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nemens réguliers, à une cause particulière. Quelques philosophes ont cru que ces événemens sont moins possibles que les autres, et qu'au jeu de croix et pile, par exemple, la combinaison dans laquelle croix arrive vingt fois de suite, est moins facile à la nature, que celles où croix et pile sont entre-mêlés d'une façon irrégulière. Mais cette opinion suppose que les événemens passés influent sur la possibilité des événemens futurs, ce qui n'est point admissible. Les combinaisons régulières n'arrivent plus rarement, que parce qu'elles sont moins nombreuses. Si nous recherchons une cause, là où nous apercevons de la symétrie; ce n'est pas que nous regardions un événement symétrique, comme moins possible que les autres; mais cet événement devant être l'effet d'une cause régulière, ou celui du hasard, la première de ces suppositions est plus probable que la seconde. Nous voyons sur une table, des caractères d'imprimerie, disposés dans cet ordre, Constantinople; et nous jugeons que cet arrangement n'est pas l'effet du hasard, non parce qu'il est moins possible que les autres, puisque si ce mot n'était employé dans aucune langue, nous ne lui soupçonnerions point de cause particulière; mais ce mot étant en usage parmi nous, il est incomparablement plus probable qu'une personne aura disposé ainsi les caractères précédens, qu'il ne l'est que cet arrangement est dû au hasard.

C'est ici le lieu de définir le mot extraordinaire. Nous rangeons par la pensée, tous les événemens possibles, en diverses classes, et nous regardons comme extraordinaires, ceux des classes qui en comprennent un très-petit nombre. Ainsi, au jeu de croix et pile, l'arrivée de croix cent fois de suite, nous paraît extraordinaire, parce que le nombre presqu'infini des combinaisons qui peuvent arriver en cent coups, étant partagé en séries régulières ou dans lesquelles nous voyons régner un ordre facile à saisir, et en séries irrégulières; celles-ci sont incomparablement plus nombreuses. La sortie d'une boule blanche, d'une urne qui, sur un million de boules, n'en contient qu'une seule de cette couleur, les autres étant noires, nous paraît encore extraordinaire; parce que nous ne formons que deux classes d'événemens, relatives aux deux couleurs. Mais la sortie du n° 79, par exemple, d'une urne

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qui renferme un million de numéros, nous semble un événement ordinaire; parce que comparant individuellement les numéros, les uns aux autres, sans les partager en classes, nous n'avons aucune raison de croire que l'un d'eux sortira plutôt que les autres.

De ce qui précède, nous devons généralement conclure que plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin d'être appuyé de fortes preuves. Car ceux qui l'attestent, pouvant ou tromper, ou avoir été trompés, ces deux causes sont d'autant plus probables, que la réalité du fait l'est moins en elle-même. Éclaircissons cela par un exemple.

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I

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On a extrait un numéro, d'une urne qui en renferme mille. Un témoin de ce tirage, annonce que le n° 79 est sorti; on demande la probabilité de cette sortie. Supposons que l'expérience ait fait connaître que ce témoin trompe une fois sur dix, ensorte que la probabilité de son témoignage soit 2. Ici, l'événement observé est le témoin attestant que le n° 79 est sorti. Cet événement peut résulter des deux hypothèses suivantes, savoir, que le témoin énonce la vérité, ou qu'il trompe. Suivant le principe que nous venons d'exposer sur la probabilité des causes, tirée des événemens, il faut d'abord déterminer à priori, la probabilité de l'événement dans chaque hypothèse. Dans la première, la probabilité que le témoin annoncera le n° 79, est la probabilité même de la sortie de ce numéro, c'est-à-dire . Il faut la multiplier par la probabilité de la véracité du témoin; on aura donc pour la probabilité de l'événement observé, dans cette hypothèse. Si le témoin trompe, le n° 79 ne sera pas sorti; et la probabilité de ce cas est 29. Mais pour annoncer la sortie de ce numéro, le témoin doit le choisir parmi les 999 numéros non sortis ; et comme il est supposé n'avoir aucun motif de préférence pour les uns plutôt que pour les autres, la probabilité qu'il choisira le n° 79 est; en multipliant donc cette probabilité, par la précédente, on aura pour la probabilité que le témoin annoncera le n° 792 dans la seconde hypothèse. Il faut encore multiplier cette probabilité, par la probabilité de l'hypothèse elle-même; ce qui donne To pour la probabilité de l'événement, relative à cette hypothèse. Présentement, si l'on forme une fraction dont le numérateur

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10000

soit la probabilité relative à la première hypothèse, et dont le dénominateur soit la somme des probabilités relatives aux deux hypothèses; on aura la probabilité de la première hypothèse, et cette probabilité sera, c'est-à-dire la probabilité même de la véracité du témoin. C'est aussi la probabilité de la sortie du n° 79. La probabilité du mensonge du témoin et de la non-sortie de ce numéro,

sera.

Si le témoin voulant tromper, avait quelqu'intérêt à choisir le n° 79 parmi les numéros non-sortis; s'il jugeait, par exemple, qu'ayant placé sur ce numéro une mise considérable, l'annonce de sa sortie augmentera son crédit; alors la probabilité qu'il choisira ce numéro, ne sera plus, comme auparavant, 999; elle pourra être alors,, etc., suivant l'intérêt qu'il aura d'annoncer sa sortie. En la supposant, il faudra multiplier par cette fraction, la probabilité 292 992, pour avoir dans l'hypothèse du mensonge, la probabilité de l'événement observé, qu'il faut encore multiplier par ; ce qui donne pour la probabilité de l'événement dans la seconde hypothèse. Alors la probabilité de la première hypothèse, ou de la sortie du n° 79, se réduit par la règle précédente, à 12. Elle est donc très-affaiblie par la considération de l'intérêt que le témoin peut avoir à annoncer la sortie du n° 79. Le bon sens nous dicte que cet intérêt doit inspirer de la défiance. Mais le calcul en apprécie l'influence avec exactitude.

