousin, et à tous ceux qui prenoient tant d'intérêt à la santé de madame votre mère, j'ai commencé à pleurer, et je pleure encore en vous écrivant; je ne puis me consoler, et ne prétends pas vous consoler vous-même; l'esprit, comme vous dites est bien foible auprès des sentimens du cœur. Une épingle qui nous pique, nous fait jeter des cris, malgré tous les efforts de la philosophie. Pensez-vous que l'on puisse s'empêcher de se plaindre et de pleurer, quand on perd tout?

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»Je puis vous assurer, sans la moindre exagération, que je ne serois pas aussi désespéré que je le suis, si j'avois perdu toute ma famille ensemble: je m'imaginerois toujours que ce seroit des pertes que je pourrois réparer par mes réflexions ; mais, dans le cas présent, toutes les réflexions me sont ôtées, ou toutes mes réflexions ́ne font qu'augmenter le désespoir d'avoir perdu

ce qu'il y avoit de plus aimable dans le monde; j'ai beau me distraire, je la vois toujours assise, ou dans son jardin, avec tant de douceur, de sagesse et de graces, graces, ou lire, étudier dans sa chambre, et décider avec tant de bon sens et de goût, sur toutes les matières qui faisoient son

amusement.

>>Quel esprit ! quelle solidité de sentimens et de pensées ! mais encore, quelle vérité dans le cœur! Je n'ai d'autre bonheur que de ne l'avoir pas vue souffrir dans sa dernière maladie, de n'avoir pas entendu ses dernières paroles, ni vu ses derniers regards; mais mon imagination me la peint, malgré moi, dans ce triste état; épargnez-moi de pleurer davantage en vous écrivant ; j'avoue que je ne sais ce que je dis, car au lieu de vous consoler, je ne fais qu'exciter vos larmes, malgré moi.

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>>Vous m'offrez un commerce, dont je ne saurois assez vous remercier; je suis fâché de ne vous avoir pas prévenu, au risque même de n'être pas écouté; mais vous êtes trop bon, et la mémoire de madame votre mère vous est trop chère , pour n'avoir pas quelque pitié de ses tristes amis.

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Quoique tant de terres nous séparent, vous ne m'êtes pas moins présent, et j'ai toujours vécu avec vous par mes lettres, je vous suivois

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