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des barbares, et successivement par les lois féodales, et par les édits et déclarations des souverains, les règles dont on vient de parler furent longtemps méconnues en Europe, en sorte que l'on confondit les actions réputées criminelles qui étaient produites par accident, par imprudence, ignorance ou nécessité, avec celles qui étaient commises en pleine connaissance de cause, et avec l'intention manifeste de nuire.

Les bornes que nous nous sommes prescrites ne nous permettant pas de retracer tous les abus qui résultèrent de cette étrange confusion, nous nous bornerons, pour en donner une idée, à rappeler une anecdote singulière tirée de l'histoire d'Espagne.

L'épouse de Charles II, qui aimait à monter à cheval, voulut en essayer un qu'on lui avait amené d'Andalousie. A-peine fut-elle placée, que le cheval s'emporta; la reine perdit l'équilibre, et tomba de côté; son pied resta engagé dans l'étrier, tandis que sa tête et une partie de son corps étaient traînées sur le pavé. Elle allait périr de la mort la plus cruelle; personne n'osait la secourir, de peur de violer une loi qui défendait à tout homme, sous peine de la vie, de toucher le pied d'une reine d'Espagne. Deux cavaliers, ne pouvant supporter cet horrible spectacle, se dévouèrent enfin, volèrent à son secours; l'un saisit la bride du cheval, l'autre dégagea le pied, et ils eurent la satisfaction et la gloire de sauver leur souveraine du plus épouvantable danger. Ils n'en furent pas moins traduits en jugement et condamnés à la peine de mort, pour avoir violé la loi. Ils auraient péri l'un et l'autre sur un échafaud, comme de vils, criminels, si le roi n'eût, à la sollicitation de son

épouse, déployé sa puissance en leur faisant grâce... Les lois criminelles de France étaient infectées du même vice. Pour être admis à se justifier d'un prétendu crime, sur un motif d'imprudence, d'ignorance, de défense légitime, de démence, de fureur, et sur toute autre cause supposant un défaut absolu de liberté et de volonté, il fallait solliciter des lettres du prince, et commencer par s'avouer coupable, quoiqu'on eût le sentiment de son innocence (1). Malheur à ceux qui n'avaient ni assez de crédit, ni assez d'argent pour se procurer cette faveur. Ces lettres, au reste, qui mettaient à l'abri de la peine, n'effaçaient pas la tache imprimée par l'accusation, suivant la maxime: princeps quos absolvit notat (2).

Cette législation absurde, qui confondait ainsi l'innocent avec le coupable, cessa d'abord d'exister en Angleterre et en Allemagne. Blackston (3) nous apprend en effet que, pour qu'une action soit réputée crime, selon la loi anglaise, il faut la volonté de la commettre, et que l'action soit commise en conséquence de cette volonté. « Or, continue cet » auteur, il y a trois cas où la volonté n'est ja>> mais présumée avoir produit l'action : 1.° lors» que celui qui l'a faite manque d'entendement, >> et par conséquent de discernement; car n'ayant

(1) Lois criminelles de Muyard de Vouglans, liv. 1, tit. 4,5 4, n.° 16.

(2) Des Lois pénales, par M. Pastoret, ch. 4. Nous verrons bientôt que les anciennes lettres de chancellerie dont il est ici question, n'ont aucun rapport avec les lettresde-grâce que l'Empereur accorde en conformité des con

stitutions.

(3) Tom. 5, liv. 4, chap. 2.

>> pa choisir de faire ou de ne pas faire, il a agi sans >> volonté; 2. lorsque l'entendement étant suf>> fisant pour diriger la volonté, il arrive que, dans >> le temps où se fait l'action, ce ne sont ni l'enten>> dement, ni la volonté qui agissent; tels sont les >> crimes commis par ignorance et par hasard, aux» quels la volonté ne peut avoir aucune part; >> 3.° lorsque la force et la violence sont employées » pour faire commettre l'action.