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Supposons maintenant que l'urne renferme 999 boules noires et une boule blanche, et qu'une boule en ayant été extraite, un témoin du tirage annonce que cette boule est blanche. La probabilité de l'événement observé, déterminée à priori, dans la première hypothèse, sera ici, comme dans la question précédente, égale à 1. Mais dans l'hypothèse où le témoin trompe, la boule blanche ne sera pas sortie, et la probabilité de ce cas est 22. Il faut la multiplier par la probabilité du mensonge, ce qui donne 299 pour la probabilité de l'événement observé, relative à la seconde hypothèse. Cette probabilité n'était que dans la question précédente cette grande différence tient à ce qu'une boule noire étant sortie, le témoin voulant tromper n'a point de choix à faire parmi les 999 boules non sorties, pour annoncer la sortie d'une boule blanche.

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Maintenant, si l'on forme deux fractions dont les numérateurs soient les probabilités relatives à chaque hypothèse, et dont le dénominateur commun soit la somme de ces probabilités; on aura TO pour la probabilité de la première hypothèse, et de la sortie d'une boule blanche, et 20% pour la probabilité de la seconde hypothèse, et de la sortie d'une boule noire. Cette dernière probabilité est fort approchante de la certitude: elle en approcherait beaucoup plus encore, et deviendrait 999299, si l'urne renfermait un million de boules dont une seule serait blanche; la sortie d'une boule blanche devenant alors beaucoup plus extraordinaire. On voit ainsi comment la probabilité du mensonge croît, à mesure que le fait devient plus extraordinaire.

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Nous avons supposé jusqu'ici que le témoin ne se trompait point; mais si l'on admet encore la chance de son erreur, le fait extraordinaire devient plus invraisemblable. Alors, au lieu de deux hypothèses, on aura les quatre suivantes, savoir, celle du témoin ne trompant point et ne se trompant point; celle du témoin ne trompant point, et se trompant; l'hypothèse du témoin trompant et ne se trompant point; enfin celle du témoin trompant et se trompant. En déterminant à priori dans chacune de ces hypothèses, la probabilité de l'événement observé, on trouve par le sixième principe, la probabilité que le fait attesté est faux, égale à une fraction dont le numérateur est le nombre des boules noires de l'urne, multiplié par la somme des probabilités que le témoin ne trompe point et se trompe, ou qu'il trompe et ne se trompe point, et dont le dénominateur est ce numérateur augmenté de la somme des probabilités que le témoin ne trompe point et ne se trompe point, ou qu'il trompe et se trompe à-la-fois. On voit par là, que si le nombre des boules noires de l'urne est très-grand, ce qui rend extraordinaire, la sortie de la boule blanche; la probabilité que le fait attesté n'est pas, approche extrêmement de la certitude.

En étendant cette conséquence, à tous les faits extraordinaires; il en résulte que la probabilité de l'erreur ou du mensonge du témoin, devient d'autant plus grande, que le fait attesté est plus extraordinaire. Quelques auteurs ont avancé le contraire, en se

Fondant sur ce que la vue d'un fait extraordinaire étant parfaitement semblable à celle d'un fait ordinaire, les mêmes motifs doivent nous porter à croire également le témoin, soit qu'il affirme l'un ou l'autre de ces faits. Le simple bon sens repousse une aussi étrange assertion; mais le calcul des probabilités, en confirmant l'indication du sens commun, apprécie de plus, l'invraisemblance des témoignages sur les faits extraordinaires.

Nous n'ajouterions point foi au témoignage d'un homme qui nous attesterait qu'en projetant cent dés en l'air, ils sont tous retombés sur la même face. Si nous avions été nous-mêmes spectateurs de cet événement, nous n'en croirions nos propres yeux, qu'après en avoir scrupuleusement examiné toutes les circonstances, pour être bien sûrs qu'il n'y a point eu de prestige. Mais après cet examen, nous ne balancerions point à l'admettre, malgré son extrême invraisemblance; et personne ne serait tenté pour l'expliquer, de recourir à une illusion produite par un renversement des lois de la vision. Nous devons en conclure que la probabilité de la constance des lois de la nature, est pour nous, supérieure à celle que la chose dont il s'agit, ne doit point avoir lieu; probabilité qui l'emporte de beaucoup, sur celle des faits historiques les plus avérés. On peut juger par là, du poids immense de témoignages nécessaires pour admettre une suspension des lois naturelles; et combien il serait abusif d'appliquer à ce cas, les règles ordinaires de la critique. Tous ceux qui sans offrir cette immensité de témoignages, étayent ce qu'ils avancent, de récits d'événemens contraires à ces lois, affaiblissent plutôt qu'ils n'augmentent la croyance qu'ils cherchent à inspirer; car alors ces récits rendent très-probable, l'erreur ou le mensonge de leurs auteurs. Mais ce qui diminue la croyance des hommes éclairés, accroît souvent celle du vulgaire ; et nous en avons donné précédemment la raison.

Il

y a des choses tellement extraordinaires, que rien ne peut en balancer l'invraisemblance. Mais celle-ci, par l'effet d'une opinion dominante, peut être affaiblie au point de paraître inférieure à la probabilité des témoignages; et quand cette opinion vient à changer, un récit absurde admis unanimement dans le siècle qui lui a donné naissance, n'offre aux siècles suivans qu'une nouvelle

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