»Dans le premier de ces trois cas, sont placés les >> enfans, les idiots, les lunatiques, les enthou>>siastes; lesquels, étant privés de l'usage de la raison, >> agissent sans volonté; dans le second, sont ceux >> qui agissent par ignorance; et dans le troisième, >> ceux que la force ou la nécessité fait agir.... ce qui >> comprend les actions faites par suite de l'obéis>>sance due à ses supérieurs..... ou pour échapper à >> la mort ou à d'autres peines corporelles dont on » est menacé, ou pour éviter un autre mal plus >> considérable..... >>

L'ordonnance de Charles-Quint, vulgairement appelée la Caroline, avait rétabli, du-moins en partie, les principes du droit romain; mais en France, ce n'est, comme nous l'avons déjà remarqué, que durant la révolution que l'on s'est réellement occupé de réformer la barbarie des lois criminelles.

L'Assemblée constituante ne vit dans les lettresde-gráce (telles qu'on les accordait alors), qu'un mauvais moyen de faire concourir l'équité avec la justice. « Cette manière, est-il dit dans la loi d'in>>struction du 21 octobre 1791, de distribuer le re» mède d'équité, était si partiale, si inégale, si >> indulgente pour le crime protégé, si inofficieuse. » pour le malheur sans appui, que l'inflexible jus

>>tice eût paru moins dure au grand nombre, » qu'une clémence si injurieusement répartie ».

Le législateur crut donc devoir s'attacher à la maxime c'est l'intention qui fait le crime; et en tirer la conséquence, qu'un délit involontaire ou commis sans intention de nuire, ne peut pas être l'objet d'une punition. Comme il devenait dès-lors essentiel de scruter les motifs, les circonstances et la moralité du fait, il chargea de ce soin, non pas la chancellerie du prince, qui ne saurait avoir les documens nécessaires pour en juger, mais les jurés, qui doivent trouver, dans les débats qui se passent sous leurs yeux, tous les élémens capables de les éclairer sur ce point.

Il ordonna donc que « lorsque les jurés auraient >> trouvé que le délit existait et que l'accusé était » convaincu de l'avoir commis, ils fissent une troi>> sième déclaration d'équité sur les circonstances » particulières du fait, soit pour déterminer si le » délit avait été commis volontairement ou invo»lontairement, avec ou sans dessein de nuire, » soit pour prononcer en atténuation du même » genre de délit ».

On trouve dans la même loi un passage qui mérite quelques éclaircissemens; le voici : « Il est des >> actions qui, par leur nature, sont plus ou moins » susceptibles que d'autres de changer de carac» tere, suivant qu'elles sont produites par des in»tentions différentes. Par exemple, une fausse » signature n'admet pas de circonstances atté» nuantes, et ne peut pas trouver son excuse dans » ses motifs. On ne commet point un faux involon>> tairement, ni pour une défense légitime, ni em>> porté par un premier mouvement; ce crime porte

>> avec lui le caractère de la volonté décidée et de » la préméditation ». Quelques tribunaux crurent, en conséquence, pouvoir se dispenser de soumet-tre, dans certaines circonstances, la question intentionnelle au juri. Le tribunal de cassation ayant adopté cette jurisprudence, un jugement, qu'il rendit dans ce sens, fut annulé par un décret de la Convention nationale, du 14 vendémiaire an 3, sur le motif « qu'il ne pouvait exister de crime, là où il » n'y avait pas eu intention de le commettre; et >>> que le grand bienfait de l'institution du juri con»sistait principalement en ce que l'intention des >> prévenus devait être examinée et appréciée, à la >> différence de l'ancienne jurisprudence criminelle, >> qui ne s'arrêtait qu'aux faits ». Et pour ne laisser aucun doute sur l'esprit de la loi nouvelle, il fut, en outre, décrété « qu'à l'avenir, dans toutes les af>>faires soumises à des jurés de jugement, les pré>> sidens des tribunaux criminels seraient tenus de »poser la question relative à l'intention, et les » juris d'y prononcer par une déclaration formelle » et distincte, et ce, à peine de nullité ».

La loi d'instruction du mois d'octobre 1791, décide, avec raison, qu'il y a des actions plus ou moins susceptibles de changer de caractère, suivant qu'elles sont produites par des intentions différentes; mais on aurait tort d'en conclure qu'il en est qui sont essentiellement criminelles et punissables, sans qu'il soit nécessaire d'examiner quelle a été la volonté ou l'intention de ceux qui les ont commises. Et comment, en effet, pourrait-on tirer une pareille conséquence? L'action la plus atroce peut avoir été commise par un homme en démence, ou dans les accès de la fureur ou d'une fièvre ar

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